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Les glaçons avaient fondu dans la pochette, laissant un liquide transparent se balader à chaque mouvement de Babacar. Le bruit de l'imprimante le sortit brutalement de son sommeil. Il faillit tomber, mais se rattrapa de justesse. Les paupières lourdes, il réussit à se lever au prix d'un effort dont il se saurait pensé incapable. Sa tête le lançait encore, mais rien d'insurmontable.

L'horloge murale affichait dix-neuf heures.

Il s'arrêta devant une glace et observa les stigmates de ses exploits. Les filles aimeraient sûrement ça, il pourrait leur raconter les risques qu'il a pris, comment lui et son ami avaient échappé à la mort dans un entrepôt en flamme ou bien à la merci de dangereux criminels. Oui, il était certain que cela plairait à la gente féminine, mais le croiraient-elles ? Moins sûr.

L'imprimante s'activa de nouveau.

- Hé oh, y'a personne pour gérer la dégueuleuse de feuilles ?

Aucune réponse. Il était seul face à ce monstre de technologie. Puis se fut au tour de l'ordinateur d'émettre un son. Babacar le reconnut : un nouveau mail entrant. Comment les gens faisaient-ils pour travailler en permanence entourés de ces petits bruits parasites ? Lui ne l'aurait pas pu.

D'un léger pas boitant, il gagna le bureau et cliqua sur le message pour l'ouvrir. Il s'empara en parallèle de la pile de papiers imprimés qu'il déposa sur la table centrale. Le courriel provenait du lieutenant Dupuis : « comme promis, les premières infos. J’essaye de t’appeler au numéro que tu m’as laissé ».

Le Sénégalais referma la messagerie électronique et feuilleta les documents reçus : les autopsies d’Alexian et de Mâcon, le rapport balistique et un tas d’autres à base de mots scientifiques qui lui donnèrent le tournis, comme à l’époque du lycée.

Il prit son portable est envoya un SMS à Jules pour le prévenir le tenir au courant, sans réponse. Rien d’étonnant, il devait être en train de manoeuvrer avec la famille Kritovsk, une tâche particulièrement complexe.

Son binôme lui avait laissé un petit mot pour qu’il effectue des recherches sur Philippe Congronet. « Carte blanche », il aimait cette situation. Un peu de piratage par-ci, quelques coups de téléphone à des connaissances peu fréquentables par là.

Retrouver la trace de Philippe et mettre la main sur lui, une tâche complexe, mais rien n'était impossible pour le réseau de Babacar. Sa « famille » lui devait bien ce service. Fouiller le web jusque dans ses sombres profondeurs et les fichiers des différentes administrations l'occuperait un bon moment.

De quelles informations disposait-il ? Le gars s'appelait Congronet, trente-trois ans, employé dans la même société qu'Alexian. Il avait nécessairement fournis des papiers officiels pour être recruté, tout étant conservé dans les archives de la boite. Un petit piratage s'imposait, mais un seul. Ou peut-être plus.

Les recherches battaient leur plein, adresse, curriculum vitae, ligne téléphonique ou compte en banque, lorsqu'un détail attira l'attention de l'enquêteur de fortune. Si Philippe avait été adopté en 1998, il n'existait aucune trace de lui avant cette année. Babacar vérifia les procédures en vigueur à l'époque : le lieu d'origine de l'enfant devait être indiqué dans un document officiel. Mais ce cas, aucune trace.

Malheureusement, les deux parents étaient décédés quelques jours après le dix-neuvième anniversaire de Philippe. Elargir les recherches restait la seule solution dont il disposait pour comprendre ce nouveau mystère. Un de plus.

Le téléphone sonna sans discontinu. Babacar se crut secrétaire l'espace d'un instant, avant que la voix du lieutenant le ramène à la réalité.

Ils échangèrent sur les documents que le flic venait de lui transmettre. Il précisa les points importants à faire remonter à Jules à l'aide d'un jargon que le Sénégalais se contenta de noter. Le stylo dansait sur le papier dans une écriture de plus en plus illisible. Peu importait, il lui ferait un compte-rendu oral.

La société écran était immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés, le flic avait transmis un K-bis dans le lot. Le chiffre d'affaire déclaré pour l'année 2016 était de 3,5 millions d'euros, bien loin d'être suffisant pour justifier le luxe que se payaient les suspects.

- J'en profite pour ajouter un service à la liste, commença le civil, Philippe Congronet, aucune trace avant 1998, l’année de notre première victoire en coupe du monde. Putain j’espère qu’on gagnera notre deuxième étoile l’année prochaine.

- Tu as piraté les bases de données ?

- Roh c'est bon Charles, on a tous nos petites activités sympathiques.

- Vous êtes une bande de cinglés... Je vois ce que je peux faire.

Un long silence s'en suivit. Babacar l'identifia rapidement comme appartenant à la catégorie des « graves ».

- Je dois aussi te prévenir d'une chose qui risque de... plonger notre ami dans une colère noire.

- Vas-y, pas de problème je m'en charge.

Ce que le jeune garçon entendit le fit blêmir. Il ne bougea plus, le cœur serré, le regard dans le vague, l'imagination heurtée sans relâche par les mots du policier.

- C'est chaud tête de moi... finit-il par bredouiller.

- Je sais que cette nouvelle n'est pas des plus délicate à annoncer. Je peux le faire si tu préfères.

- Non man, je vais assumer t'inquiète.

- Merci. Je vous tiens au courant si les choses évoluent de mon côté.

Dupuis raccrocha.

Rien de mieux qu'un Candy up au chocolat avant d'affronter la colère de son meilleur ami. Babacar ne dérogerait pas à son rituel. Il saisit la boisson, détacha la paille qu'il planta dans le petit trou et sirota deux gorgées. Son sourire d'idiot se dessina.

Le téléphone dans une main, il rassembla les résultats de ses investigation de l'autre. Il y eut une première sonnerie. Un seconde. Jules répondait toujours avant la troisième, pourtant le répondeur automatique s'enclencha. Babacar laissa un bref message.

À peine le temps de poser son mobile qu'il se mit à vibrer. Jules.

- Désolé gars, je viens de sortir de l'enfer. Le père Kritovsk est un taré, je te raconterai en détails ce soir.

- J'ai avancé gros, mais les nouvelles ne vont pas te plaire.

Les deux amis s'échangèrent leurs informations sans oublier la moindre miette. La société écran, les documents transmis par le lieutenant Dupuis ou bien le mystère Philippe. Il n'en restait plus qu'un.

- Tu sais les deux gars de l'appartement...

- Oui ?

- Et bien... Ce sont eux qui ont agressé Alice l'autre matin. Le plus gros a craché le morceau. Mais il y a pire.

L'absence de réponse du juriste pesa lourd. Sa respiration, forte et rapide crispaient son compère.

- Promets-moi de ne pas faire le con, gros.

- Déballe le paquet Babacar.

- Putain, ça sent la connerie à plein nez là. Je te vois déjà faire le héros et prendre une raclé dans ta face d'anus. Comment je n'aime pas ça du tout.

- Dépêche-toi.

- Ok... Les deux connards sont des exécutants de...

- Dimitri Balkichvski.

Il n'eut pas le temps d'ajouter le moindre mot que Jules avait déjà coupé la conversation.


***


Le voyage dans les transports en commun ne l’avait aucunement fait décolérer, bien au contraire. Il accumulait ce feu consument sa raison pour laissa sa fureur s’exprimer au moment opportun.

Devant la grille de la villa, deux hommes faisaient les plantons, les bras croisés sur leurs torses surdéveloppés. Le plus foncés des deux jeta un coup d'œil par-dessus ses lunettes de soleil, dévisagea Jules et reprit sa position. L'autre l'ignora complètement.

L'ouverture entre les deux bodybuilders était assez large pour passer sans encombre. Le juriste s'engagea, mais deux bras le stoppèrent net. Il pouvait sentirent les muscles saillant contractés sur son corps, le pouls des deux costauds rebondirent sur lui.

- Dégage de là petit, tu n'as rien à faire chez les grands.

Avec près d'une tête de plus, des épaules aussi larges qu'un semi-remorque, le bonhomme n'avait pas besoin de prendre un air méchant pour en imposer , avec les autres du moins.

- Allez vous faire foutre. Ton patron, je l'appelle et dans la seconde qui suit tu te retrouve à la rue, bouffant des chewing-gum trouvés sous les bancs publics. Laissez-moi passer.

- Il est rigolo le nain, sourit le deuxième garde.

- Très.

- Je n'ai pas le temps pour vos simagrées.

Les deux hommes s'interrogèrent du regard ; une ouverture en or. Jules plia les jambes et s'élança à toute vitesse. Il anticipa l'arrivée du bras du grand garde noir. Ses deux mains agrippèrent l'avant-bras de son adversaire. Il bloqua ses deux jambes et enchaîne avec un mouvement de bassin vers la gauche. Le colosse fut déséquilibré puis propulsé sur son compère. Les deux s'écroulèrent au sol.

- Mes salutations, nargua-t-il avec une demie inclinaison.

Sans demander son reste, il fonça aussi vite que possible vers les portes de la villa. Dimitri Balkichvski n'échapperait pas à sa colère.

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