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Le bruit de la ferraille s'entrechoquant glaça le sang du jeune captif. L'homme affûta pas moins de trois lames différentes avant de se retourner. Le son agressa Alexian. Sa peau laissa apparaître les frissons qui le traversaient. Il n'avait pas tout vu encore. L'intensité de la lumière n'avait pas faibli, pourtant Alexian sentait la noirceur du regard l'oppresser.

Une seringue à la main, l'inconnu s'approcha de sa cible. Telles les serres d'un aigle en pleine chasse, il s'empara du bras droit du jeune homme et isola le pli du coude. Sans réfléchir, il planta l'aiguille dans la veine basilique. Alexian geignit.

Le produit se déversa avec lenteur dans son corps. Il le sentait parcourir son bras. Des fourmillements anesthésiaient son membre. Sans plus de délicatesse, l'homme retira sèchement l'épine de fer. Un filet de sang s'échappa.

- Tu ne sentiras plus rien d'ici un instant mon ami. Cet analgésique est puissant, mais seulement local.

- Mais qu'allez-vous faire ?

Il n'eut pour simple réponse qu'un soulèvement de sourcil. Son orgueil fut piqué.

- Parlez !

Sans plus attendre, le criminel se retourna, barre de fer à la main. Le coup partit comme une balle. L'impact raisonna un moment en Alexian. Ses yeux n'osèrent pas s'ouvrirent. Il ne sentait plus rien, mais la réalité reprit le dessus. Radius et cubitus droits avaient cassé sous la pression.

- La prochaine fois, la douleur te fera hurler.

Un éclair de lucidité traversa Alexian. Son agresseur le torturerait tant qu'il ne livrerait pas l'endroit où la clef se cachait. L'homme ne partirait pas sans l'objet et il ferait le nécessaire pour l’obtenir. Peu importait la vie d'Alexian.

Le pauvre se risqua à un regard vers son bureau ravagé par l'affrontement.

- J'ai en ma possession ce que je cherche (Il montra un petit objet noir entre ses doigts). Mais la clef est morte.

- Qu'est-ce que je peux y faire ? Rien.

L'homme haussa les épaules. Il prit une chaise et s'assit en face de sa proie.

- Oh si, affirma-t-il.

Alexian frémit. Il gigota sur sa chaise. Rien à faire.

- Tu es intelligent, tu as fait une copie. Tous les gens de ton espèce ont ce maudit réflexe.

- Non.

- Si. Dis-moi où elle se trouve et je t'épargnerai. C'est une chance que je t’offre. Ne la gâche pour des informations dont tu n'aurais pas dû avoir connaissance. Sois gentil.

- Plutôt mourir.

Il regretta aussitôt.

L'agresseur se rua sur Alexian. D'une main, il lui agrippa la trachée et de l'autre enfonça un morceau de tissu dans la bouche de sa victime. Il ne voulait plus l'entendre. Il avait besoin de réfléchir. Il fallait évacuer cette pression en lui, vite. Sans pitié, il écrasa le cadavre de sa cigarette sur la joue du jeune homme. Un cri étouffé se heurta au tissu. Il se débattit.

Le sadique lâcha sa proie. Sa main s'empara d'un scalpel. Il s'approcha de l'avant-bras droit, pratiqua deux incisions et plongea les doigts dans chacune. Les muscles n'étaient pas totalement coupés. Une lame plus longue suffirait à finir le travail. Pour lui, ce n'était qu'un morceau de viande comme un autre.

Le sang coulait de toute part. Ses doigts fouillèrent dans les entailles. Le sourire aux lèvres, il extirpa un bout de radius puis un bout de cubitus. Tels des trophées, il les exhiba devant les yeux d’Alexian. Le captif tourna de l’oeil.

Un ricanement s'échappa. La pitié avait fui depuis longtemps cet homme.

Le tortionnaire chauffa avec précision un morceau de charbon de bois La flamme du chalumeau épousait la roche fossile avec passion, lui donnant une teinte orange, puis rouge. Ses ricanements continuaient. Il jubilait déjà. L’intrus apposa l'espace d'un long instant le combustible sur chacun des deux yeux d'Alexian.

- Tu n'as plus besoin de voir. Ce monde n’est plus le tien.

Les cris de désespoir s'intensifièrent. La douleur le mordait avec tant de violence, comment pouvait-il encore résister ? Il s’agita férocement et ses liens se resserrèrent encore. L'odeur de la chair brûlée se mélangea à celle du sang. La puanteur qui s’en dégageait était insoutenable. Alexian s’époumona à crier sa douleur ; personne ne l’entendit.

La sentence prononcée par son bourreau était sans appel.

Le téléphone de l'intrus vibra deux fois. Il pianota sur le mobile, rapidement agacé. Il n'aimait pas être dérangé lorsque son art s'exprimait. Ses doigts se crispèrent un peu plus sur le smartphone. Il le remit dans sa poche et remonta la fermeture éclair. Son regard se braqua sur sa cible.

- Commençons les choses sérieuses. Il est à peine 20h35. Je n'aurais qu'une seule question. Et tu n'auras qu'une seule réponse à me donner. À chaque erreur de ta part, je me verrai dans l'obligation de t'infliger un petit rappel à l'ordre. Toujours contre ma volonté, bien sûr. Ce que tu as subi jusqu'à présent n'est rien, ma précédente victime a mis cinq heures à rendre son dernier souffle.

Il fit craquer ses doigts, son cou et son dos.

- J'ai tout mon temps, conclut-il.

L'homme saisit un taser. Il appuya à plusieurs reprises sur le bouton. Un petit bourdonnement frétilla dans le creux des oreilles d'Alexian. Il le reconnut sans hésitation.

- Où as-tu mis la copie du message crypté ?

Il tentait un coup de bluff. Nerveux, l'assaillant tournait autour de la chaise. Un charognard attendant le bon moment pour becter sa proie. Pas de réponse. Il électrocuta son prisonnier : le cou, les bras ou bien le torse encore. Les couinements de sa prise l'excitaient. Il ne pouvait plus s'en passer.

- Mille excuses. J'oubliais que je t'avais fourré ce truc dans la bouche. Voilà, parle à présent.

Alexian aurait voulu crier. Le plus fort possible, se faire entendre de la vieille gardienne pour qu'elle prévienne la police. La douleur était bien plus forte, elle le paralysait, l'empêchait de s'exprimer. Il était seul face à son bourreau.

- Je ne sais pas... De... Quoi... Vous me parlez.

Une profonde inspiration. Une très longue expiration. Il n'en fallut pas plus pour annoncer la suite. Un poing rageur percuta l'estomac du bâillonné, encore et encore. Alexian toussa. Du sang coulait le long du menton du jeune garçon. plusieurs goutte s’écrasèrent sur son jean.

- Putain de con de merde ! Fous-toi ta fierté au cul !

Le Russe essaya de sourire. Cette tentative vexa le sanguinaire. Il saisit une seringue et déversa le liquide transparent dans les cuisses du jeune homme. Barre en fer entre les mains, le métal s'abattit lourdement sur les genoux. Plusieurs craquements se firent entendre. L'objet traversa l'appartement, l'homme marcha dans le couloir, marmonnant.

Le pauvre informaticien n'avait plus la force d'appeler à l'aide, plus la force de rien. Il n'arrivait même pas à gémir. Il savait qu'il ne survivrait pas. Mais il devait protéger les personnes ciblées par les données dont il avait eu connaissances, il n'avait pas le choix.

- J'ai... De la...

- Je ne t'entends pas. Parle plus fort.

Le meurtrier regagna le salon. Sa tête s'arrêta si près d'Alexian qu'il pouvait sentir l'odeur du sang frais de son jouet.

- Répète sale petit con.

Un nouveau sourire se dessina sur le visage ensanglanté et meurtri du torturé.

- J'ai de la... fierté. Et vous allez... y goûter.

Le souffle de son bourreau caressa les lèvres. Alexian prit une grande inspiration. Il s'offrit un dernier baroud d'honneur. Il racla sa gorge. Son glaire plein de sang remonta non sans peine. La douleur était intense, mais il n'y céderait pas. Le projectile fusa droit devant lui.

L'homme ne put esquiver l’attaque. Il recula, ses mains essuyèrent son visage. La fureur qu'il contenait se libéra. D’un geste, il dégagea les instruments qu'il avait disposés avec le plus grand soin sur la table. Seul un stylo restait à sa portée.

L'instant d'après, l'objet entra et sortit à quatre reprises du ventre d'Alexian. Son sang coula le long de son bas-ventre. Sa chemise blanche s'empourpra. La tâche s'agrandissait à chaque seconde envolée. Il encaissa sans réaliser, sans ressentir la moindre douleur. Probablement les doses d’anesthésiant.

Il quittait ce monde avec le sourire aux lèvres, n'en déplaise à son meurtrier.

Sa respiration se bloqua d'un coup. Ses yeux se seraient écarquillés s'ils l'avaient pu. L'air lui manqua. Plusieurs suffocations s'en suivirent. Du sang gicla sur le sol. Il se sentait partir. Il lui fallut dix longues et interminables minutes. Et son cœur cessa de réciter le chant de la vie.

Ses dernières pensées se tournèrent vers Betty. Que de regrets.

***

Le bras toujours tendu, le criminel lâcha le stylo planté en travers de la gorge d'Alexian. Il s'acharna sur lui, un peu plus encore, laissant sa colère s'exprimer.

Le temps passa. Lentement. L'homme recula subitement d'un pas. Ses mains saisirent sa tête. Il tomba à genoux. Un bref moment de lucidité, de culpabilité aussi, qui ne dura pas. L'adrénaline circula de nouveau dans ses veines. Il se redressa, regroupa ses instruments sur la table base et s'empara d'un torchon. Il astiqua chacun de ses ustensiles jusqu'à ce que des crampes lui saisissent les doigts.

Le rituel fini, il les plaça avec minutie dans son sac de sport noir.

Le corps de sa victime semblait le regarder. Lui n'osait plus. Comment avait-il pu ? Rien ne pouvait justifier son comportement. Jamais il n'aurait dû avoir recours à la violence. Prendre une vie, dans de telles conditions. Il avait travaillé si dur sur son incontrôlable impulsivité, apprendre à la maîtriser et lui ôter toute expression.

Mais il était bien trop tard pour nourrir des remords. Il devait aller jusqu'au bout de sa mission.

L’homme, de grosses gouttes de sueur sur le front régulièrement épongée, fouilla l'appartement. La chambre se retrouva sans dessus dessous. Les objets volèrent pour se fracasser contre le sol ou les murs. Le salon aussi devint le théâtre d'un second carnage. Seulement quatre clefs. Maigre butin. L'une d'elles devait être l'original convoité, ou une copie.

Il fallait partir à présent.

Il se rapprocha du corps pour le manipuler. Il resta derrière. Il ne pouvait pas affronter le visage de sa victime. Ses mains agrippèrent les bras du cadavre pour le redresser sur le dossier de la chaise. Il lui croisa les bras, ses mains placées sur le haut des cuisses. La tête penchait vers l'avant, le menton près du plexus solaire.

Étrange comportement que de vouloir redonner une dignité à un cadavre après l'avoir soi-même massacré. Peut-être pensait-il pouvoir s'absoudre de son pêché. Diminuer le poids de son acte dans la balance des cieux le jour du jugement dernier.

Il s'adossa contre le mur du couloir de l'entrée et resta là cinq minutes. Sans bouger. Sans penser. Insensible au temps qui s'écoulait, perdu à jamais. Ses yeux fixaient le vide, son âme errait à la recherche d'un purgatoire. Il n'y en avait pas.

Il revint à lui.

Il ôta sa tenue noire et veilla à ne pas laisser d'indices derrière lui. Les vêtements s'entassèrent dans un petit sac poubelle. Il les brûlerait dans un coin isolé ou bien il les dissoudrait, peu importait tant qu'il n'en restait pas la moindre trace.

Il revêtit un jean, un tee-shirt rouge et une veste noire. Casquette et lunettes mises, il ne perdit pas plus de temps. Les clefs de l'appartement à la main, il ouvrit la porte, franchit le pas et la verrouilla derrière lui. Il jetterait les clefs dans une poubelle du métro, loin d'ici.

Il commença à dévaler les marches de l'escalier en spiral. La porte de l'ascenseur tinta au quatrième étage. Un jeune homme brun, de grande taille, s'en extirpa et entraperçut une large ombre disparaître dans les escaliers.

La place atteinte, le meurtrier se fondit dans la foule pour plonger dans la première bouche de métro qu'il repéra. Plus jamais il ne reviendrait, il se le promit.

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