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Démarche de dragueur, son majeur et son pouce claquaient ensemble pendant que son autre main replaçait une petite mèche. Lucas fit un tour sur lui-même avant de s’arrêter devant la porte de l’appartement de son ami. Ce soir, il sortait en boîte. Comme à son habitude, il embarquait son étranger préféré, véritable aimant à femme.

D’un petit geste des bras, il réajusta les manches de sa chemise en soie bleu marine. Il inspecta les ongles de sa main droite. Parfait, comme tous les vendredis soir. Ceux de la main gauche ne présentaient aucun défaut non plus. Son visage afficha une expression d’autosatisfaction. Il était fin prêt à sonner.

Son index gauche se raidit vers sa cible : le petit bouton blanc sur le mur. Il le pressa avec talent. Juste ce qu’il fallait. Un son s’échappa derrière le battant.

Les épaules en rythme, petit déhanché à droite et jeu de jambes très brouillon ; Lucas répétait les pas qu’il utiliserait pour tenter de ramener une belle demoiselle ce soir. Dans le dernier mouvement dans sa chorégraphie, il tendit le bras gauche sur le côté. La sonnette s’exprima de nouveau.

Le même bruit sourd, le même résultat : personne.

- Tête de con, ouvre ta porte là. On va louper les cocktails gratis et le happy hour. Merde gros.

Il dansa jusqu’à la porte d’en face, et revint d’un pas normal.

- Je sais que tu es là. Betty est au top, avec le lapin que tu lui as posé.

Il éclata de rire. Ses mains s’agitèrent pour lui apporter un mince filet d’air. Son calme revenu, il constata que rien n’avait évolué.

- OK… Elle n’était pas drôle Alexian.

Ses doigts grattèrent son crâne. Faire réfléchir son cerveau à presque 22h00… Sacrilège ! Sans plus attendre, il souleva le paillasson. Un petit chien noir sur un fond blanc. Ou plutôt blanc plein de terre. Quelques toutes petites taches rouges, trois fois rien.

Sans plus y prêter attention, Lucas déposa le paillasson le long du mur. Il s’accroupit, posa les doigts de sa main droite sur le sol et les laissa glisser sur les lattes du parquet. Il répéta le même rituel plus près de la porte. Alors qu’il entamait une quatrième planchette, ses doigts se bloquèrent. Ses ongles se plantèrent dans le bois pour soulever un petit morceau prédécoupé.

Un creux assez étroit apparu. La lumière sur le palier s’éteignit. Lucas soupira. Il se releva et pressa l’interrupteur situé au milieu du couloir. Il avait perdu sa démarche de star. L’ampoule grésilla, mauvais signe. Sa lueur illumina l’étage.

Au-dessus de la cachette, le jeune homme glissa deux doigts dans l’ouverture pour saisir le haut d’une enveloppe. Il s’y reprit à trois fois avant d’extraire avec prudence le pli. L’opération terminée, il secoua l’objet. Un sourire se dessina sur ses lèvres.

- Je te connais trop mon gars. Tu devrais changer ta planque.

Il gloussa.

Redressé, il tapota son pantalon. Bonne idée de ne pas mettre du blanc, il aurait été foutu sinon. Lucas aimait l’auto-congratulation. Il prit le temps de réajuster de nouveau sa chemise, sa mèche et zieuta ses ongles. Rien à signaler. Le jeune playboy dévoila le contenu de sa prise : les clefs de l’appartement.

Il lui en fallait peu, très peu même, mais son visage retrouva une expression de vainqueur. Il était décidément le meilleur ce soir. Il se baisa le dos de la main droite.

Il souffla sur la clef, retirant le peu de poussière. Son index gauche inspecta chaque rouet, comme pour vérifier qu’il n’y avait pas d’erreur. Il introduit le panneton dans la serrure et tourna la clef à l’aide de l’anneau. Il y eut un premier déclic, mais le second bloqua.

- Mais qu’est-ce que c’est que cette merde ? s’agaça Lucas.

Il secoua un peu la porte. Un nouveau déclic. Le battant céda dans un long couinement. La lumière se coupa de nouveau. Le jeune homme pénétra dans l’appartement avec de petits pas. Ses mains tapotaient le mur d’entrée, mais l’interrupteur ne se laissait pas approcher. Tant pis, il savait où était celui du salon.

Lucas se retourna vers la baie vitrée. La lune ne brillait plus, masquée par les nuages épais et nombreux. Son pied droit écrasa un morceau de verre. Lucas sursauta. Je suis trop con.

Ses mains sur son cœur, il ricana de cette frayeur enfantine. Il avança encore d’un pas. Même scénario, même réaction.

- Mec tu aurais pu faire le ménage non ?

Alors qu’il arrivait dans le salon, une odeur de fer le saisit. Du sang ? Il se stoppa net. Avoir un père flic n’avait pas que des mauvais côtés. Quelque chose n’allait pas. Son cœur s’emballa. Il bascula le bouton électrique. Pas de courant.

Il connaissait l’appartement sur le bout des doigts et n’hésita pas un seul instant. Sa main passa par-dessus la table haute de la cuisine. Il tripota le tableau à fusibles. La lumière jaillit.

Ses pupilles se rétractèrent avec urgence, ses paupières se fermèrent dans la foulée. Il se frotta les yeux pour évacuer son aveuglement temporaire. Sa paupière droite s’ouvrit, suivie de la gauche.

L’horreur étrangla Lucas.

Une lutte acharnée… Un massacre… Les traces de violence transpercèrent le jeune informaticien. Il avait encore du mal à garder les yeux ouverts, ses mains en barrage de la puissante lumière. Il se sentit partir, mais se rattrapa à temps, sa main sur une chaise haute.

Le meuble de la télévision avait été renversé contre la table basse, brisée en deux. Des livres jonchaient le sol, mais aussi les cadres photos et des planches de bois brisées en plusieurs morceaux. La baie vitrée présentait une large fissure. Sûrement dû à l’impact de la chaise sur le sol.

Lucas voulut faire un pas vers l’avant, mais il se cogna. Un petit cri de douleur voulut s’échapper. Il fut bloqué au milieu de la gorge du garçon. Tous ses muscles étaient tétanisés.

Devant lui, Alexian sans vie.

Des cordes coupées baignaient dans une mare de sang. Du sang frais. Partout. Des taches circulaires, plus ou moins grandes, s’éparpillaient sur le sol, la plus grande aux pieds de la chaise ensanglantée.

Par endroit, de petits morceaux de verre reflétaient la lumière quand ils n’avaient pas été colorés par l’hémoglobine. De petites gouttes jouaient les solitaires dans le couloir, alignées les uns derrières les autres, comme fuyant l’atrocité dont elles avaient été témoins.

Le corps penchait très légèrement vers l’avant, sur la gauche. Vêtu d’un caleçon noir et d’une chemise blanche. Lucas la reconnut. Sa chemise… Celle qu’il avait prêtée à son ami au moment de leur première soirée ensemble, trois mois plus tôt. Blanche comme la lumière de la vie, lui avait-il soufflé. Ils avaient ri. Maculée de pourpre à présent, des trainées ou bien de larges tâches, comme pour figer le passage de la mort. Le graver dans l’esprit de ceux qui vivaient toujours dans ce bas-monde.

Les jambes pliées à quatre-vingt-dix degrés laissaient apparaître de petits épaisseurs par-ci par-là. Grand nombre de plaies fendaient à la chaire du garçon. Des petites crevasses vers les profondeurs de ce corps sans âme. Les pieds nus tachetés étaient cernés par une flaque de sang épousant parfaitement leurs contours.

Lucas tomba à genoux. Son pantalon commençait à boire le sang, il ne s’en aperçut pas. Sa tête reposait dans les paumes de ses mains. Il sanglotait. Il posa sa mains droite au sol, cherchant un appui de plus pour ne pas sombrer.

Une épaisseur attira son attention.

Il l’attrapa et le porta à hauteur des yeux. Bien que des larmes continuaient à s’accumuler devant ses pupilles, il n’eut aucune difficulté à identifier ce qu’il tenait : un doigt.

Lucas tourna de l’oeil une nouvelle fois quand il s’aperçut que deux autres baignaient dans le sang. Il leva la tête et découvrit comme le Mal pouvait être d’une extrême violence.

Son estomac se retourna. Il fit volteface et se précipita vers les toilettes. L’odeur du fer se mêla à celle du vomi. Au moins deux fois. C’était un cauchemar, rien de plus. Assis par terre, contre le mur, il fit défiler le papier entre ses doigts et s’essuya la bouche. Il tira la chasse d’eau et rabattit le battant.

Il allait revenir dans le salon et rien de tout ce qu’il avait pu voir ne serait vrai. Un peu de courage, rien de plus. Il se redressa, posa sa main sur la poignée de la porte et après une ultime hésitation, il se lança..

- Rien n’est réel. Non, rien n’est réel. Rien… n’est… réel…

Profonde désillusion.

Lucas resta prostré à l’entrée de la pièce. Il avait besoin de boire un verre d’eau, ou d’alcool. Peu importait. Il se dirigea vers la cuisine, les yeux fixés au loin pour esquiver la scène de massacre. Sa main saisit un verre sur l’égouttoir dans lequel il fit couler un peu d’eau. Le liquide transparent remplit son cristal.

Le garçon ne put avaler qu’une seule gorgée. Il attaqua avec désespoir la bouteille de Poliakov. Oublier, il fallait oublier. Rien d’autre.

Des souvenirs le submergèrent. Leur rencontre dans le hall de la société. Il l’avait dévisagé, lui le petit nouveau au style très peu conventionnel. Vint ensuite leur première sortie en boite de nuit et cette leçon de drague du Russe. Lucas ne voulait pas croire que son ami était mort.

Tout ce sang sur le sol…

Le jeune homme secoua la tête. Non, Alexian était un battant, il ne serait jamais tombé d’une telle façon. Des larmes coulèrent sur les joues du visiteur. Il lui fallait des réponses à présent. Il allait fouiller l’appartement pour trouver le moindre petit indice. Ensuite il appellerait son père et la meute débarquerait.

Mais par où commencer ?

Le verre posé sur la bar américain, le jeune garçon se déplaça pour atteindre l’ordinateur d’Alexian en bon état, par miracle. Il pressa deux fois le bouton droit de la souris. L’écran d’accueil s’afficha. Il fallait un mot de passe pour accéder au bureau. Lucas tenta plusieurs combinaisons, sans succès. Il ne pourrait rien en tirer.

Un coup d’œil sur la gauche lui permit de constater que la chambre avait aussi été saccagée. Que s’était-il passé ? Un vol qui aurait mal tournée ? L’appartement entier laissait cette impression. Mais… Cette chaise et tout ce sang… L’état du corps…

Lucas, perdu un instant dans ses pensées, écarquilla d’un coup les yeux. Une voix aiguë lui transperça les tympans. Pas cette putain d’emmerdeuse ! râla-t-il intérieurement.

Le grincement se répéta, un peu plus fort. La mère Graignard serait là d’un moment à l’autre.

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