36

7 minutes de lecture

Jules arrêta la voiture bien avant le début du petit sentier qui le mènerait à l’entrepôt abandonné. Il sortit de son sac une carte qu’il déplia sur le capot de la voiture. Une petit vent soufflait. Trop faible pour perturber le jeune homme. Son doigt entoura plusieurs éléments autour du bâtiment. Un stylo repassa par-dessus les traits invisibles de son doigt. Il ne laisserait rien au hasard.

Plusieurs voitures passèrent à côté de lui. Tous le regardèrent. Aucun ne s’arrêta. La mentalité parisienne à l’état pure : un pour tout et chacun pour sa gueule. Rien de bien inhabituel. Les transports en commun était aussi un merveilleux exemple.

Toujours concentré, Jules ne prêtait plus la moindre attention à son environnement. Tout lui semblait si loin. Il était dans sa bulle. Son cerveau faisait fuser les informations dans tous les sens. Un véhicule freina dans un couinement typique. Le grincement fit grimacer le blond, le déconnectant de sa logique Il se pencha légèrement sur le côté pour observer la scène.

- Vous m’semblez en difficulté l’ami.

Un vieil homme tourna activement la manivelle lui permettant de baisser la vitre de sa portière. Il passa la tête par la cadre et sortit son plus beau sourire. Une moustache fournie surmontée une mâchoire pleine de dents jaunies. Ses yeux, injectés de sang, et sa forte odeur ne laissaient aucun doute sur l’état alcoolisé du conducteur.

- Je peux vous filer un petit coup de main ? reprit-il.

- Non, je vous…

- Mais si ! Mais si !

Trop tard, l’homme était déjà hors de son véhicule. Petit, bedonnant, mais carré d’épaules.

- Pneu crevé ? Batterie à plat ? Bougie à changer ? Non attendez ! Je sais !

L’homme fit un rapide tour du véhicule, l’observant au travers de ses pouces et index en forme de cadre. Comme si celle là pouvait changer quoi que ce soit ! se dit Jules.

- Monsieur, je vous promets que tout va bien. J’attends simplement un ami pour faire un tour dans les bois.

- Ah bon ?

Jules avait été surpris par la réaction de son interlocuteur. Il ne sut pas quoi dire pour clore le débat. Une nouvelle ouverture dans laquelle s’engouffra le vieillard sans la moindre hésitation. Il se rapprocha, mit sa main en arc de cercle sur le côté de sa bouche et dit :

- C’est votre fierté de mécano du dimanche… Promis je ne dirai rien.

Le souffle aromatisé à la bière agressa les narines du juriste. Il se mordit l’intérieure de la lèvre basse pour ne pas vomir son dernier repas. Il ne tiendrai pas plus longtemps.

Comme un miracle venu de nul part, la camionnette de Babacar déboula au loin. Jules détourna immédiatement le visage, cassant le lien qu’avait tenté de créer l’homme avec lui. Le freinage d’urgence à moins d’un mètre des deux hommes effraya le conducteur ivre. Il eut un geste de recul et trébucha.

Babacar coupa le moteur et descendit. Son regard se porta sur l’homme dont la voiture ronronnait sur le bas côté.

- Ne dis pas un mot, suggéra Jules.

- Pas. Un. Seul. Mot.

Le doigt pointé de Jules avait produit son effet. Il était assez rare que Babacar se taise, il aimait rajouter un petit commentaire. Tout le temps. Sa marque de fabrique. Les deux jeunes remontèrent dans leurs véhicules respectifs sans perdre la moindre seconde et abandonnèrent l’inconnu à son triste sort.

À chacun ses problèmes.


***


Le sentier s’enfonçait plus profondément à présent dans le bois verriérois. Il serait bientôt impossible de progresser avec un véhicule. Cela n’enchantait pas Jules. Les sacs de matériels étaient bien lourds. Tout repli nécessiterait de laisser derrière eux une trace de leur passage, un moyen de les identifier. Mais avaient-ils réellement le choix ?

Sur le côté, un parking en piteux état se dessina sur le sol. Plusieurs voitures y stationnaient inlassablement, attendant le retour inespéré de leur propriétaire dans un calme religieux. Le jeune homme coupa le moteur et sortit de sa mythique Renault Kangoo. Il ouvrit le coffre et en extirpa un grand sac noir. Le bruit du métal s’entrechoquant résonna jusqu’à se perdre après plusieurs échos dans la sylve. Il faudrait être vigilant.

Son acolyte effila sa tenue. Il remonta la longue fermeture éclair ventrale et ajusta ses manches. Rangers à la main, il les chaussa avec difficulté, laissant Jules se moquer avec camaraderie. Lui aussi avait eu à faire à la résistance des chaussures militaires à son premier essai. Il s’en souvenait encore. Un stage de dix jours à l’armée pour « apprendre les bonnes manières » comme le lui avait ressassé mille et une fois le Sergent-Caporal Leclerc.

Équipé, Jules fouilla dans son sac. Il sortie deux baudriers qu’il prépara avec un grand soin. Plusieurs mousquetons, des dégaines, tout le nécessaire pour escalader la façade de l’entrepôt y passa. Deux cordes gisaient sur le sol, attendant qu’une bonne âme les ramasse. Jules les ignora.

- Enfile-moi ça.

- Hé ! Tu veux que je ressemble à quoi là ? On dirait un… Mais wesh mec ! Je suis grave moulé. On voit tout mon joli paquet. Ça va exciter les foules.

- Tu es bonne mec, ajouta le juriste. Les arbres ont déjà leurs branches tendues pour toi. On ne peut rien y faire.

- Ta gueule.

Jules réprima un fou rire. Il secoua la tête. Babacar n’avait pas l’habitude des plans organisés, préparés à l’avance. Il aimait les interventions spontanées, être le joker, le facteur « x » qui ferait balancer l’issue du conflit vers la lumière. Le risque était son carburant. Rien d’autre. Il était le bad boy au corps d’or, du moins pour les filles.

Jules répartit le reste de l’équipement entre deux sac à dos. Il s’occuperait de la reconnaissance des lieux pendant que Babacar veillerait sur leur sécurité. Il lui tendit un Glock.

- Tu ne l’utilises qu’en cas d’extrême nécessité.

Les yeux du jeune banlieusard s’écarquillèrent et des dizaines étoiles y filèrent. Il palpa l’arme, la saisit de sa main droite. Pointant l’arme devant lui, il gonfla la poitrine et se dirigea vers le premier tronc d’arbre qu’il vit. Le tenant en joue, il s’inventa un scénario digne d’Hollywood.

- Baisse les yeux mec ! Je suis pas là pour rigoler. Je vais te trouer. Putain baisse tes yeux là. Joue pas avec mes nerfs. Hé ! Hé toi là ! Je t’ai parlé !

Jules leva les yeux au ciel.

- On y va le gros dur.

- Déjà ? Putain mec j’étais trop au top !

- Au top du ridicule.

- Ah ouais ? Comment tu me cherches… C’est ça. Tu provoques le bad boy.

Sautillant sur place, Babacar fit des petits mouvements d’épaules en guise de provocation.

- Tu me prends pour un débutant, renchérit-il.

- Oui.

- Sûr ? Sûr de toi ? Sûr pour ta vie ? Mais il est fou ce gars. C’est moi qui est le flingue Croquette. Fais pas le ouf j’ai juré, tête de mes chaussures. Je dégaine plus vite que Lucky Luke.

Jules fit face à Babacar. Il pointa son doigt vers lui et lui piqua le torse. Il était tant de revenir sur Terre et de laisser place au sérieux.

- Tu n’as pas retiré la sécurité. Maintenant, on y va « l’artiste ».

Le noir eut un mouvement de recul de la tête, choqué par son oubli. Il voulut vérifier l’information. Son oeil s’y risqua. Le cran de sécurité était en place. Fourrant l’arme dans une poche latérale de sa combinaison, il tenta une brève contestation :

- Tu m’as piégé aussi.

Mais le blanc avait tourné les talons pour quitter le sentier principal et s’engager dans la pleine forêt. Il disparut rapidement, avalé par la densité des lieux. Babacar ne tarda pas et le rejoignit.


***


Les branches craquées sous le poids consécutif et cumulé des deux hommes. Jules prenait soin de laisser le moins de traces possibles. Babacar s’attelait à marcher dans les pas de son prédécesseur.

Si l’entrepôt était visible depuis un moment, Jules avait décidé de le contourner. Il voulait avoir une vision d’ensemble de la structure. Son cerveau mémorisait les détails un à un. Il serait bientôt en mesure de mettre en place un plan d’approche. S’accroupissant, il sortit une paire de jumelle et scruta les trois véhicules garés à l’arrière de la bâtisse.

Il fit noter à Babacar les trois plaques : 34-GZX-90 / 23-LLE-21 / 49-JGA-65.

La première était une une Dacia Sandero rouge, cabossée sur l’aile avant droite. Le modèle du milieu était le plus petit : une simple Twingo première génération couleur olive, parfaitement entretenue. Enfin, faisant barrage aux deux premières voitures, la dernière laisser apparaître la richesse de son conducteur : une BMW berline série 3 de 2009.

Une fois rentré au quartier général, il chercherait qui en était propriétaire.

Jules remarqua la présence d’un chemin de terre. Assez large pour qu’une camionnette y circule sans difficulté. Il jeta un coup d’oeil sur la devanture de sa carte : 2015. Elle n’était plus à jour. Il avait hésité, mis la prochaine fois, il bosserait à partir de google maps et tous ses dérivés. Le garçon n’aimait pas la présence d’une nouvelle inconnue dans l’équation.

- Bounty, il y a une porte au Nord. Dès que les voitures seront parties, tu vas jeter un coup d’oeil. Elle nous servira de solution de repli si les choses tournent au vinaigre.

- Je la piège ou pas ? demanda-t-il une grenade à la main.

Il eut l’aval du Jules.

Une silhouette ouvrit la porte de derrière. Quatre hommes transportèrent de grosses mallettes qu’ils stockèrent dans le coffre de la Dacia. Le véhicule partit aussitôt, laissant un homme noir discuter avec un second bien plus soigné sur lui. Une demie tête les séparait.

Jules observait la scène avec grand intérêt. Il prit autant de cliché que possible.

- Je dirais que nous assistons à un petit échange entre Mâcon et Dimitri.

- Je te suis sur ce coup, confirma le blond. Nous avons nos deux suspects en visuel.

- Putain, comment je leur mettrai bien mon poing dans leur putain de face de putain de raclure.

Il frappa son poing droit dans le creux de sa main gauche.

- Tu n’es pas le seul.

Les deux dealers se serrèrent la main. Un homme cheveux blonds plaqué en arrière, une balafre sur le visage, ouvrit la portière arrière de la BMW. Le dénommé Dimitri s’y installa. Le moteur ronronna jusqu’aux oreilles du binôme.

L’américain verrouilla sa porte, ajouta trois cadenas, et rejoignit son propre véhicule. Les deux voitures partirent l’une derrière l’autre.

- C’est le moment où jamais Babacar, on y va.

Annotations

Vous aimez lire QuentinSt ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0