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Il ne fallait pas que cette vieille commère entre dans l’appartement. Lucas l’avait déjà vue faire avec Alexian, un vrai roquet. Une tornade se dirigeait droit vers cette zone déjà sinistrée. Une catastrophe en perspective. Lucas rabattit l’écran de l’ordinateur et se précipita vers le disjoncteur. Le chaos dispersa de nouveau son enveloppe noire dans le meublé.

La porte d’entrée, à moitié ouverte, laissa apparaître la silhouette de la femme. Petite à première vue. Le grand brun jeta un regard inquiète dans la pièce, il ne devait pas être vu ici, pas dans de telles circonstances. Cette gardienne était une créatrice d’embrouilles. Un rien devenait une affaire d’État. Le danger était bien trop important.

Pris de vitesse et de panique, Lucas se jeta sur le canapé. Un bout de verre lui griffa la peau. Son sang perla. L’excédant tomba. Le garçon retint un grognement et se faufila dans la chambre.

- Monsieur Kritovsk, c’est la gardienne. Puis-je m’entretenir avec vous à propos du bruit incessant dont vous êtes l’auteur ?

La femme avait déjà pénétré dans l’appartement, sa tentative d’allumer la lumière manquée. Lucas écoutait avec attention chaque bruit pour la localiser. Le verre écrasé signifiait qu’elle était encore dans le couloir. Il lui restait peu de temps pour trouver une idée et se sortir de ce piège.

Assis par terre, le dos contre la bibliothèque, Lucas posa sa tête dans ses mains. Il vivait un cauchemar. Un de ceux que l’on invente avec ses amis dans une pièce noir, une simple lampe comme repère dans les ténèbres. Sauf que cette fois elle était réelle. Ne t’apitoie sur ton sort ! La vieille Dormoy allait découvrir le corps d’Alexian et plonger elle aussi dans ce que la noirceur de l’âme humaine provoquait.

- Monsieur Kritovsk, si vous ne répondez pas à ma sollicitation, je serai dans l’obligation de vous mettre à la rue, et ce dès demain matin.

Quelle conne, pensa Lucas. À peine eut-il fini de se faire cette réflexion que la lumière dévoila à la gardienne l’horreur qui régnait dans l’appartement. Un hurlement s’en suivit. Un de ces cris glaçant qui n’en finit pas, les poumons complètement vidés.

- Mon dieu ! À l’aide !

Des choses ignobles, elle en avait vu. Des voisins ivres aux visages cadavériques. Des sacs poubelles éventrés, du vomi ou tout autre déchet humain dans les escaliers. Rien ne manquait à sa liste, rien sauf un mort. C’était chose faite.

Elle s’agita dans tous les sens à la recherche d’un soutien qui ne vint pas. De peur, elle fit tomber le verre d’eau laissé par Lucas sur la table haute. Le chat qui se réconfortait dans ses jambes prit peur et se réfugia vers la chambre. Lucas ne vit pas la boule de poils s’approcher de lui. Le temps de percuter, il était trop tard. Son allergie provoqua un éternuement.

L’atmosphère se gela. Madame Graignard se décomposa. Ses yeux se fixèrent sur le porte-couteux. Elle glissa sa main jusqu’à l’atteindre. Ses doigts saisirent le plus grand. Ses deux mains tremblantes tentaient de maintenir la lame droit devant elle. Elle pivotait lentement sur elle-même quand elle percuta la chaise de torture. L’air fut poignardé à plusieurs reprises, dans des hurlements inaudibles.

Je sais que vous êtes là !

Elle continua d’assassiner avec acharnement sa cible imaginaire.

Sortez ! vociféra la femme, sa lame agitée dans toutes les directions.

Ce n’est pas ce que vous croyez…

Lucas brisa son silence. Il laissa dépasser un œil pour évaluer la situation. Près de l’accès au couloir, la gardienne bloquait la seule issue. Que pouvait-il entreprendre ? Il n’était pas envisageable de négocier, son état hystérique la rendait incontrôlable.

La lumière sauta une nouvelle fois. Fichu disjoncteur. Combien de fois Lucas avait sermonné Alexian pour qu’il le fasse changer. Trop pour les compter.

De nouveau dans le noir, le jeune homme n’hésita pas. Cette opportunité inespérée ne se représenterait pas.


***


Alors que madame Graignard se retranchait dans le couloir, Lucas bondit sur le canapé. Il progressa à petits pas, se référant à l’ombre de la gardienne sur le sol. Il zieuta rapidement le sol, mais ne vit pas sur quoi il posait son pied. Erreur de débutant. Fâcheuses conséquences.

Son pied accrocha le tapis et son corps bascula. Il s’écrasa sur le sol, son bras gauche percutant le corps inanimé. De petits bouts de verre lui avaient écorché le visage et les avant-bras. Il se redressa sur les genoux, se nettoya et finit par se figer. La vieille l’observait.

La lumière reprit du service. Madame Graignard était encore dans le couloir. Elle observa le jeune homme, lâcha le couteau, et poussa un nouveau cri. N’avait-elle jamais mal à la gorge à force ? Se retournant, elle déguerpit aussi vite que possible. Paniquée, elle pressa le bouton de l’ascenseur en continu. Sa deuxième main cherchait à ouvrir la porte verrouillée.

Lucas se releva. Son coeur s’emballait. Il l’entendait chanter dans ses tempes. Les pieds dans la mare de sang, il se précipita pour tenter de rattraper la gardienne. La porte de l’ascenseur s’ouvrit, la vieille femme s’y engagea appuya sur « RDC ». Il pouvait, non il devait l’empêcher de descendre. Quelques mètres encore… Mais il trébucha lamentablement, laissant sa cible fuir. Son pied s’était accroché dans la trappe secrète où il avait trouvé la clef de l’appartement.

Sans plus attendre, il reprit ses appuis et s’engagea dans les escaliers. Il dévala deux à deux les marches, manquant de tomber dès la première. Le bruit de l’ascenseur ouvrant ses portes laissa naître un espoir. Lucas n’avait plus qu’un escalier à descendre. Il redoubla d’effort.

À peine arrivé, il se jeta sur la porte de la loge. Il pressa l’interphone une dizaine de fois. Sans réponse. Sa respiration était courte, extrêmement saccadée. Il cherchait à récupérer de son effort. La silhouette de la gardienne apparue, Lucas se redressa et tapa sur le carreau de la porte.

Il n’entendait pas ce que la femme pouvait dire, mais il ne douta pas un instant qu’elle communiquait avec la police. Un éclair de lucidité le frappa. Il sortit du champ de vision de madame Graignard. Collé au mur liant ascenseur et porte de la loge, Lucas n’osa pas se déplaçait. Le son de la communication se rapprocha, la gardienne mit un pied dehors.

Il n’en fallut pas d’avantage au jeune pour bondir et tenter de s’emparer du téléphone.

Lâchez ce putain de téléphone ! ordonna le jeune.

À l’aide !

La gardienne lui opposa une féroce résistance. Elle hurla de nouveau.

On m’attaque ! On veut me tuer !

Il se résout à employer les grands moyens et gifla son opposante. Elle se cristallisa sous le choc. Il put enfin lui arracher le téléphone des mains. Un bruit indescriptible résonna dans le hall du bâtiment. La commère fit un pas en retrait et verrouilla l’accès à la loge. Lucas jeta le portable contre le sol. Il explosa en plusieurs morceaux. Pour s’assurer qu’il serait inutilisable, le jeune homme assena un coup de talon dévastateur à l’appareil ; il ne s’en remettrait pas.

Le jeune homme commençait à perdre la maîtrise de ses émotions, mauvais signe. Il lui fallait quitter les lieux au plus vite.

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