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Jules et Babacar passèrent la chambre, la salle de bain et la cuisine au peigne fin. Ils n’apprirent rien de plus. La scientifique avait tout raflé, le juriste devrait faire jouer ses relations pour obtenir de nouveaux éléments. Le matériel déposé dans le sac, Jules fit un tour sur lui-même pour visualiser une dernière fois la scène.

Un bruit de pas monta dans les marches. Le blanc se redressa alors que le noir s’avançait déjà dans le couloir. Il se retourna le sourire aux lèvres.

- Je gère mon pote. Les vieilles à la cité… Tu n’as même pas idée. Ta grincheuse c’est easy pour moi.

- On va voir ça. J’ai hâte.

- Cinq euros ?

- Pari tenu.

Jules se retourna et continua de remballer les affaires. Il passa en revue chacune des photos qu’ils avaient prises. Les idées étaient encore confuses dans sa tête, mais le tableau noir se colorait sur les bords.

Babacar n’eut pas le temps d’ouvrir la porte que madame Graignard tentait de pénétrer dans l’appartement. Elle sursauta en découvrant l’homme en tenue blanche. Sa grande main se déploya et rattrapa la femme qui basculait en arrière. La peur se lisait sur le visage de la femme. Elle tremblait et cherchait à échapper à son étreinte, mais l’homme tenait bon.

Son masque et ses lunettes ôtés, Babacar partagea un de ses larges sourires dont il avait la clef. Il était monsieur « je vous mets en confiance ».

- Mais madame, que se passe-t-il ?

- Lâchez-moi ou je préviens l’officier de police !

L’homme ne put s’empêcher de rire. La femme se figea, décontenancée. Personne n’avait jamais rigolé en réaction à ses menaces.

- C’est moi la police madame. Je fais des relevés avec mon collègue pour les investigations.

Cette simple phrase parut décontracter la gardienne. Mais elle n’allait pas en rester là. Elle avait un tableau de chasse plus long que la Tour Eiffel. Démasquer les menteurs, aucun problème. Gardienne de mère en fille depuis quatre générations.

- Déclinez-moi votre identité que je la note. J’irai au commissariat demain pour vérifier vos dires.

- Je suis… L’officier Abdoulaye N’donko.

- Vous semblez hésiter jeune homme. Vous ne connaissez pas votre prénom et votre nom de famille ?

- Et bien, c’est que…

La porte s’ouvrit et la lumière jaillit de l’appartement. La femme fut aveuglée, ses mains en protection. Jules en profita pour sortir et s’incruster dans la conversation.

- Madame.

- Et vous êtes ? Impoli, on se présente avant d’aborder une dame.

Le jeune homme sortit son badge falsifié et n’eut pas besoin de décliner son identité. Les bons réflexes et tout se réglait. Un bref coup d’oeil vers Babacar, un petit sourire en coin : il avait gagné son pari. Il rentra dans l’appartement et saisit le sac avec le matériel. Il aperçut alors un petit papier griffonné, scotché sur la partie intérieure du battant.


« À ce soir - 20h30 - Ta Betty »


Une trace de rouge à lèvres avait été déposée avec soin. Le coeur de Jules se remplit d’une tristesse qu’il eut du mal à maîtriser. Elle avait perdu l’homme de sa vie. Que ferait-il dans la même situation ?

Jules quitta l’appartement et saisit les deux bandes qu’il fixa lentement, sous le regard attentif de la vieille. Elle l’observait, cherchait la faille. Jules le savait, il devait être parfait. La première bande fut placée sans problème. La seconde non plus. Il se retourna et fit un signe à Babacar ; il restait le toit à inspecter.

- Vous n’avez pas scellé la serrure comme vos collègues. Je le savais. Imposteurs… grogna-t-elle en se projetant vers l’ascenseur.

- Madame, nous devons encore inspecter le toit. Mon collègue s’en chargera en redescendant. Nous sommes des professionnels, nous savons ce que nous devons faire. Regardez, j’ai tout consigné dans ce rapport.

Il tendit un document à la femme qui voulut s’en emparer sans plus attendre. Il lui coupa l’herbe sous le pied et rangea le rapport dans son sac. La femme s’offusqua.

Il jouait surtout un coup de bluff dont il avait le secret. Même l’indomptable Babacar n’arrivait pas à détecter les tours de son partenaire. La gardienne n’avait aucune chance.

- Je suis tenu au secret de l’enquête madame, je ne peux pas vous communiquer de détails. Cela pourrait permettre à Lucas, euh au suspect de bénéficier d’un vice de procédure et de s’en sortir. Hors de question, ce qu’il a fait est inqualifiable.

Il avait réussi à faire taire son ennemi. Un acteur né le gamin. Mais oser utiliser cet argument du secret de l’enquête, il avait un culot débordant, lui-même ne le respectant que lorsque cela l’arrangeait. Quel talentueux faux-cul ! Il devait maintenant contre-attaquer.


***


Le dictaphone remis en marche, Jules devait continuer de recueillir des informations. Aucun doute, cette femme savait un paquet de choses. Elle le portait sur son visage : une pure commère. Du ragot en veux-tu, en voilà. Une pointe mesquine en plus. L’archétype de la concierge que l’on voudrait éviter.

Mais cette fois-ci, Jules avait besoin de son aide, de ses souvenirs. Il fallait profiter du moment de faiblesse de cette femme, elle allait très vite se ressaisir. Chasser le naturel, il revient au galop.

- Dites-moi, votre journée d’hier a dû être terrible.

Caresser dans le bon sens du poil, cette femme deviendrait une source intarissable. Elle en savait bien plus qu’elle ne le pensait. Il fallait à tout prix lui soutirer un maximum d’informations.

Jules appuya son dos contre le mur, croisa ses bras et écouta le récit de madame Graignard.

- Et bien, comme je l’ai dit à la police, je suis montée car il y avait du bruit. Beaucoup plus que d’habitude. Monsieur Kritovsk était un jeune garçon qui aimait s’amuser avec ses amis, mais sans jamais en abuser. Il était une personne très à l’écoute, je n’ai eu que rarement des conflits avec lui. Arrivée, la porte était entrouverte et l’appartement plongé dans le noir. Et là…

- Commençons plus tôt dans la journée si vous le voulez bien, coupa Jules.

- Quel intérêt ?

Même déstabilisée, la vieille Graignard restait très lucide.

- Le suspect a peut-être des complices. Ils auraient pu venir en repérage, la veille ou bien le matin.

- Ah oui… Je vois. Bon argument.

- Merci.

- Mais…

Le mot « mais » n’était jamais le bienvenu. En tant que juriste, Jules savait parfaitement qu’il annonçait un contre argument. Il devait l’anticiper et trouver une parade.

- … Vos collègues ne m’ont rien demandé de tel. Pourquoi ?

Elle continuait de chercher le petit détail incohérent, la faille dans laquelle s’engouffrer. Elle flairait la supercherie, prête à la débusquer.

- J’essaye de comprendre ce que je viens de constater. Mes collègues n’ont pas eu accès aux informations dont je dispose à présent. Je cherche à gagner du temps pour abréger les souffrances de cette famille qui attend des réponses.

Endormir l’ennemi en le noyant de détails certes réels, mais inutiles. Rien de mieux pour l’obliger à se recentrer sur ce que vous voulez. Jules l’utilisait assez souvent depuis qu’il avait aidé son beau-père à résoudre l’énigme du diamant noir. La police, les médias, les fans, tous l’avaient harcelé de questions pour comprendre son « secret ». Il était juste un excellent blablateur.

- Et bien, reprit madame Graignard, en y repensant, il y a eu une jeune femme ce matin. Assez petite de taille, autour d’un mètre soixante je dirais. Un magnifique carré roux. La peau plutôt blanche je dirais, mais je ne suis pas certaine de moi. Peut-être bronzée. J’avais le nez dans mon courrier voyez-vous, mais elle venait au moins du troisième étage, j’en suis certaine.

Elle était partie et ne s’arrêterait plus. Il suffisait d’alimenter un peu le feu quand l’intensité de la flamme s’amenuisait. Une petite question, rien d’autre.

- Un signe particulier ? Tatouage ? Piercing peut-être ?

- Vous m’en demandez un peu trop pour mon âge. Par contre…

- Oui ?

- Et bien j’ai croisé un homme qui descendait les marches.

- Quand ?

- En montant à l’appartement, le soir, voyons. On dirait que vous n’écoutez pas ce que je vous dis.

En effet, il était déjà plongé dans une réflexion.

Deux personnes de plus sur la liste des suspects. Un homme et une femme, de quoi compliquer un peu plus ma réflexion. Aucun moyen de les identifier qui plus est. Moi qui pensait pouvoir éliminer l’un des deux sexes… Les éléments s’accumulent, mais je n’ai toujours pas la moindre piste.

Les paroles de la gardienne le rappelèrent.

- Je ne pourrai pas vous en dire plus sur cet homme. Et je n’ai rien vu de plus.

- Mais le corps ? Vous ne l’avez pas vu ?

- Oh dieu ! Je l’ai vu et je ne pourrai jamais oublier cet homme sur sa chaise, le sang partout autour de lui. Et le tueur qui a surgi de nulle part. Il m’a poursuivi, agressé jusque dans ma loge ! J’ai eu tellement peur…

L’ampoule sur le palier s’arrêta. Un faisceau projeta une ombre sur le mur, effrayant la concierge qui hurla. Jules pressa l’interrupteur. Babacar descendit la dernière marche et s’arrêta devant son camarade. Il pressa le bouton de sa lampe de poche.

Il tendit l’appareil au jeune homme blond qui le glissa dans son sac. Le blond en profita pour éteindre le dictaphone. Babacar ne demanda pas son reste et descendit pour retirer sa combinaison. Jules allait l’imiter. Mais il se souvint d’une réflexion de madame Graignard.

Pivotant sur lui-même, il saisit la bandelette jaune et déposa le morceau sur la serrure. Il ne laisserait aucune chance à son adversaire du soir. Un petit sourire en guise de salutation et il disparut dans les étages inférieurs. La femme resta sur sa faim.

Le policier n’avait pas regagné sa place devant l’entrée de l’immeuble, et ce fut un grand soulagement pour les deux amis qui tournèrent à droite, s’éloignant de la place de la République.

- Rentre chez toi Bounty, on se capte demain. J’ai besoin de sommeil.

- À qui le dis-tu mon pote. C’était cool cette petite expédition.

- N’y prends pas goût.

Jules savait que Babacar risquait gros à chaque fois. Il avait un passif peu recommandable, un vol avec effraction.

- Jamais. Tu me connais gros.

Devant la bouche du métro, ils se tapèrent dans la main. Jules descendit. Babacar continua jusqu’à disparaître dans les sombres rues de la capitale.

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