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Le lieutenant Dupuis s’engouffra dans un long couloir. Du carrelage blanc au sol, de la peinture blanche sur les murs, et de longs néons projetant leur éclat tout aussi blanc. Seules les portes des pièces couleur gris souris apportaient un peu de nuance. L’homme passa devant la salle douze sans y jeter un coup d’oeil. Il ne voulait pas savoir ce qu’il s’y tramait.

Jean, polo rose saumon et baskets, l’homme marchait d’un pas nonchalant, sa veste sur son épaule. Il n’aimait pas les autopsies. Qui le pouvait hormis les légistes ? Être entouré par la mort, rien de plus désagréable. L’idée qu’un jour, il prendrait peut-être la place de ce corps ne l’enchantait pas plus. Il mit la main sur son arme. Son seul moyen de se sentir rassuré.

Devant la porte baptisée « quatorze », Charles s’arrêta un instant. Un écriteau indiquait « M. Fargot - légiste ». Il prit une profonde inspiration. Le désagréable parfum de produit désinfectant lui parcourut les poumons. Il ne put retenir une grimace manquant de s’installer définitivement sur son visage. Il se dépêcha d’expirer, sa bouche postillonnant au passage.

La main sur la poignée, il la fit pivoter et poussa le battant.

Devant lui, un mur blanc, encore un autre. Le bureau du médecin légiste et les différentes chaises, bleues, faisaient taches. Ils donnaient presque un peu de vie dans ce lieu où la grande faucheuse régnait sans partage. Une pile de dossiers au garde à vous, un pot de crayons où se mêlaient des capuchons rouges, verts, bleus ou bien noirs et une lampe éteinte ; il n’y avait rien d’autre.

Sur le mur, un cadre photo mettait en valeur un diplôme datant de 1979. Le lieutenant tenta de calculer l’âge du légiste, sans y parvenir. De combien d’années d’études fallait-il justifier pour prétendre exercer cet « art » ? Le flic n’aurait pas su le dire sur l’instant. Un second cadre, plus petit, abritait une photo en noir et blanc de deux hommes se ressemblant trait pour trait.

- Tu fais la rencontre de mon défunt grand-père.

Dupuis sursauta. Il se retourna pour découvrir un petit homme en blouse blanche. Les cheveux couleur neige, une bouille adorable habillée de lunettes en demi-lune et un ventre un peu bedonnant firent sourire le lieutenant qui, une main sur le coeur, tendit l’autre.

L’homme de science répondit chaleureusement à l’invitation.

- Pardonne-moi cette irruption qui t’a fait peur semble-t-il. Il ne faudrait pas que j’aie à autopsier une autre personne aujourd’hui quand même.

- Cela m’arrangerait.

Les deux hommes rirent un court instant puis retrouvèrent leur sérieux. Ôtant sa blouse, le légiste prépara deux charlottes, une paire de gants pour le visiteur et plusieurs pour lui, ainsi que deux masques. Dupuis prit un exemplaire de chaque et s’équipa.

Un jeune rentra dans la salle avec un long chariot. Aucun des deux n’y prêta réellement attention.

- Comment vas-tu Charles ? Le procureur a pris ses réquisitions rapidement cette fois, pas comme dans le dossier Gominor. J’ai attendu deux jours ! Des éléments étaient inexploitables ! Et là, à peine quelques heures. J’ai ouï-dire que cette enquête était particulièrement… Sanguinaire…

- C’est peu de le dire. Je n’avais jamais vu une telle violence. Tout va très vite, je me sens un peu dépassé, mais je gère je n’ai pas le choix, dit-il d’une traite.

- Je n’ai pas encore regardé le corps. Dois-je avoir peur ?

- Vous n’allez pas être déçu en tout cas.

- À ce point ? interrogea le légiste.

Il n’eut pas de réponse. Nouant son tablier, il fit un signe de la tête à son interlocuteur pour l’inviter à rejoindre la table de dissection. Il ne fallut pas plus de cinq pas à Dupuis pour arriver près du défunt. Il crut faire un marathon. Sur son front, des gouttes formèrent un filet de sueur, avant d’être absorbées par du papier essuie-tout. Les autopsies l’angoissaient, mais il était toujours volontaire pour y assister. Avec le Doc, il apprenait énormément.

Sur un plateau d’argent, il reconnut aussitôt le ciseau de Metzanbaum et celui de dissection. Plus à gauche, les pinces étaient ordonnées de façon habituelle : la première servirait pour les cartilages. La deuxième, appelée aussi pince de Liston, couperait les os alors que la dernière avec sa pointe large concourait à la dissection de manière générale. L’assistant déposa la pince costotome alors que son maître de stage ne le regardait pas. Il soupira de soulagement.

- Venez m’aider tous les deux s’il vous plaît.

Le vieil homme avait les bras bien trop chargés pour se déplacer sans perdre quoi que ce soit en chemin. Dupuis saisit le pèse organe et le dictaphone. Le jeune garçon prit la scie d’autopsie qu’il manipula avec précaution. Il avait entendu qu’un jour, un des médecins s’était coupé deux doigts en manipulant l’engin sans respecter le protocole.

- J’allume ma petite lampe d’examen, je mets en route l’enregistreur, un peu de musique et nous allons pouvoir commencer mon petit Charly.

- J’ai hâte, répondit-il avec une ironie dont il ne se cacha pas.

Le lieutenant se plaça entre la table et les éviers, comme à chaque fois. Il aurait sûrement besoin de se rafraîchir un coup s’il tenait jusqu’à l’examen interne du corps d’Alexian. Il sortit son petit carnet et un stylo noir pendant que l’assistant ramenait un second chariot.

Le légiste se tourna et zieuta le contenu. Il n’avait pas oublié la cisaille pour les côtes cette fois, un bon point. Serin, il fit claquer l’épaisse couche de gants et orienta la lumière sur le défunt. Il pressa le bouton « play » de sa télécommande. Un homme cracha sa musique, mélange de cris et de basses saturées. Son dictionnaire se limitait aux classiques insultes proférées contre la République.

Le vieil homme se précipita vers sa chaine stéréo et changea de disque. Il adressa un clin d’oeil à son visiteur. Mozart entama alors sa cinquième symphonie.

- Le classique détend. Un peu de douceur pour accompagner cette tragédie.

De nouveau concentré, le médecin retira le drap blanc recouvrant la nouvelle victime. La mort tenta de l’éclabousser de son sombre éclat, mais il ne cilla pas. Comme toujours.

- Homme blanc, de type caucasien, originaire de la belle et grande Russie. Un mètre quatre-vingt-cinq à peu près, corpulence normale, dans les quatre-vingts kilos. Tu ne notes pas ce que je dis ? s’interrompit l’homme.

Dupuis lui montra son bloc. Il avait anticipé les observations préliminaires.

- Bien. Tu progresses petit. D’aspect général, le sujet a été soumis à des pratiques de torture semblerait-il. De nombreux stigmates sont visibles à l’oeil nu, de natures très variées allant des plaies aux brûlures. Les outils ayant permis ce… massacre, sont nombreux. Nous tenterons de les identifier après avoir procédé à l’entier examen.

L’homme s’empara d’une feuille et d’un stylo. Il fit un tour du corps et plaça sur son papier l’ensemble des anomalies qu’il devrait étudier avec minutie.

- Il n’a pas laissé la moindre chance à sa victime. Elle serait morte quoi qu’il se passe.

- N’est-ce pas le coup à la gorge qui a tué notre homme ?

- J’ai bien peur que cela n’ait fait qu’abréger ses souffrances. Observe avec attention le corps, le nombre de plaies est impressionnant. Elles sont toutes bourgeonnantes. Mais certaines ont été faites post-mortem. Peu de sang autour de cet orifice ou celui-ci.

Il indiqua deux petits trous au niveau des côtes.

- L’agresseur a passé ses nerfs sur la victime alors qu’elle n’était plus de ce monde, reprit le scientifique.

- Cela voudrait dire que…

- Soyons méthodique Charles. Je t’ai toujours dit que les conclusions ne devaient intervenir qu’après un examen total des éléments mis à ta disposition. L’examen externe, mais aussi l’examen interne pour confirmer ou infirmer les premières constatations. Nous ne sommes qu’au début. De la patience mon jeune ami, de la patience.

Le lieutenant ravala ses mots et se tut. Il n’essaya même pas de raisonner intérieurement, le technicien l’aurait deviné.

- La tête. Que peut-on observer ? Un bel hématome sur la pommette gauche, d’un joli bleu. Il a le nez cassé, son cartilago nasi lateralis est réduit en compote quand je touche son nez. L’os nasal a été touché aussi. Il présente un hématome à cheval sur les deux zones. Soit il y a eu deux coups, soit l’objet était assez large pour exercer une lourde pression sur le cartilage et l’os.

L’homme nota son observation sur une seconde feuille. Dupuis l’imita.

- Des traces de brûlures sur les paupières aussi, je dirais de deuxième degré profond ou de troisième degré. Il y a des phlyctènes, appelées aussi cloque ou ampoule. Elles sont percées. Le derme est décoloré.

- Le derme ?

- Tu ne connais pas encore tout ton vocabulaire thanatologique. C’est une couche de la peau. Il y a l’épiderme, le derme et tout en dessous, l’hypoderme ou tissu sous-cutané. Approche-toi et regarde cette zone.

Approchant la lampe d’autopsie, loupe intégrée, il grossit une zone précise. Le bout de son crayon montrait une portion jaunâtre et blanche par endroit. Le flic identifia le globe oculaire grâce à la couleur verte de la pupille. Il eut un haut-le-coeur.

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