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Les sirènes hurlèrent dans la cour du commissariat. Pas moins de trois voitures entouraient le fourgon, d’où fut extrait un jeune garçon par deux hommes. Les charognards de journalistes firent crépiter les flashs, les questions s’abattirent sur les policiers dans une cacophonie sans nom. Couverture sur la tête pour éviter qu’un cliché ne sorte, le petit groupe se précipita dans le poste.

Une seconde personne, de couleur noire, sortie avec un grand sourire. Pas un seul ne dénia lui accorder son attention, la foule n’avait d’yeux que pour l’assassin.

À l’accueil, Marie se présenta face aux entrants, laissant tomber le pauvre jeunot dont elle avait fait valser le coeur. Lucas n’eut pas de mal à la reconnaître, son coeur avait dansé au rythme de l’amour quelques mois plutôt. Comment résister à une beauté de la nature ? Personne ne le put.

- Messieurs, je suis l’avocate de ce jeune garçon. Je vous prierai de me laisser seule avec lui un instant.

Les deux policiers dévisagèrent la conseil d’un air peu coopératif, puis ils continuèrent leur route. Marie resta sur place, désabusée.

- Gaufron, ouvre-nous la porte, le commissaire Marone nous attend de toute urgence.

- De suite.

L’homme chercha son passe sous le regard perplexe de l’assemblée. Il feuilleta une pile de dossiers, ouvrit ses tiroirs, ou bien se tapota le corps. Rien. Il n’avait plus son badge.

- Je l’avais il y a dix minutes.

- Gaufron ! s’énerva le plus massif des deux.

- Je te promets.

Le deuxième arrêté pénétra à son tour dans les locaux, le sourire toujours aussi large. Lorsqu’il aperçut la jolie blonde appuyée sur le comptoir de l’accueil, il ne put réprimer un rictus de satisfaction. Ce Jules en a dans le froc décidément, se dit-il. Babacar passa devant Marie, mais fit mine de ne pas la connaître.

- C’est bon, j’ai le mien.

Un agent sortit d’une pièce annexe, la main tendue vers ses collègues. Entre ses doigts, une carte blanche qu’il apposa sur un boitier. Les portes s’ouvrirent dans un « bip » prolongé, laissant apparaître une multitude de bureaux plus ou moins occupés. Un escalier menait directement à un grand bureau, celui où Lucas allait être présenté sous les yeux interrogateurs de son « avocate ».

Elle suivit le petit cortège, d’un pas inaudible, guettant le moment propice pour passer à l’offensive. Deux ombres se distinguaient à travers les stores de l’immense bureau du commissaire. L’une marchait, traçant un cercle virtuel dans la pièce, l’autre était immobile.

Tout le monde attendait le dénouement. Le ton montait dans la pièce, les mots fusaient ; rien d’intelligible. Le commissaire ne devait pas être quelqu’un de très sympathique. Un officier se tourna vers son collègue, lui glissant une question à l’oreille. Le temps ne s’écoulait plus, tous retenaient leur respiration. Le capitaine Laville était un modèle pour la plupart des flics dans la pièce, il les avait formés sur le terrain.

Après un court instant, la porte pivota et Laville quitta le bureau, la tête penchée vers l’avant. Les coeurs se brisèrent.

Les deux agents encadrant Lucas s’engagèrent parmi la foule. Personne ne s’opposa, personne sauf Nicolas Laville. Ce n’est pas son corps qui freina le cortège, mais son aura. Son regard poignarda tour à tour les deux hommes. Il savait qu’ils ne faisaient que leur boulot, mais ce sentiment de colère en lui était bien plus intense que la raison qui le guidait habituellement.

Il échangea un regard avec son fils. Les deux retinrent leurs larmes. La fierté des Laville. Marie eut à peine le temps de masquer son visage. Elle ne devait pas se faire remarquer ou le capitaine déchu se douterait que Jules rodait dans le coin. Le flic n’avait jamais adhéré aux méthodes du garçon, même si elles avaient pu lui permettre de résoudre une enquête plus que mal engagée.

- Ne parle pas mon fils. Je m’en vais te dégoter un avocat, le meilleur.

- Papa…

- Sois fort bonhomme.

Il lui posa la main sur l’épaule. Il aurait aimé le prendre dans ses bras mais… Encore cette maudite fierté. Le plus jeune des officiers s’avança pour lui demander de reculer, mais son collègue le stoppa d’une main désapprobatrice. Il s’écarterait de lui-même. Le provoquer serait une terrible erreur. Entre flics, il fallait savoir se serrer les coudes.

- Je n’ai rien fait.

- Je le sais.

- Alors pourquoi moi papa ? couina Lucas.

- Je ne peux pas te le dire, je n’ai pas la réponse.

La larme perlant au coin de l’oeil, l’homme fit place et laissa son fils pénétrer dans le bureau du commissaire. D’un pas désarmé, il emprunta la porte sécurisée et regagna l’accueil.

Marie resta en retrait, cachée derrière les quatre officiers de police et les deux menottés. Elle avait préparé son entrée en scène. Elle devait s’entretenir avec Lucas dans une intimité totale et son vieil ami le code de procédure pénale allait l’aider.

Le commissaire Marone s’était assis dans son fauteuil, tournant le dos au défilé pénétrant dans la pièce.

- Monsieur, nous vous amenons le dénommé Lucas Laville, conformément à votre demande.

- Et le deuxième ?

- Il était sur les lieux où nous avons arrêté le suspect.

- Un lien entre les deux affaires ?

Le flic regarda tour à tour les deux hommes, interrogea du regard son collègue. L’officier haussa les épaules, réclama en silence le soutien de ses partenaires d’un geste de la tête. Babacar resta de marbre, il connaissait ce genre de situation. Ne pas broncher était la seule solution. Il ne devait pas être relié à Lucas.

- Pas que je sache, finit par dire l’agent.

- Relâchez-le et dehors. Je me charge de Jamlin pour l’interrogatoire du petit Laville. Emmenez-le dans le bloc numéro trois et préparez le matériel s’il vous plaît.

- Bien mon…

Marie flaira le bon moment pour sortir ses griffes. Elle glissa son petit corps entre les policiers et posa ses deux mains sur le bureau du commissaire. Les yeux fâchés, son corps tendu pour se grandir, elle prit une grande respiration et se lança sans plus attendre.

- Et les droits de la défense ?

- Les quoi ? s’étouffa Marone et se retournant.

Par pure provocation, il se leva, balaya la pièce et fini par baisser le regard pour découvrir la jeune juriste. Elle le fixa droit dans les yeux. Ce défi qu’une femme vous lance quand elle sait que vous avez fait une bourde, mais que vous ne lui avouez pas d’entrée de jeu. Cette attente jusqu’au point de rupture où l’homme arrive toujours le premier.

Elle s’assit avec délicatesse dans l’une des deux chaises disposées face au bureau. Sa jambe droite passa par dessus celle de gauche, captant l’attention de l’ensemble de la foule. Les hommes… Pas un pour rattraper les autres. s’exaspéra-t-elle. L’index pointé vers le commissaire, elle lui désigna son propre fauteuil. Il ne contesta pas.

- Laissez-moi vous rappeler un des plus beaux articles de Code de procédure pénale. Le droit à un avocat, cela vous parle-t-il mon cher monsieur ? Vérifiez, au numéro 63-3 si vous avez un doute.

- Pour qui me prenez-vous ? rougit-il. Tous les mêmes, avec vos leçons, votre air de supériorité et tout le portrait que l’on peut faire de votre profession. On travaille ici madame, et vous nous emmerdez !

- Nous sommes donc deux à exercer notre profession. Je suis maître Piochard. Je représente les intérêts de monsieur Laville.

- C’est que je vois.

L’homme se leva. Il tentait de reprendre le contrôle de la conversation. Marie eut un sourire en coin.

- Un joli vice de procédure est si vite arrivé. Et je pense que vos supérieurs ne seraient pas ravis si un dossier criminel d’une telle ampleur se vidait de sa substance pour un si petit oubli.

- Elle me fait du chantage ou bien je rêve ?

Aucun n’osa se prononcer.

- Une application de la loi, celle qui vous est si chère, surenchérit Marie. Si je ne peux pas m’entretenir avec mon client, et ce, sur-le-champ, je ne manquerai pas de vous citer auprès de la presse. Les rapaces sont dans la rue, à vous de voir.

Pourpre, Marone se retourna pour masquer son visage. Elle avait raison sur le fond, Marone voulait simplement discuter « amicalement » avec le fils de son ami. Mais la gamine lui avait donné la leçon, qui plus est devant plusieurs subordonnés. De quoi le faire plier pour de bon, sans encombre. Il ne tenterait pas un contre, pas maintenant, mais elle le lui paierait à un moment ou un autre.

- Bloc numé…

- Numéro trois, oui. Je vous remercie. Au plaisir monsieur… Commissaire Marone.

La demoiselle se leva, fit demi-tour et emboîta le pas aux deux officiers qui conduisaient Lucas vers la salle d’interrogatoire. Elle ne prit pas le soin de fermer la porte, simplement d’adresser un signe de sa main.


***


Jules se précipita près de la fenêtre. La porte ouverte, l’officier découvrit le jeune homme près du cadre de verre. Par réflexe, il posa la main sur la garde de son arme et se figea sur place.

- Monsieur, retournez-vous lentement s’il vous plaît.

L’homme n’avait pas fait un seul pas, ses jambes ancrées sur le lino. Il guettait la réaction de l’intrus. Il n’y en eut point.

- Veuillez vous retourner, les mains en l’air. Je ne le répèterai pas. Ne m’obligez pas à faire usage de la force.

- Tu me déçois Charles. Lieutenant dans la police nationale avec ton pédigrée d’ado. Je pensais que tu en avais plus dans le caleçon.

- Pardon ?

Le flic avait été surpris par les propos tenus. Comment l’homme en costume connaissait-il son prénom ? Jules ressentit l’incompréhension qui envahissait son interlocuteur, c’était le bon timing.

- Tu ne me reconnais pas ?

Toujours prêt à dégainer, l’homme avança sa tête. Ses yeux se plissèrent et détaillèrent le visiteur qui s’était retourné. Pas après pas, il se rapprocha du blondinet. Cette tête… Cette façon de s’exprimer… Tout cela, lui rappelait un personnage de son passé, mais pas n’importe lequel. Un grand sourire se dessina sur son visage.

- Petit con.

- Oui je sais.

Jules contourna le bureau, le flic se rapprocha rapidement et ils se donnèrent une accolade très amicale. Le policier recula d’un pas, la main sur la bouche pour masquer qu’il était choqué. Les deux avaient bien changé depuis la primaire et le collège. Légèrement plus grand, il avait une carrure de sportif, comme toujours. Ses yeux noirs trouvaient un écho dans la chevelure de l’homme qui usait du gel pour les relever en de multiples pointes.

- Croquette ! Mais non… Tu fais partie de la maison aussi ?

- Non, ne rêve pas trop non plus mec, rigola Jules. Je suis un homme de droit, et je le respecte moi.

Son coeur se serra, comme pour le punir de ce vilain mensonge.

- J’aurais dû m’en douter, mais…

Le bipeur retentit. Le code lu, il saisit son téléphone tout tremblant. Il décrocha et s’éloigna dans le couloir pour plus d’intimité. Jules se précipita derrière l’écran et lança l’impression des quatre documents. Le bruit de l’imprimante aurait pu alerter tout le bâtiment, mais personne ne sortit dans le couloir. L’habitude sûrement.

Le portable de Jules vibra à son tour. Un nouveau texto de Marie.


« Je suis avec Lucas et Laville remonte. Il est de mauvaise humeur. Sors ! »


Mauvaise nouvelle. Il restait encore une dizaine de pages et la démarche singulière du capitaine Laville se faisait entendre dans les marches. Les talons s’enfonçaient avec rigueur et l’avant de la chaussure fouettait chaque marche. Fort heureusement, Dupuis n’était plus présent. Un obstacle de moins pour sortir.

Mais le pire restait à venir. Si son beau-père le trouvait ici, il lui ferait la peau sans plus attendre. Jules lui avait caché des informations. Il n’avait pas été franc, partagé entre son honnêteté envers le capitaine et la promesse faite à sa tendre. Coûte que coûte, il devait s’être éclipsé avant d’être repéré.

Plus vite que l’éclair, il se déconnecta de l’ordinateur et replaça le fauteuil sous le bureau. Petit coup d’oeil pour voir si tout était en place. Rien à signaler, parfait. Il plia les papiers en quatre et les dissimula dans la poche intérieure de sa veste. Et maintenant, sortir, au plus vite.

Jules fit un premier pas dans le couloir. Personne. Il se dépêcha de refermer la porte derrière lui. Il n’eut le temps de faire qu’une dizaine de pas qu’une voix s’engouffra dans le corridor pour l’envelopper.

- Oh toi ! Que faisais-tu dans mon bureau ?

Le jeune blond serra les dents, déglutit et tenta de garder son self-control. L’inévitable Laville. Toujours là au mauvais moment quand il s’agit de Jules. Heureusement la distance et le mauvais éclairage ne lui permettaient pas de reconnaître son gendre.

- Retourne-toi jeune homme.

Le flic s’était dangereusement rapproché. Sa main pouvait se poser sur Jules à tout instant. Mais une voix attira l’attention à l’autre bout du couloir. Charly. Pile dans le timing. Une chance à ne pas manquer.

- Capitaine, ils ont emmené votre fils dans le bloc trois. J’ai pensé que…

- Deux secondes l’ami.

L’homme se retourna, mais sa cible avait disparu. Il se précipita dans le couloir. Plus personne. Une grimace d’énervement s’empara de lui. Rien ne tournait rond pour lui aujourd’hui. Il aurait juré qu’il connaissait l’individu. Taille, corpulence, chevelure… Tout cela ne lui était pas étranger. Mais l’identité lui échappa.

- Merci Dupuis, je suis au courant. Viens avec moi et préviens les collègues, il faut chopper ce type.

Dévalant les marches le plus vite possible, Jules regagna l’accueil. Il s’assit un court instant sur une chaise. Les feuilles à la main, il les glissa dans son sac et se rapprocha du comptoir. Avec discrétion, il glissa le passe sous une pile de dossiers en attente d’orientation. Le bleu cherchait toujours son badge. Le sourire aux lèvres, il poussa les portes du poste de police.

Sur le trottoir d’en face, Babacar l’attendait. Bras et jambes croisés, il secoua légèrement la tête. Du grand n’importe quoi, pensa-t-il. Mais une fois de plus, ils s’en étaient tirés comme des chefs. Plusieurs agents sortirent du poste en trombe. Les deux amis déguerpirent sans demander leurs restes.

Il ne restait plus que Marie dans l’antre du loup. Son rôle était plus que capital. Si elle ne parvenait pas à récolter assez d’éléments auprès de Lucas, l’aider relèverait de l’impossible.

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