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Les yeux de Marie ne crurent pas ce qu'ils virent lorsqu'elle pénétra dans le hangar. Des feuilles étalées partout, accrochées dans le bois avec des punaises ou bien scotchées sur les surfaces lises. Jules s'activait, marqueurs à la main. Il déversa le contenu d'un nouveau carton sur le plan central et remit au boulot.

- Mais que fais-tu ?

- Je reprends tout depuis le début, on fait fausse route. Tout ça parce que je ne réfléchis pas assez. Mais bon Dieu que je peux être con parfois !

- Est-ce une blague ?

- Non.

- Et tu t'amuses bien tout seul ? À quelle heure es-tu arrivé ce matin ?

- J'ai dormi à peine trois heures, alors plutôt que de rester chez moi à rien faire, je suis venu ici. Mais ne t'inquiète pas, le reste de l'équipe ne devrait pas tarder. Assis-toi et détends-toi Marie. Je finis juste de préparer la réunion et je te rejoins.

Il replongea dans ses pensées et griffonna sur un nouveau tableau qu'il intitula « Andreï ».

Babacar ne tarda pas à faire son apparition. Il serra le poing et l'apposa contre celui de son partenaire. La petite bise à Marie qui le fit rougir, comme toujours, et il s'installa autour de la grande table de travail. Le foutoir mit par le juriste ne le perturba pas plus, lui même étant affecté à la catégorie des bordéliques dit « organisés ».

Le mode de raisonnement avait complètement changé. Jules ne réfléchissait plus en terme d'intérêts à commettre le meurtre, peu importait le mobile. Il cherchait le petit détail dans la vie de chacun des suspects qui aurait pu déclencher une telle réaction.

- N'oublie pas de souligner que Philippe a fui en te voyant avec la clef. Il doit savoir quelque chose dessus.

Son compère analysa le tableau puis le compléta.

- Je ne comprends toujours pas, où tout cela est-il censé nous mener ? interrogea Marie. Nous avons éliminé des suspects et resserré l'étau autour de Dimitri et du père Kritovsk. Pourquoi tout remettre en cause ?

- Parce qu'aucun des deux n'est l'auteur des deux meurtres. Imprègne-toi des informations en bleu, elles t'apprendront tout ce que nous avons mis à jour depuis hier soir.

- Et pour la clef ?

- Betty et Diane continuent de décrypter les différents fichiers. Il faudra actualiser notre biographie pour chaque personne dès que quelque chose de nouveau tombera.

La porte de l'entrepôt grogna, Marie alerta Babacar qui ne bougeait plus. Qui pouvait bien venir dans leur repère ? Personne n'en connaissait l'existence à part eux trois. L'ombre projetée par le soleil avança, de plus en plus grande dans la pièce. Les cœurs s'emballèrent.

La carrure du lieutenant Dupuis finit par découper le cadre d'entrée. Babacar se retourna vers Jules et lui adressa un reproche à peine déguiser. Trahi, il se sentait trahi par son jumeau de coeur.

- Installe-toi Charles, nous venons à peine de commencer.

- Merci, répondit-il une chaise à la main.

Lorsque les quatre furent en position, Jules exposa la situation. Tableau après tableau, il détailla le profil et les données qu’ils possédaient sur l’ensemble des personnes impliquées dans la vie d’Alexian, de près comme de loin. Il n'avait que peu de temps pour trouver l'assassin d'Alexian avant de devoir remettre la clef à Dimitri Balkichvski. Une chose était certaine, le mafieux Russe était au centre de l'histoire, un événement dans sa vie avait déclenché toute cette historie, mais lequel ?

Tous fouillèrent la vie de chaque suspect pour relier des moments de leur vie à cette homme central. Il y eut la mort de sont fils, causé par Andreï, dont les circonstances restaient troubles, l'aventure avec Ivana et la naissance neuf mois plus tard de la victime, l'existence de la société écran pour couvrir les activités illicites du trafiquant ou bien la relation entre Diane et Piotr. Tout y passa sans exception.

Quand le juriste évoqua le cas de Philippe Congronet, Charles apporta sa contribution suite à la requête de Babacar :

- Ce type passe sous les radars avant 1998, pas une seule trace de son existence. J'ai sorti la liste des adoptions d'étrangers par une famille française et vous constaterez l'ampleur de la tache. Plus de trois mille cas, rien que pour le sexe masculin.

- Comment est-ce possible ? Avec l'Union Européenne et la législation mise en place.

- À la fin des années quatre-vingt-dix, seulement quinze pays était membres et les disparités entre les différents états ne se comptaient plus. Et des pays comme la Russie ne font pas partie de l'Union, ils sont membres de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme, enfin, en théorie.

- N'a-t-on pas un moyen de biffer un maximum de noms sans perdre trop de temps ? demanda Jules.

Le Sénégalais saisit la liste et la scanna. L'opération terminé, il lança un logiciel pour croiser les milliers de noms avec toutes les bases de données mondiales. Le regard interrogateur du flic le poussa à dévoiler son secret.

- Le darknet a des avantages sur lesquels la police ferme trop souvent les yeux.

Tous se turent.

- Il nous faut un lien entre Philippe et Dimitri. On garde dans le rétroviseur Diane et Andreï Kritovsk, au cas où. Je sais que chacun d’entre vous donne le maximum, mais il en faut encore plus. On est proche de la solution, je le sens.

Le débriefing perdura le temps nécessaire afin d'orienter les actions de chacun. Charles quitta le groupe sur les coups de dix heures. Il apporterait son aide pour localiser Philippe et se renseigner sur la famille de Dimitri lorsqu'il vivait en Russie.

Marie, robe sous la main, ne s'attarda pas non plus. Lucas devait passer devant le juge d'instruction et le chef de l'établissement pénitentiaire pour être mis en isolement le temps de l'information judiciaire. Sa qualité de fils de flic lui serait peut-être enfin utile, mais la jeune femme tenait à être présente pour défendre les intérêts de son ami au mieux.

Il ne resta que Jules et son binôme, la colère figée sur son visage. Il ne lui avait pas encore pardonné d'avoir amené un loup dans la bergerie sans avertir qui que ce soit.

- Pourquoi agis-tu comme un solitaire ?

- Je ne vois pas de quoi tu me parles.

- De Dupuis. Ici, c'est chez nous, notre coin perso, l'endroit où l'on est libre. Et tu ramènes un poulet. Mec tu déconnes trop !

- Tu m'excuseras, je n'ai pas le temps. Je dois retournée chez...

Babacar le saisit pas l'épaule et le retourna.

Cette tension, aucun des deux ne l'appréciait et pourtant elle parasitait leur relation à présent. Ils avaient pris tellement de risques ensemble que le banlieusard ne comprenait pas l'attitude de son camarade. Un regard de braise défiant un semblable de glace.

- Ne la joue pas solo blanc bec. On se capte dès qu'on a du nouveau.

- Hum hum.

Il relâcha son éteint et regarda Jules s'éloigner dans la petite voiture qu'il avait dégotée à la casse pour le blond. Il se retourna et gagna son ordinateur pour traquer l'introuvable et mystérieux Philippe.

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