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Six heures trente-cinq du matin. Les premiers rayons de soleil transperçaient le double vitrage mal refermé. Un doux filet de chaleur réchauffant l’air de la chambre, chatouillant les yeux encore trop lourds pour s’ouvrir. Le réconfort avant d’affronter la terrible civilisation du vingt et unième siècle.

Enroulé dans sa couverture, seuls quelques épis de cheveux dépassés. L’hibernation en fin d’été, nouveau concept créé par Jules. Il était un amoureux né du sommeil. A vingt-huit ans, il ne cessait de trainer dans son canapé-lit le matin. L’archétype de l’enfant refusant d’aller à l’école. Sauf que lui aller donner des cours à la fac. Une nuance sans importance. Tout était prétexte pour câliner le matelas cinq minutes de plus.

Une légère brise le caressa avec tendresse. Trop de violence d’un seul coup pour le jeune homme qui bougonna dans son sommeil. Jules était un dormeur, un vrai. Et de compétition en plus ! Un seul ennemi : le réveil, programmé qui plus est.

Son bruit répétitif, tel un coassement aigu, frustra le blondinet au point d’avoir une réserve de réveil dans le placard. Un accident arrive si vite de nos jours. L’effort inhumain qu’il fallut pour presser le bouton le vida de ses forces. Son bras retomba immédiatement dans le vide.

Un vrai compétiteur, le gars, une bête à toute épreuve.

Le bruit de la clef dans la porte alerta l’attention de l’éternel adolescent. Son œil droit s’ouvrit. Bravo gars ! Il pencha la tête sur le côté droit et s’immobilisa, attendant la suite des événements. La cadence des talons sur le sol n’annonçait pas une bonne nouvelle. Mais Jules reprit sa position du dormeur et se laissa aller.

- Croquette ! Debout ! aboya Alice à travers l’appartement.

« Croquette », ou le surnom le plus débile du monde. Vingt ans qu’il le poursuivait malgré lui. Ce moment resterait dans sa mémoire à jamais. Cet idiot d’Arthur Conigan, disons même ce gros con, avait remplacé les céréales de l’adorable petit Jules par des croquettes pour chien. Il n’y avait vu que du feu. Enfin, jusqu’à ce qu’un horrible goût envahisse la bouche du garçon. Tout le monde avait ri. Ainsi, il fut surnommé « Croquette ». Triste vie.

- Croquette !

Plus de doute possible. Jules posa ses mains sur son lit et s’assit avec le plus grand flegme possible. Ses yeux n’avaient toujours pas daigné s’ouvrir. Alors qu’inévitablement, son corps subissait l’attraction du matelas, Alice le rattrapa in extremis.

À peine le temps d’un furtif baiser qu’elle lui exposa la situation, paniquée.

- Lucas s’est mis dans une merde noire. Mais un truc de dingue.

- Hum hum.

- Il a les flics à ses trousses Jules ! Les flics !

- OK.

- Non mais tu te rends comptes ! C’est de la folie ! Je suis stressée, je n’ai pas dormi de la nuit.

Jules tourna la tête vers sa dulcinée, le regard à la fois perdu et pensif.

- Attends. Ça va trop vite. Mon cerveau est hors service.

- On va l’accuser du meurtre de son ami, le russe là. Ils veulent le jeter en prison jusqu’à la fin de sa vie.

- Alexian ?

La jolie brune déplia son mètre soixante-sept, rehaussé de huit centimètres de talon. Ses yeux azurs transpercèrent Jules qui esquissa un sourire nié. Elle quitta la pièce agacée, mais s’empressa de revenir. Laissez Croquette trop longtemps seul, et le sommeil l’emporte, quelle que soit l’heure.

L’odeur du café et des petites biscottes beurrées flottèrent juste qu’au nez du feignant dont l’appel du ventre fut plus fort que tout. Le prendre par les sentiments, rien de plus efficace. Alice connaissait son âme-sœur par cœur.

- Tu vas m’écouter cette fois ? l’apostropha-t-elle.

- Opérationnel, Chef.

Assise à l’autre bout du lit, Alice sortit son bloc-notes. Les pages tournèrent à un rythme effréné, sous le regard interrogateur de Jules. Il fut châtié par l’index droit de sa compagne pointé en direction de sa bouche. L’homme ravala sa question.

- Lucky devait se rendre chez Alexian pour l’emmener en boîte. Le « Roméo Club », dans le 5e arrondissement. Il a dû arriver chez lui vers vingt-deux heures, peut-être et quart. Il fait toujours ça les vendredis soir.

Lucas trempait sa troisième biscotte, veillant d’un œil discret à ce qu’elle ne s’imbibe pas trop de café.

- Il m’a appelé en panique, il respirait rapidement. Je n’ai pas tout compris. Mais putain, dans quelle merde est-il ? Il ne répond plus !

Un morceau tomba dans la tasse. Comme un enfant, le blondinet se redressa et fixa Alice les yeux remplit de larmes. Il mit sa main devant pour qu’elle ne s’en aperçoit pas.

- Et où est-il maintenant ?

- Je n’en ai vraiment aucune idée. Je… Je lui ai dit d’aller vers le sud de Paris.

- Seul lui peut nous dire ce qu’il s’est passé. Sa version est importante.

- Je le sais ! Que crois-tu ? J’ai tout fait pour essayer de le retrouver, j’ai fouillé partout où il a ses habitudes. Rien. J’ai contacté ses potes. Rien. Je ne sais plus quoi faire !

Alice fit les cents pas dans la chambre. Lui la suivait du regard toujours à moitié dans le brouillard matinal du réveil.

- Et donc ? questionna-t-il.

- Et donc quoi Jules !? Je n’ai pas de nouvelles !

- Embêtant…

Jules se lécha le bout des doigts. Il engloutit son café et se leva avec flegmes. Il se dirigea faire son armoire et tira le rideau qui masquait les piles désordonnées de vêtements. Alice soupira. Tous les mêmes, pensa-t-elle. Sans trop réfléchir, l’« adulte » saisit une chemise blanche, un jean et sa paire de derby neuve, marron bien sûr.

- Tu peux me faire une petite chronologie des événements.

Il n’eut pas de réponse.

- S’il te plait mon cœur ?

Il lui adressa un semblant de sourire. « Il n’a même pas écouté le con ». Elle prit son stylo, griffonna quelques mots sur son bloc et une fois prête, elle se répéta.

Rien de mieux que la douche du matin pour se remettre les idées en place. Jules n’avait absolument rien compris de l’histoire de sa petite amie. Une chose trottait dans sa tête : Lucas et la police jouaient au chat et à la souris. Pas très rassurant lorsque l’on connaissait l’énergumène. Son niveau de maturité aussi.

Sur le trône, le garçon prit le journal. Il tendit le bras gauche et tourna le robinet d’eau chaude, puis tira le rideau. Petite commission terminée, il s’étira dans tous les sens. Son corps craqua à plusieurs reprises. Alice détestait ce moment, lui rigolait comme un âne. Sans plus attendre, il s’abandonna à la chaleur du jet.

Secouant la tête pour évacuer le surplus d’eau dans ses cheveux, Jules passa une serviette autour de sa taille, mais ne bougea plus. Ses neurones enfin connectés, il se gratta le menton. Les hypothèses s’accumulaient dans son cerveau. « Fais un tri mon vieux, ça déborde ».

Un piège ? Trop peu probable, il n’avait pas un pedigree à faire rougir les têtes pensantes. Un trop plein d’alcool peut-être, suivi d’un regrettable geste ? Là encore, le beau-frère n’avait pas le cran nécessaire. Et l’heure annoncée par Alice ne coïncidait pas. Trop de trous pour pouvoir esquisser un semblant de pistes. Jules avait besoin d’un peu plus de matière pour réfléchir. Alice pourrait sûrement l’aider.

Un épais nuage s’échappa de la salle de bain. La jeune femme se retourna pour admirer le spectacle d’un homme plein de charme, habillé d’une élégance à toute épreuve. Elle ne fut pas déçue : Jules était en caleçon, troué bien sûr, et se grattait les fesses avec « légèreté ». Un rêve si doux d’enfance… Malheureusement envolé.

- J’ai oublié mes affaires, sourit-il.

Alice s’empara de son téléphone portable. Toujours aucune nouvelle de son frère. Il n’avait pas non plus reçu ses quatre derniers messages. Des dizaines de questions lui traversaient l’esprit. Son cœur était meurtri par ce silence insoutenable. Même s’ils n’avaient pas toujours été en bons termes, Lucas restait son « bon à rien » de fraternel. Elle serait prête à tout pour l’aider, même l’impensable.

Jules se battait avec son jean pour ne pas tomber en l’enfilant. Le mettre à l’envers n’était pas la bonne solution non plus. Alice eut un léger sourire, ce qui n’échappa pas à son prince charmant. La chemise à peine boutonnée, il la prit dans le creux de ses bras. Un seul acte peut remplacer des milliers de mots pour s’exprimer.

- Lucas est un imbécile, commença le blondinet, penses-tu qu’il aurait pu déraper ?

Cela ne plut pas à Alice. Son regard glacial s’abattit sur le jeune homme. La chaleur du réconfort se transforma en une atmosphère propice à une pluie de reproches. Mieux valait-il désamorcer cette bombe à retardement au plus vite.

- Tu sais pertinemment que je ne fais qu’envisager…

- Toutes les hypothèses possibles, finit-elle.

- Voilà. Il faut traiter le problème sous tous les angles ma chérie.

- Oublie cette piste.

Préférant ne pas insister au risque de subir les foudres, Jules saisit sa sacoche en cuir. Il y inséra un paquet de copies et une pochette verte. Sûrement l’interrogation surprise classique. Son corps fit volte-face pour se diriger vers le bureau où il ferma sa trousse.

Il prit une grande inspiration. Ses jambes se fléchirent. Un grand moment de sport en direct. Sa concentration était au summum. Il avait dans les mains la balle de la gagne, le titre de champion. L’exécution parfaite de la gestuelle ! La trajectoire magnifique ! Oh ! Le méchant contre du défenseur ! Alice avait attrapé la trousse au vol.

- On y va Croquette. Tu vas être en retard, et moi aussi. Je dois retrouver Lucas.

Jules retira la trousse des mains d’Alice, l’enfourna dans sa sacoche et se dirigea vers la porte de sortie. Il ouvrit la porte de son petit appartement à sa belle. Elle s’engagea dans le couloir. Jules admira la silhouette de sa dulcinée. Une idée lui traversa l’esprit. Pervers.

- Attends, j’ai oublié un truc, lui dit-il.

Se faufilant rapidement dans le cagibi, le jeune blond monta sur la pointe des pieds pour atteindre un sac de sport noir. Tirant sur les poignets, une boite à chaussures vide lui tomba dessus. Ne prenant pas le temps de tout ranger, il sortit de l’appartement, prêt à tout affronter.

Tout, même ses étudiants de deuxième année.

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