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La stèle mortuaire était nue, ses dorures rongées par le temps. Lorsque l’ancien maire du bourg avait voulu lui redonner son éclat d’antan, on lui répondit que les registres d’avant la Seconde Guerre Mondiale avait brûlé. Impossible de connaître l’identité de l’âme enterrée.

Le nouveau n’avait rien fait de plus. Avec le temps, cette pierre tombale était devenue celle où tous pouvait se recueillir en pensant à un proche partir trop tôt.

Le temps était clément. Les tentacules solaires transperçaient l’épaisse chevelure des arbres bordant l’allée centrale du cimetière. Quelques feuilles commençaient à virevolter dans l’air, se posant délicatement sur un sol d’asphalte chauffant au fur et à mesure des minutes s’égrainant.

Un nouveau visiteur se présenta à la grille d’entrée.

Jogging trop grand, pull-over à capuche et basket de mal lassées, l’arrivant ne voulait pas se faire repérer et encore moins être reconnu. C’est dire qu’il venait très peu part ici. Il avait horreur de ce lieu, depuis son enfance. L’arrosoir en main, rempli jusqu’à ras-bord, il s’engagea dans l’allée principal.

Son pas était rythmé, pressé aussi. Un cadence infernal qu’il tint jusqu’à trouver la tombe de l’Inconnu. Il l’avait surnommé ainsi la première fois qu’il était venu se recueillir. Loin de chez lui, il avait toujours au fond de son coeur ce lien avec le diamant qu’il avait perdu durant son enfance : sa mère.

Il contourna le sapin par la droite. D’habitude, la gauche avait ses faveur. Le conifère avait prit un bon mètre depuis sa dernière venue. Son pelage était magnifique, d’une régularité singulière. Le pèlerin ne lui accorda pas plus qu’un regard.

L’objectif était à présent en vue. De loin, le visiteur crut voir la stèle fendue. Il sentit en lui une colère incontrôlable jaillir dans ses veines. Si jamais ils ont osé… Ses pas se transformèrent en foulée. La fréquence augmenta d’un coup. Le chantepleure se vida d’une partie de son contenu. Tant pis, j’irai le remplir une seconde fois si nécessaire, se dit-il.

Son coeur s’écrasait contre sa cage thoracique. Encore quelques mètre et… L’individu trébucha, son pied accroché par un nid de poule. Les jurons s’enchaînèrent. Mais seule importait l’état de cette dernière demeure en pierre.

Ouf, elle n’avait rien.

- Cela faisait un long moment que vous ne nous aviez pas honoré de votre présence. J’ai même cru que vous étiez passée de l’autre côté.

Un vieil homme se tenait en retrait. Octagénaire en pleine forme, il venait voir « sa Josette » tous les deux jours pour lui raconter la vie du XXIème siècle. Oui, il était comme ça le Henri. Fidèle au poste.

Le visiteur lui sourit.

- Toujours cette même photo ?

- Toujours.

- Que vous étiez beaux ! Tous les trois. Le destin est parfois bien cruel avec les mortels.

- Merci.

Cet accent russe, il l’adorait. Lui aurait aimé apprendre l’espagnol dans sa jeunesse, mais l’anglais et l’allemand étaient imposés. Une fois dans la vie active, il n’avait jamais pris le temps d’écouter son coeur et de faire de sa passion pour les langues une réalité. Il le regrettait.

Il aimait aussi les écrivains russes et lire un Pouchkine ou un Tchekhov en original… Une rêve absolu.

En plongeant une nouvelle fois son regard sur le cliché, il se remémora ce qu’il put de sa famille. Lui aussi avait eu une. Tous vivaient leur vie bien loin maintenant, se souciant peu ou pas du « vieux schnock ». Henri avait partagé sa vie avec l’étranger, devant cette tombe. Ses joies, ses peines, ses peurs ou biens ses rêves. Tout, sans le moindre oubli.

Il le lui avait rendu, mais sans jamais lui dévoiler la noirceur de son âme.

- Je dois rentrer, mon kinésithérapeute ne va pas tarder. J’espère vous revoir bientôt.

- Je ne pense pas Henri, je pars pour un long voyage.

- Triste nouvelle. Nous nous recorrigerons un jour, que ce soit dans ce bas monde ou plus près de ceux qui nous manquent aujourd’hui.

Le vieil homme déposa sa main pleine de compassion sur l’épaule de son compagnon d’infortune. Sentant le besoin de solitude de l’individu, il se retira dans un silence religieux.

Il ne resta plus que la stèle de l’Inconnu et son plus fidèle visiteur.

Son visage se referma.

La haine… La colère … Les deux reprirent le dessus.

Cette soif de vengeance qui ne se tarit qu’après accomplissement du plus irréparable des actes. Son appel l’enivrait et jamais plus il ne lui résisterait.

« Les préparatifs sont terminés, déclara le visiteur. Demain ton honneur sera lavée, ta vengeance accomplie. Je t’ai fait une promesse chère mère, je la tiendrai. Nous la tiendrons. ».

Sa main caressa la pierre comme l’on donne un peu de bonheur sans attendre de retour. Une douceur dont on garde la trace dans son coeur pour combattre les jours plus sombre. Le visage de cette femme dont il avait été privé lui apparut.

Oh oui que le Diable l’emporte ! Il ferait souffrir ces pourris autant qu’il avait souffert. Et que Lucifer l’emporte six pieds sous terre, il n’en avait que faire. Sanglant, oui… Il fallait que le sang coule pour compenser les larmes versées depuis tant d’années.

Ses poings martelèrent tour à tour la colonne sépulcrale, un flot de férocité libéré au grand jour. Bien qu’il travaillait sur la gestion de ses émotions, le démon qui sommeillait en lui s’éveillait de plus en plus fréquemment. Il fallait achever le plan, le plus tôt serait le mieux.

Tourner la page. Tout recommençait à zéro. Si cela était encore possible…

L’arrosoir dans la main, le pèlerin nettoya la pierre tombale puis la stèle. Il recommença le rituel jusqu'à ce que l’ensemble lui paraisse parfait.

Cela ne faisait que vingt minutes qu’il était arrivé, mais il était vidé émotionnellement. L’inconnu se releva. Il devait se ressourcer et vite. Demain était un grand jour, celui de la libération, et il lui restait encore beaucoup à faire pour que tout soit au point.

Un dernier coup d’oeil et la silhouette quitta le cimetière.

La mort était en route.

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