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Le soleil dardait la belle villa située à Versailles. Ancien fief du Roi soleil, la ville était connue pour son château visité par des millions de personnes chaque année. Chaque rue transpirait d’Histoire et de richesse, bien loin de se douter qu’un trafiquant y avait installé ses quartiers résidentiels.

La BMW fit une pause devant un portail d’acier orné de pointes. La grille coulissa vers la droite, laissant libre le chemin menant à la demeure. Le gazon était parfait remarqua Jules, digne d’un dix-huit trous sur la scène mondial. Le reste de la verdure, arbres ou fleurs, n’avait pas à se plaindre non plus, le jardinier laisser son talent s’exprimer auprès de tous.

Au loin, le ciel était découpé par une imposante masse de pierre. Le jeune homme imagina ce qu’il trouverait à l’intérieur : des planques pour la cocaïne, des armes, une grande penderie pleine de costumes hors de prix. L’archétype du mafieux propre en apparence pour dissimuler ses affaires douteuses. Sans oublier le bureau mis sous clef, la tige de fer dentée bien gardée par son propriétaire.

- Sacrée baraque, s’exclama Jules.

Il n’eut pas de réponse. Pas même un regard de Piotr qui lustrait son arme.

Le chauffeur pressa la pédale de frein, tout en finesse. La véhicule ralentit et s’immobilisa devant deux colonnes épaisses soutenant un toit triangulaire se prolongeant jusqu’à la bâtisse. L’hôte savait recevoir ses invités, et ce dès l’extérieur, leur évitant les pluies diluviennes s’abattant sur la capitale à l’automne.

Jules n’eut pas le temps de visualiser l’immensité de la villa, seulement les deux baies vitrées encadrant la porte d’entrée, elle-même d’une taille astronomique. Bien que mesurant un bon mètre quatre-vingt deux, le jeune homme se sentit terriblement petit quand il pénétra dans l’antre de son ennemi.

- Wouah…

- Oui je sais, tous mes convives ont la même réaction que vous la première fois qu’ils rentrent chez moi.

La voix de Dimitri descendit du haut des marches formant le large escalier en demi-spirale. Il dévala les marches en marbre blanc avec une élégance naturelle. Pantalon blanc en soie, petite chemise déboutonnée de la même couleur, il dégageait un calme indécente aux vues de la situation.

Arrivé à la hauteur de Jules, il lui tendit la main. L’échange fut bref même musclé. Le juriste eut l’impression qu’on lui broyait la main. Une façon de montrer sa supériorité pour le « grand » Dimitri.

L’attention de Jules se fixa sur un tableau, un chef d’oeuvre d’Horace Vernet : la Bataille d’Iéna. Elle avait eu lieu le 14 octobre 1806 précisait un petit écriteau en dessous de la peinture. Il voulut le détailler, mais son vis à vis prit la parole.

- C’est un faux. Le soldat au premier plan tout à gauche porte un sniper. Il faut le savoir pour s’en rendre compte. J’espère que le trajet n’a pas été source d’ennuis pour vous mon cher.

- Aucune.

- Venez, nous allons poursuivre cette conversation dans le grand salon. Nous y serons plus à l’aise pour faire connaissance. N’est-ce pas Piotr ?

Le sbire inclina la tête d’un mouvement quasi imperceptible.

Les deux battants couleur bois pivotèrent pour laisser apparaître une pièce à la surface astronomique. Jules ne savait plus où donner de la tête. Au fond, une magnifique table en chêne sculptée était encerclée par cinq caisses de part et d’autre. Un ensemble d’une valeur inestimable habillé de tissus brodés main couleur bleu roi et or. Manifestement, Dimitri Balkichvski aimait la France et son histoire.

Un peu plus près, un piano faisait face à un mini-bar équipé de toutes sortes de boissons. La machine pour piler la glace ne manquait pas à l’appel, tout comme le verre doseur et le checker pour les cocktails. La grande baie vitrée offrait toute sa luminosité à l’espace salon. Sur le mur, un large écran plat, la diagonale dépassant les deux mètres. En dessous, la gueule de la cheminée laissait pointer le corps calciné de sa victime.

Le canapé se décomposait en deux parties d’égale surface. Dimitri invita le jeune à prendre place. Il obéit. Ses fesses le bénirent quand il entra en contact avec l’assise. Son dos ne se plaignit pas non plus avec un dossier à mémoire de forme. Il avait l’impression d’être sur un nuage.

Ce mec peut se payer toutes ces belles choses grâce à l’argent qu’il tire du trafic. Une vie de rêve, luxueuse et sans soucis. Et il n’hésite pas à tuer pour cela. Ça me dégoute… Mais reste concentré sur ton objectif Jules, tu vas le coincer.

- Allons droit au but monsieur Balkichvski.

- Dimitri s’il vous plaît. Vous et moi sommes dans le même camp.

Jules aurait protesté en temps habituel, mais il devait s’affranchir des débats futiles et stériles. Lucas avait rejoint la maison d’arrêt, il fallait agir rapidement pour que l’enfer ne s’abatte pas sur lui.

- Votre réputation n’est plus à faire, vous êtes connu comme le loup blanc. Entre le trafic de stupéfiants et d’armes, les violences pour obtenir satisfaction si nécessaire ou bien, pour compléter la collection, la gestion de quelques établissements où l’on peut assouvir sa sexualité débordante…

- Je vois que monsieur Jules a mené son enquête depuis hier soir.

- Bien avant même.

La remarque du jeune homme ne perturba pas un seul instant le ténor. Les interrogatoires du KGB étaient bien plus coriace, il était rodé maintenant. Il se repositionna dans son canapé, croisant les jambes et les bras. Un signe de protection que Jules détecta. Il était sur la bonne voie.

- Mâcon était un de vos interlocuteurs sur le marché de la drogue. Pourquoi l’avoir fait liquider ?

- Je n’ai pas tué ce garçon.

- Je n’en suis pas si sûr.

- Et pour quelle raison ?

- Vous le savez.

- Non. Dites-moi monsieur Jules. Partagez avec moi votre savoir si étendu.

Il cherche à prendre le contre le de la discussion. Ne le laisse pas faire, harcèle-le de questions. Il va finir par commettre une erreur et tu le tiendras dans tes filets.

- Vous ne répondez pas, insista Jules.

- Vous non plus.

La discussion était stérile. Il fallait à tout prix qu’il fasse sauter un verrou de ce coffre fort. Il ne pouvait pas se permettre de repartir bredouille. Dimitri et Mâcon avait un lien, la drogue. Mais pourquoi se débarrasser d’Alexian ?

Un homme fit irruption dans la pièce, un plateau d’argent dans les mains. Dessus, trois tasses, une coupelle remplie de glaçons et une carafe de thé glacé. Il était petit et gros, une posture de repli sur lui-même accentuant son côté « bouboule ». Il déposa le tout sur la table basse en fer forgé et s’éclipsa aussitôt.

- Alexian avait découvert des informations compromettantes sur le business entre Mâcon et vous. Il vous a menacé de tout dévoiler et, après une réflexion intense, vous avez décidé de le supprimer. Simple, efficace et sans frais.

- J’aime votre sens de l’imagination, mais vous faites fausse route l’ami.

- Vous étiez dans le carnet de ce dealer, Alexian aussi.

- Comment pouvez-vous en être si sûr ?

Jules commençait à être agacé par l’attitude de son hôte. Il avait besoin de réponse, pas d’être manipulé par cet homme. Il savait quelque chose, il le gardait pour lui en attendant qu’il ait eu satisfaction. Que pouvait attendre un tel homme de sa part ?

Le silence perdura un instant. Piotr était nerveux, ses poings se serrant à chaque nouvelle question du jeune juriste. Le détail interpela Jules, pour autant, il ne dit rien. Il avait lu récemment que le corps parlait bien plus que les mots. Des réflexes inconscients que l’homme a lorsque survient une situation donnée, traduisant ce qu’il pense malgré ce qu’il vous dit.

Une idée lui vint en tête.

- Pourquoi deux de vos hommes ont fouillé l’appartement de la victime ?

- Je ne vois pas de qui vous voulez parler. Et toi Piotr ?

- Non plus, répondit-il en se raclant la gorge.

Ajouté à son regard fuyant, Jules comprit qu’il avait une fois de plus vu juste. Les deux malfrats travaillaient pour Dimitri.

- Je crois qu’il est temps que notre ami prenne connaissance d’informations qui pourraient l’aiguiller. Mâcon est un jeune trafiquant avec qui j’ai eu affaires. Il est devenu en quelques mois un élément intéressant, son réseau est fourni. L’éliminer… Ce serait me passer d’une clientèle très demandeuse, d’un bénéfice alléchant.

- Vous étiez pourtant avec lui juste avant l’attaque de son entrepôt.

- Vous en savez plus encore que je ne le pensais. Cela vient presque gênant, voire compromettant.

- Patron ?

Piotr avait fait un pas en avant vers Jules, sa main plongée dans l’obscurité de sa veste. Ses doigts palpaient la garde de son arme, prêt à s’en saisir pour presser la gâchette et éliminer un nouveau gêneur.

- Calme-toi, monsieur Jules ne fait que ce qu’il juge bon pour tenter de sauver un proche.

Il servit un peu de boisson à tout le monde. Jules déclina l’offre, concentré sur son unique objectif. Il tourna la page de son petit carnet, cherchant un sujet pour relancer la discussion et reprendre le contrôle, mais il fut pris de court par la remarque de Dimitri.

- Alexian était un idiot, mais un bon idiot.

- Je ne vous comprends pas.

- Je connais son père, Andreï, depuis un bon nombre d’année. Déjà au pays nous travaillons ensemble. J’étais tireur d’élite et lui dans l’infanterie. Je lui ai appris le tir de loin. Parfois nous allions chasser entre deux missions. Les montagnes staliniennes sont nappées d’une robe verte au printemps et le gibier s’y reproduit inlassablement. Après l’armée, nous avons décidé de montrer une société dans le bâtiment. La grande Russie cherchait à s’étendre. Patriotes que nous étions, nous avons voulu servir une fois de plus.

Jules écoutait le récit avec attention. Il avait déjà noté dans un coin de sa tête que les deux hommes savaient manipuler le sniper. Ils resteraient sur la liste des suspects quoi qu’il puisse se dire dans les minutes à suivre.

Piotr avait fini par se détendre un peu. Il avait opté pour une chaise en retrait afin de garder un oeil sur tout ce qu’il se passait dans la pièce. La confiance entre le juriste et l’homme de main semblait impossible. Ils se jetaient des regards en biais, se surveillant mutuellement.

- Sur la photo, nous venions de terrasser un groupe ennemi à un contre trois. Et sur celle-ci, Andreï et moi venions de conclure un pacte avec nos premiers investisseurs.

Il pointa du doigt deux cadres sur le rebord supérieur de la cheminée. Jules n’avait pas vu les différents clichés. L’un attira son attention : un homme tenait une femme par la hanche. Deux enfants, un garçon et une fille, se tenait devant eux. Tous semblaient particulièrement heureux.

- Est-ce votre famille ? demande l’invité à tout hasard.

- Je préfère ne pas parler du passé si vous le voulez bien. Certaines blessures resteront ouvertes et ne guériront jamais.

- Je comprends.

Sa façon à lui de s’excuser. Il ferait ses recherches de son côté, il devait en apprendre le plus possible sur son interlocuteur. Cet homme gardait trop de zones d’ombres autour de lui. Jules percerait ses secrets, coûte que coûte.

Dimitri expliqua comment le père Kritovsk et lui avait démarré et développé leur business. Les coups bas étaient monnaie courante dans le milieu et ils n’avaient pas été les derniers dans le domaine. Il détaillé chacune de ses anecdotes pour que Jules puisse les vivre lui-même. L’éloquence, une qualité dont il connaissait toute facette.

Je suis complètement perdu. Diane et Dimitri sont désignés par les preuves, ils sont les coupables. Et pourtant, plus j’écoute cet homme, plus je me dis qu’il n’a pas pu éliminer Alexian et Mâcon. Le premier est le fils de son ami, même s’il lui devait de l’argent, il n’avait aucune raison valable. Le second est un maillon important de son organisation. Alors pourquoi ?

Il prit dans la main le vrai de thé glacé. Il continua d’écouter Dimitri d’une oreille peu attentive, son cerveau se remettant progressivement en marche. Le temps tournait plus vite qu’il ne l’aurait espéré.

Cela faisait déjà une heure qu’il était face à l’un de ses principaux suspects. Il ne devait pas restait trop longtemps ainsi exposé. Mais Jules avait besoin d’un peu plus de temps et surtout d’informations.

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