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Les pneus de la Twingo blanche écrasèrent les graviers du parking. D'autres voitures étaient déjà garées à l'écart de l'imposant manoir choisi pour cette réception annoncée comme mémorable. Le contact coupé, la portière s'ouvrit pour libérer la jeune femme.

Ne pas perdre de temps, la clef du succès résidait dans l'efficacité et la précision. Toute distraction devait être balayée, ne pas laisser un imprévu enrayer cette mécanique huilée depuis plusieurs années. Mais dans ce genre d’événement où le gratin de la haute société était réuni, le personnel comportait toujours un gars lourd et collant. Elle l’avait repéré sans aucune difficulté.

Il la dévisageait avec un regard de séducteur, prêt à débiter ce discours qu'il avait appris par coeur et répété mainte fois devant sa glace. Comme à chaque tentative, il se persuadait qu’elle était la bonne, qu’enfin il avait trouvé la perle rare. Il sentait cette confiance affluer dans ses veines, le poussant à agir.

- Hey ! Toi aussi tu bosses pour la réception de ce plein de fric ?

Elle ne répondit pas et s’engagea dans l’allée menant à l’entrée du personnel.

- Moi c’est Kevin, « Kéké » pour les intimes. Ça fait grave ridicule, je sais, mais il paraît que ça ne tue pas, la preuve, surenchérit-il. Par contre on va éviter le « kékette » entre nous hein.

- Fous-moi la paix le débile, j’ai autre chose à faire, finit-elle par lâcher.

- Wow ! Le crochet que tu m’as mis…

L’homme avait marqué le pas. Son visage s’était arrêté de rayonner. Il passa sa main dans ses cheveux bruns dressés en forme de piques puis se tapota activement les joues pour reprendre ses esprits. Il ne devait pas se laisser abattre ainsi.

- Ça t’arrive d’être gentille avec les gens ou pas ?

Pas de réponse.

Vexé, le serveur pressa le pas et saisit le poignet dans la jeune femme. Il la retourna brusquement et planta son regard dans le sien.

- Je te parle connasse, tu pourrais avoir le respect de me répondre !

Il n’avait pas apprécié être refoulé encore une fois. La fois de trop. Toute ses femmes qui ne lui avaient pas prêté la moindre attention durant toutes ces années. Mais savait-il seulement le prix à payer pour être aller aussi loin ? Cette ligne rouge qu’il venait de franchir en cédant à la colère.

Il n’eut pas le temps de réagir, la femme se déplaça avec une rapidité déconcertante. Il sentit le vent se déplacer le long de sa nuque et entendit un crac résonner en lui. Son corps s’engourdit. La seconde d’après, ses yeux se fermèrent et son corps s’écroula sur le sol.

On n’avait dit « discrétion », maîtrise tes nerfs idiotes ou tu vas te faire repérer.

Une voiture se dessinait au loin, elle ne tarderait pas à être sur le parking. Il fallait cacher le corps et vite. La femme s’empara des bras du jeune homme et le fit glisser sur le sol. La manoeuvre Elle recouvrit à la le cadavre de feuilles et quelques branches. L’obscurité du bois ferait le reste.

Les pneus de la voiture s’immobilisèrent sur le parking. À peine le temps de regagner le chemin qu’une femme passa à sa hauteur sans même lui prêter la moindre attention. Son coeur fit un bon avant de se calmer. Sans plus attendre, elle reprit son sac et continua sa route.

***

La bâtisse était exceptionnelle vue de près. Un château du XVIIIème siècle rénové depuis une dizaine d’années et fraîchement réouvert au public fortuné. Jamais elle n’aurait pensé mettre les pieds dans un lieu chargé d’histoire. Plus jeune, elle avait visité des lieux exceptionnels, mais la France avait ce charme unique qui imprégnait les bâtiments.

Un homme, la cinquantaine et les rares cheveux poivre et sel se dressait de toute sa hauteur devant une petite porte en bois peinte en blanc. Il ne leva pas les yeux de son listing.

- Dépêchez-vous Camilia, vous avez deux minutes de retard. Vous pourrez admirer ce magnifique monument une fois le service terminé.

- Bien monsieur.

Elle pénétra avec rapidité. Le grincement du battant se perdit dans le couloir tandis qu’elle découvrait le maigre vestiaire aménagé pour le personnel. Sa tenue accroché à la porte d’un casier, elle commença à se changer.

Ce faux petit ventre qu’elle portait était d’une utilité remarquable. La jeune femme y avait cousu une poche pour transporter les différents composant dont elle aurait besoin. Un fente dans son costume à la même hauteur et le tour était joué. Un test s’imposait. Ses mains passèrent par l’ouverture et fouillèrent dans la bedaine fictive. La fiole de poison, les composants pour l’explosif, il ne manquait rien.

Elle soupira de soulagement.

Sa montre indiquait quinze heures quarante-cinq, à peine le temps de repérer les lieux. Un léger imprévu certes, mais elle avait l’anticipé. Tous les plans étaient gravés dans sa mémoire, pas un seul détail ne lui échapperait. Première étape : les cuisines.

Le tablier revêtu, elle s’approcha d’un planche à découper et observa la pièce. D’un côté le dressage, les assiette plus blanche que nature, trois tailles différentes pour les distinguer ; de l’autre les fourneaux où les flammes jaillissaient déjà des poêles habillement manipulées par de grands chefs. Au milieu, un ilot central pour les ingrédients à préparer, une caisse de poireaux et de carottes.

- Allez, on ne relâche pas le rythme ! hurla un homme orné d’une longue toque. On met de la passion dans la gestuelle, de l’amour et du talent.

Tous redoublèrent d’effort devant le regard du patron.

- Où est ce bon à rien de Kevin ? Quelqu’un peut-il me répondre ? Non, bien sûr ! Toi, pointa le chef de l’index, ton prénom.

- Camilia

- Au dressage des assiettes la nouvelle, avec Eric, Loriane et Paulo. Tu regagneras ta brigade après, nous avons trop de retard sur le planning.

Pareil opportunité ne se présenterait pas une seconde fois, elle serait au plus proches des plats pour y verser ce poison mortel qu’elle avait concocté avec une dose d’amour et de haine à la fois.

Devant elle, deux colosses s’activaient pour répartir les différents mets dans les assiettes tandis que leur collègue affinait la présentation. Lorraine prit en charge la novice qui se laissa guider. Il ne lui restait plus qu’à guetter l’ouverture pour verser son liquide incolore.

- On dresse les assiettes des VIP dans cinq minutes, déclara le plus grand des deux hommes avec son accent transalpin. Eric les desserts, Loriane et toi sur les entrées, c’est la première impression, elles doivent être plus que parfaites.

- Compris, rétorquèrent en coeur les trois commis.

Tous s’exécutèrent avec rapidité et efficacité. Les assiettes gagnèrent le réfrigérateur à rythme constant après contrôle du toqué. Il n’hésitait pas à faire recommencer les dressages trop approximatifs, mais il devait le reconnaître, ces quatre là faisait du bon boulot.

Eric et Loriane transportèrent les derniers plats pendant que Paolo s’attardait sur le placement des lamelles de carottes dans les entrées. Il ne restait plus que deux assiettes sur le plan de travail, les deux qui seraient servies à ces cibles. Elle glissa lentement sa main dans l’ouverture latérale de son costume et s’empara de la fine fiole.

D’un mouvement subtile de la main, elle ôta le bouchon. Elle fit un pas vers les deux assiettes et jeta un bref coup d’oeil dans son dos. Personne à proximité. Le liquide glissa dans la bol de sauce et se dilua. La jeune femme saisit une cuillère en bois et touilla la mixture activement.

- Bon réflexe ! s’exclama Paulo. Sinon elle fait des grumeaux. Je me charge de les finaliser et je te libère. Merci pour ton aide.

- De rien, c’était un réel plaisir.

Une « au revoir » de la main et elle quitta les cuisines satisfaite. Il ne restait plus que l’installation de l’explosif. La tâche la plus simple.

Les lumières dans les couloirs ne fonctionnaient pas encore, la lumière du jour suffisait à trouver son chemin dans ce labyrinthe. Depuis les bacons du premier étage, aucun détail n’échappait à la faussement nommée Camilia. Elle observait les déplacements des uns et des autres, cherchait l’itinéraire le plus court pour rejoindre la table d’honneur.

Ses mains dans son ventre fictif manipulaient les différents composant de l’engin pour les assembler. Elle avait dû répéter cette manoeuvre des centaines de fois pour maîtriser les gestes au millimètre près. Le dispositif était prêt. Une fois en place, il suffirait de retirer la languette de protection et d’attendre. Elle serait bien loin au moment de l’explosion.

Le fleuriste disposa une première caisse de végétaux. La couverture parfaite pour approcher la table où Balkichvski s’assiérait, elle n’en demandait pas tant. Les deux escaliers défilèrent sous ses pieds avant qu’elle ne s’infiltre dans la salle de réception.

Elle s’approcha de quelques pas avant de se lancer.

- Puis-je vous aider ? proposa-t-elle à travers la pièce.

- Ce ne serait pas de refus, je ne voyais pas la tâche si grande. Prenez dont la caisse de fausses feuilles et mettez-en trois par table.

- À vos ordres.

Le cageot en main, la jeune femme s’exécuta sans rechigner, comme en cuisine. Si proche du but, il aurait été mal venu d’être démasquée. Son coeur battait à une vitesse vertigineuse, un mélange d’excitation et de peur. L’homme lui confia l’organisation florale de la table d’honneur, une invitation qu’elle ne refusa pas, bien au contraire.

Deux énormes cartons l’attendaient. L’odeur des roses fraîchement coupées l’enveloppa immédiatement. Elle ferma les yeux et laissa son esprit s’égarer un court instant. Une assiette se brisa au loin, ramenant l’intrus à sa triste réalité. Il fallait en finir sans plus attendre.

- N’oubliez pas d’arroser un peu nos chères amies, mademoiselle.

- Avec plaisir.

Plusieurs personnes pénétrèrent dans la salle pour inspecter l’avancée des préparatifs. Le patron ne tarderait pas à arriver et tout devait être au carré.

Avec habilité, la femme glissa l’explosif dans le fond du vase. Elle plaça une dizaine de roses, les huma devant les contrôleurs et leur vanta cette odeur unique qu’ils ne pourraient pas retrouver chez un autre fleuriste. Les trois hommes lui adressèrent un regard en biais accompagné d’un semblant de sourire, puis continuèrent leur inspection.

À l’abri des regards indiscrets, Camilia retira la languette de protection et active le compte à rebours. Dans trois heures, tout ce beau petit monde partirait en fumée et seulement elle tournerait la page. Quelques roses en plus, deux ou trois fausses feuilles et le tour était joué.

Le vase sur la table, elle finit un grand signe au spécialiste. Il lui envoya un sourire qu’elle n’oublierait pas de si tôt, une expression de joie à laquelle elle espérait goûter de nouveau une fois cette haine dans son coeur dissipée.

Plusieurs employés se précipitèrent vers la porte principale. L’attention de la jeune femme n’en fut que plus piquée. Que se passait-il pour qu’autant de monde se rue ainsi ? Elle intercepta une serveuse dont le plateau tenait en équilibre sur le rebord d’une table dans le couloir principal.

- Tu m’expliques cette agitation ?

- Il arrive !

- Qui ça « il » ? La réception ne commence que dans… à peu près trois heures.

La jeune métisse secoua la tête de désespoir.

- Dimitri Balkichvski est sur le perron. Il vient nous saluer et nous prodiguer ses précieux conseils avant que les invités débarquent. Tu viens d’une autre planète ma pauvre.

Camilia sentit monter en elle une vague de panique alors que sa camarade s’éloignait. Elle devait fuir, ne pas croiser cet homme sous peine de perdre le contrôle.

Mais déjà la silhouette du colosse millionnaire se découpait de l’autre côté du pont-levis, face à elle.

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