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Le légiste continuait d’inscrire ses observations sur sa feuille, impassible. Comment pouvait-il être si neutre, si distant devant tant d’horreur. S’il ne le connaissait pas, Dupuis aurait pu croire qu’il avait perdu son âme à force de convoyer la mort d’aussi près. L’homme de loi fit un pas en retrait.

- Il y a, je crois, une présence de poudre. Ce n’est pas l’oeuvre du corps de notre victime, mais plutôt une trace de l’objet utilisé.

- Vous pourriez m’en dire plus ?

- J’opterais pour un combustible. Mais je préfère laisser les experts scientifiques s’en charger. Un kit de prélèvement s’il vous plait Greg. Je vous en remercie.

L’assistant se précipita vers un tiroir. Il sortit plusieurs sachets et en tendit un vers M. Fargot. L’homme effectua son prélèvement dans les règles de l’art et envoya son jeune collaborateur en salle treize pour lancer les hostilités.

- Je mets de côté les blessures sur le cou. Nous en reparlerons en même temps que celles dans le bas-ventre. L’arme utilisée ne diffère pas à vue d’oeil.

Impressionnant. Dupuis n’eut pas d’autre mot.

- Nous ne pouvons pas accéder à ses yeux, mais nul doute qu’ils seraient injectés de sang et de pétéchies. Bon nombre de vaisseaux sanguins ont dû exploser quand il s’est étouffé.

- L’asphyxie serait la cause de sa mort ?

- Sans doute, finit par dire le plus petit des deux professionnels. Continuons notre examen.

Le vieux fit la leçon à son disciple pendant près d’une heure encore. Il lui fit remarquer la présence de plusieurs petites brûlures circulaires et superficielles sur le tronc, toujours par deux avec la même distance d’écart. Les deux hommes n’eurent aucun mal à identifier l’utilisation d’un taser.

Une importante ecchymose au niveau du côlon transverse précéda l’étude des quatre orifices ayant atteint l’intestin grêle. Fargot les mesura un à un. Il fit de même avec les deux présents à hauteur de l’épiglotte et du larynx.

- Même diamètre ? s’enquit le flic.

- À quelques nanomètres près, oui. Ces coups sont probablement ceux qui auront été fatals à notre jeune ami. La gorge présente aussi des traces de pressions de part et d’autre de la trachée. Une strangulation manuelle, mais sans influence sur le décès. Trop courte pour obtenir un jeu d’empreintes palmaires aussi.

- Merde… Il faut être sacrément perché pour commettre ce genre d’acte.

- Je ne te le fais pas dire.

Le silence reprit ses droits.

Avec l’aide de Greg, l’homme de science fit basculer le corps sur le côté. Dupuis se retrouva nez à nez avec le cadavre. Ses yeux se fermèrent. Le légiste signala qu’il n’y avait aucune trace dans le dos, ce qui n’étonna personne ; le corps avait été trouvé assis.

Le lieutenant nota la présence de pétéchiales au niveau du coeur et des poumons, signe incontestable qu’Alexian Kritovsk avait été tué par une asphyxie mécanique, probablement par suffocation.

Après la tête et le tronc, tous examinèrent les membres. Le médecin évacua rapidement la présence de fractures sur les deux genoux ainsi que l’avant-bras. Il fit noter la présence d’incisions sur l’antebrachium et la profondeur particulière de ces deux plaies. Il s’attendait au pire, mais se garda de partager son sentiment avec Dupuis.

Poignets et chevilles laissaient apparaître les traces profondes du cordage ayant permis d’immobiliser la victime, rendant sa torture bien plus facile. Avec des recherches, il pourrait trouver le modèle exact.

L’étude des mains fit frémir les trois hommes. Celle de droite avait été amputée de son index et de son majeur. Sa comparse n’avait perdu que son pouce. Les coupures semblaient nettes en apparence, l’os était sectionné à la verticale, pile à la base des métacarpiens. Le légiste remarqua cependant plusieurs entailles de travers dans les chaires. L’assassin avait dû utiliser un hachoir et taper à plusieurs reprises pour faire céder sa prise.

- Nous avons fait le tour Charly. L’examen externe est terminé. J’aimerai juste attirer ton attention sur un point.

- Allez-y maestro, je vous écoute.

- N’as-tu pas remarqué la présence de traces de piqûres ? Une dans chaque cuisse. Et plusieurs au niveau de pli du coude droit. Je parierais que les analyses toxicologiques feront état d’une drogue ou bien de la présence d’anesthésiant. Les deux, qui sait ?

Il retira une quinzaine de cheveux qu’il glissa dans un sachet. Greg s’en empara et quitta de nouveau la pièce, le teint de son visage bien blanc.

- Première autopsie. Tu es passé par là toi aussi mon petit.

Le lieutenant s’en souvenait encore. Un viol avec violence ayant entrainé la mort sans intention de la donner. Cette affaire avait marqué le jeune flic âgé de vingt-trois ans. Le médecin l’avait obligé à s’arrêter une dizaine de jours et consulter un psy. Il n’avait pas tenu cinq minutes à la vue du cadavre que l’évier avait accueilli son déjeuner. Le petit nouveau faisait déjà bien mieux que lui.

Ôtant ses protections, Charles Dupuis s’empara de sa veste et se dirigea sans plus attendre vers la sortie. Le médecin légiste lui tournait toujours le dos. Il était dans sa bulle.

- Merci pour tout, lança le flic.

- Tu auras mon rapport demain, en fin de matinée. Je t’épargne l’examen interne, mais chope-moi ce fou, et vite.

Ils sourirent. Sans dire un mot de plus, le gradé passa le pas de la porte.

Dans le couloir, l’odeur de la mort le suivait toujours. Elle s’était imprégnée dans ses vêtements et ne le quitterait pas avant la fin de la journée. Charles Dupuis remonta le long couloir. Il ne s’arrêta pas devant la salle douze sur le retour. Toujours la même peur. Un néon grésilla et finit par céder. Son éclat cessa après son passage. Il n’y fit pas attention.

Montant les marches de l’escalier deux à deux, il n’avait qu’une seule chose en tête : quitter ce lieu au plus vite.

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