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Un bref petit coup d’oeil en direction de la loge de la gardienne, ce fut le premier réflexe de Jules. Il avait lu dans les rapports qu’elle était omniprésente, toujours sur le qui-vive. Sans elle, Lucas aurait peut-être appelé les secours et il ne serait pas en cellule. Elle était à traiter comme une ennemie, avec une méfiance accrue.

Sur la pointe des pieds, Jules traversa le hall de marbre éclairé par un lustre en fer forgé suspendu à une longue chaine d’anneaux. Il leva la main et fit un signe du doigt à Babacar. L’ascenseur avait été condamné. Deux bandes jaunes imprimées « scène de crime » formaient une magnifique croix symétrique sur les portes. Même le bouton d’appel était recouvert par un petit morceau.

Le visage de Babacar ne put retenir sa déception. Il haïssait les marches. Monter au quatrième étage à l’aide d’un vieil escalier en spiral, un défi démesuré. Il tendit le sac à Jules. Le sourire aux lèvres, il saisit l’objet et s’engagea dans les marches.

La différence entre les deux amis ne tarda pas à s’installer. Alors que le jeune juriste engloutissait les marches deux à deux, son camarade trainait la patte. Bientôt, un étage les séparait.

Encore une petite dizaine de marches et Jules serait sur le palier. Mais il s’arrêta net. Le battant de la porte n’était pas enclenché. Un léger voile de lumière se glissait subtilement dans le couloir, l’obscurité fendue de sa griffe. Ce détail n’avait pas échappé à la vigilance du jeune homme. Il monta deux marches supplémentaires. D’une respiration lente, il calma les battements de son coeur.

Derrière lui, Babacar s’arrêta les mains sur les genoux. Il anhélait. Jules lui posa le doigt sur la bouche. L’homme fronça les sourcils et se redressa. Jules tapota son oreille puis le dessous de son oeil. Il désigna le trait de lumière sur le mur et se concentra de nouveau sur l’appartement. Des morceaux de phrases flottaient jusqu’à ses tympans.

Il s’approcha au plus près.

- Je te dis que le boss nous a demandé de chercher un truc qui va sur les ordinateurs.

- Tu dis n’importe quoi, contesta une voix plus rauque que la première.

- Une clef USB Balou, il veut qu’on lui ramène un truc comme ça. Alors cherche au lieu de parler pour rien.

Babacar finit de montrer la dernière marche. Lui aussi tendit l’oreille pour écouter la conversation.

- Tu as fait la chambre ?

- Qu’est ce que tu crois ? Moi je fais toujours tout comme il faut.

- Vraiment ?

- Oui monsieur Vladimir. Je suis un pro moi.

- Non.

- Je te dis que si. Rappelle toi le corps du gars l’autre soir, on ne le retrouvera pas.

- Menteur, grinça une voix aiguisée.

Sur le palier, les deux amis se regardèrent d’un air consterné. Les deux hommes étaient dangereux, mais tout aussi immatures.

- Il n’y a rien dans la chambre, reprit-elle. On se casse.

Des pas lourds et rapides frappèrent le sol, se rapprochant à grande vitesse de la porte d’entrée. Jules se redressa en un éclair. Il traversa le palier, entrainant Babacar dans les marches menant à l’étage supérieur. Avides de curiosité, ils ne purent s’empêcher de jeter un léger coup d’oeil.

Un premier homme s’extirpa de l’appartement. La cage d’escalier était plongée dans l’obscurité, mais ils distinguèrent la forte corpulence de l’individu. Il devait transpirer à grandes gouttes, sa main balayant son front trois fois par minute.

Une seconde silhouette découpa le filet de lumière qui illuminait encore l’entrée de l’appartement. Plus fin, sec mais musclé, l’homme devait avoir la vingtaine à peine passée. Il était manifestement plus petit que son collègue. Laissant trainer sa main derrière lui, l’homme éteignit la lumière, plongeant tout le monde dans un noir quasi parfait.

Manipulant les scellés avec délicatesse, le petit fixa les bandes à l’aide d’un scotch double face. Ingénieux le gamin. Il s’appliquait pour rendre réaliste son oeuvre. Son comparse avait commencé à descendre les marches. Il fit un signe de la tête une fois le travail terminé, satisfait de lui-même, et disparut l’instant d’après.

Babacar prit les devants et se déplaça pour vérifier qu’il n’y avait plus personne. Rien à signaler. Qui pouvait bien être ces deux gars ? Une seule certitude : ils les croiseraient à l’avenir. Jules et sa bande n’étaient pas les seuls sur le coup.

Après avoir enfilé les sur-chaussures et les gants, Babacar s’équipa de sa combinaison à cagoule en polyclean pour retenir les fibres, plaça ses lunettes de protection et son masque devant la bouche. Ils étaient fin prêts à découvrir la scène de crime. Il emboita le pas de Jules.


***


Les scellés de nouveau ôtés, Jules fouilla dans le sac et en extrait le dictaphone. Il presse un bouton, le petit voyant s’illumina en vert, le compteur temps défila et un fin grésillement continu se manifesta. Dès le premier pas dans l’appartement, il ne put s’empêcher de faire un constat.

- La porte n’a pas été fermée à clef, Bounty. Ou bien nos deux visiteurs avaient un double.

- Ou peut-être un passe, ajouta Babacar.

- Ou peut-être un passe, très juste. Quoi qu’il en soit, ils ont pu rentrer sans aucun problème.

L’homme noir s’accroupit et pointa une lampe torche sur le mécanisme. Sa tête hochait au fur et à mesure qu’il réfléchissait.

- Ce sont des portes fabriquées à la chaine, la serrure est souvent la même sur toute une série. Facile à crocheter qui plus est. Mais pas cette fois, j’ai l’oeil.

Jules lança un regard désapprobateur à son ami. Il lui répondit avec un sourire jusqu’aux oreilles.

Les procès-verbaux illégalement obtenus à la main, le jeune blond parcourut la première page, à la recherche d’éléments pour orienter sa réflexion. Il progressa lentement dans le couloir menant au salon. Les traces de sang séchées saisirent les visiteurs. La quantité, l’étendue, l’odeur aussi. Une violence inouïe, une barbarie sans nom ; Jules n’osait plus se confronter aux événements qui s’étaient déroulés ici. Il replongea dans le procès-verbal.

Deux jeux d’empreintes avaient été constatés par les enquêteurs : un 43 et un 45. Difficile à les distinguer avec le passage des deux inconnus. Les deux hommes placèrent des règles en guise d’échelles de référence quand une empreinte se retrouvait isolée. Le flash fusa trois fois par empreinte. L’apprenti photographe vérifia la qualité des clichés. Jules en fit de même.

- Il y a un nombre important de grandes empreintes. Presque trop.

- Deux personnes ?

- Difficile à dire. Les deux gars ont dû ajouter les leurs avec de la terre. Le sang est sec, on devrait pouvoir les différencier des empreintes de Lucas et de celles du meurtrier.

- J’ai pris un max de clichés.

Babacar brandit l’appareil.

- Parfait. Avec les logiciels pour faire varier les couleurs, on pourra mettre en relief ces nouvelles empreintes de semelles.

Quelque chose le titillait. Il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus. Peu importait il fallait continuer et se retirer au plus vite.

Les lignes défilaient sous ses yeux, les informations s’imprimaient dans son esprit. Il relevait la tête pour juger par lui même s’il y avait besoin ou non d’approfondir. Le meuble télé était toujours renversé, quasiment allongé sur le sol. Il présentait plusieurs impacts, témoignant de ce qu’il avait vu au moment du massacre.

- Écoute-moi attentivement s’il te plait. Nous allons prendre en photo toutes les traces de lutte, les impacts, tout ce qui te semble anormal. On fera le tri plus tard. Marque chacune des photos : lieu, hauteur par rapport au sol. Lucas fait bien un mètre quatre-vingt cinq passé, non ?

- C’est ça, je crois. Pourquoi ?

Jules joignit le bout de ses doigts, les posant sur ses lèvres. Le silence gagna la pièce.

- Tu invoques les esprits mec où c’est comment là ?

- On n’est pas au bled mon gars, rigola Jules. Je me disais simplement que la hauteur des marques me semble bien trop basse pour être l’oeuvre de Lucas.

Babacar pivota sur lui même, observant plusieurs des stigmates. Il n’en conclut rien.

- La victime non ? Elle a bien dû se défendre. Un russekof en plus, ça taille grave grand et c’est robuste.

- Je ne sais pas, je n’ai pas le rapport médico-légal. À vérifier. Passe-moi l’appareil, je m’en charge. Continue de fouiller la pièce.

Babacar photographia les impacts sur les murs, les meubles, ou bien la baie vitrée. Jules détailla les prises, il flairait les incohérences, mais aucune explication logique ne se dégageait. Il lui manquait l’élément déclencheur.

Imprègne-toi des faits, laisse-les te parler, sois à leur écoute. La liste des suspects est déjà grande, il faut que chaque élément te dévoile son secret.

De son côté, Bounty se faufila entre les meubles pour accéder au PC. Le flash illumina la pièce une énième fois. Jamais il n’en avait eu un si… médiocre. Quelle tristesse d’être pauvre, se dit-il. Il tapota sur le clavier : pas de mot de passe. Il accéda au bureau.

Rien de particulier, si ce n’est un message signalant la déconnexion anormale d’un support. Il immortalisa cette information à l’aide d’un cliché. Il continua son chemin en quête d’un trésor inespéré.

- Les deux idiots ont fait chou blanc, on est d’accord ?

- Entièrement, répondit le juriste. Ils ont fouillé l’appartement, mais n’ont pas trouvé ce qu’ils cherchaient. Un peu comme nous…

Assis sur le canapé, Babacar tenta de réfléchir un instant. Il finit par émettre une supposition :

- L’assassin s’est sûrement barré avec la clef USB du mort. Et le bordel devait contenir un sacré truc pour qu’il le planque. Si on découvre le contenu de cet objet, on va faire un grand pas vers l’avant. J’ai une putain de motivation gros !

Il n’avait pas tort. Jules ne rajouta pas le moindre mot. Mais par où commencer ?

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