Chapitre 13

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L'armée eldarienne s'annonçait au son de clairons et de trompettes. Une fanfare avançait en tête avec des joueurs de fifre et de tambourins. Accrochés au sommet de longues hampes, de grands étendards bleus flottaient au vent. Ils parsemaient l'armée à intervalles réguliers comme une véritable forêt de dévotion pure. On y voyait, en argent sur azur, l'étoile à huit branches du dieu Eldaris.

La troupe avançait en rangs tracés à l'équerre, sans rien laisser dépasser. Lanciers, épéistes, arbalétriers, archers, et fanfare se tenant chacun dans leurs aires, ne se mêlant pas le moins du monde. Les cavaliers aux armures rutilantes encadraient l'armée, avançant en lignes doubles, suivis par les écuyers aux livrées azur brillant. Les elfes, tous montés à cheval ou sur d'immenses et luxueux chariots, ne quittaient pas le milieu de l'armée en marche, chacun d'entre eux escorté de gardes du corps humains toujours vigilants, engoncés dans des armures lourdes.
Les cuirasses étaient d'un bleu azur qui laissait voir l'armée couler sur la plaine comme un fleuve se déversant. Au centre de tout cela, protégés sur leurs flancs par des guerriers elfes en armure lourde qui se tenaient droits comme des piquets et marchaient d'un pas lent en tenant bien haut leurs longues espadons rutilantes, des éléphants dépassaient du flot vivant et avançaient d'un pas lourd qui faisait frémir le sol. Chacun de ces animaux était blanc comme le lait et avait des yeux d'un bleu brillant, ou rouge sombre pour certains. Ils avançaient en tas, comme un troupeau, une vingtaine en tout, chacun portant une petite tour et étant conduit par un humain brandissant une longue lance du fer de laquelle il pouvait toucher le sol sans peine de là où il était perché. C'est une fois encore au centre que se trouvait l'objet le plus important. Au milieu du troupeau d'éléphants, sept bêtes portaient en guise de tours des obélisques de marbre dont la base était munie d'un anneau très épais en métal. Une lourde chaîne reliait cet anneau de l'obélisque à un cube enchanté d'une arête de cinq mètres. Celui ci flottait doucement dans les airs, sans tirer sur les chaînes qui retombaient légèrement, détendues. Le cube en lui-même était d'un matériau indéfinissable, constitué de minuscules fragments carrés portant chacun un motif singulier assemblés ensembles dans une harmonie toute esthétique. Il pulsait d'une lumière bleutée, à la fois apaisante et terrifiante.
Derrière les éléphants, tâchant de suivre le même rythme, des chariots tirés par des chevaux de trait avançaient posément. Les premiers de ces chariots étaient de splendides roulottes portant de grandes tentes mobiles au tissu de qualité chargé de grandes décorations aussi esthétiques qu'ésotériques. À l'intérieur de ces demeures mouvantes, les mages elfes se cachaient de la lumière et ne cessaient pas un instant leurs recherches et autres démonstrations occultes, confortablement installés à l'abris des regards indiscrets.
Derrière eux, un tout autre type de chariots venaient : les chariots de ravitaillement. Les charrettes transportant les vivres des soldats étaient, chez les eldariens, de véritables chars cuirassés. Des plaques d'acier en protégeaient la structure de tout type de projectile, et les travailleurs qui les conduisaient devaient constamment les pousser pour permettre aux chevaux de faire avancer cette lourde masse, mais en contrepartie, le ravitaillement de l'armée était en sécurité, entièrement enfermé dans l'armée car tout en queue venait la cavalerie d'élite, composée indistinctement d'humains et d'elfes, qui surveillait les arrières de l'armée.
Le tout marchait d'un pas assuré, leur enjouement étant visible depuis la ville. C'était une cascade rutilante qui s'approchait d'eux, et bruyante de surplus. Il se dégageait dans chaque oriflamme brandi, chaque note de fifre et chaque éclat des armures, une arrogance et une suffisance tout à fait eldarienne. C'était une armée hautaine qui approchait et il était indéniable en les voyant ainsi qu'ils marchaient sur Hallbresses comme s'ils l'allaient conquérir, de même qu'ils entrèrent dans Hallbresses comme s'ils l'avaient conquise.
Les portes, bien que relativement étroites, avaient été ouvertes pour eux et c'est sans rompre la formation que les soldats manœuvrèrent pour passer et reconstituer leur cohorte exactement tel quelle de l'autre côté des murailles. La grand route vers le château avait été dégagée pour eux, et sur les côtés, pour les regarder passer, tous les soldats du marquis étaient rassemblés en ligne, comme des haies contenant les intentions des eldariens à cette seule allée pour en garder les honnêtes citoyens. À leur grande surprise, les miliciens de la cité virent que les soldats étrangers ne leur accordaient pas même un regard, marchant droit, le regard en avant, comme des machines. Seuls les elfes firent preuve de curiosité, épiant de leurs yeux perçants les moindres détails de la foule. Un éléphant aussi se trouva ému du spectacle de la ville et cessa momentanément d'avancer pour barrir avec puissance. On le remit bien vite en marche, mais ce simple bruit inconnu, à lui seul, crispa tous les citoyens de la ville pendant de longs instants.
C'était un défilé impressionnant qui traversa Hallbresses, et que le marquis observait avec une grande appréhension.
Enguerrant Ardelance et son jeune fils, accompagnés de quelques chevaliers, attendaient les elfes devant les portes du château. Tous deux revêtus de manteaux en fourrure rouge vive de warzuks, ils voyaient la horde bleue s'approcher d'eux inéluctablement.
Le seigneur de Hallbresses était venu en personne accueillir les visiteurs. Une certaine appréhension se lisait sur son visage habituellement exempt de ce type d'émotion. Au fond de lui, il regrettait que ni Zelintis ni Hargis Tunmort ne soient là pour l'épauler lors de cet instant funeste et déterminant. Trois cavaliers elfes se détachèrent du convoi, leurs blancs destriers cavalant pour les faire passer devant le reste de l'armée. Ils stoppèrent leurs coursiers à quelques mètres du marquis qui ne cilla pas. Parmi ces trois elfes, il en reconnaissait un, c'était Lydiem, l'émissaire qu'ils avaient reçu quelques temps auparavant. Un autre avait le visage couvert par un casque et restait en retrait, tandis que celui en tête s'avança impudemment avec son cheval jusqu'à ce que le marquis puisse sentir le souffle des nasaux du canasson. Enguerrant grimaça, mais refusa de lever les yeux vers le cavalier.
D'un bond preste et gracieux, l'elfe descendit de son cheval. Il portait une armure de métal bleuté avec une cape d'hermine et une tunique mauve lui descendant jusqu'aux genoux, décorée de fils d'argent. Ses bottes et ses gants étaient de cuir, brun sombre, mais son pantalon moulant était aussi blanc que celui que portait Lydiem lors de sa première visite. Le nouvel elfe avait beau avoir des traits d'une grande beauté, il n'en émanait pas la même chaleur. Il y avait quelque chose de déterminé, d'inflexible dans l'expression de son faciès. Sa peau était pâle comme du lait, et ses yeux uniformément bleus étaient comme des diamants précieux. Ses longues mèches de cheveux d'un blond si clair qu'il paraissait presque blanc semblaient agencées de façon chaotique, comme si ce n'était qu'un détail secondaire pour lui.
Avec la moue d'un homme d'état pressé par les affaires, il tapota calmement d'une main la croupe de son cheval tout en adressant à Ardelance:
- "Toi. Si tu pouvais t'occuper de mon cheval, je te prie. Et préviens ton chef que je suis prêt à le rencontrer."
Enguerrant le reçut comme un coup de poing dans le ventre, mais il était de nature trop flegmatique pour montrer ses sentiments. En serrant les poings, il fronça lentement ses sourcils et regarda l'elfe droit dans les yeux. Celui-ci attendit un instant en soutenant ce regard d'un air méprisant, comme s'il s'attendait à voir l'humain baisser la tête docilement. Finalement, il y eut une fraction de seconde durant laquelle l'elfe eut presque l'air désemparé. Jamais il n'avait vu un humain capable de fixer un elfe avec tant de haine pendant aussi longtemps. Finalement il tourna la tête vers Lydiem, feignant de ne pas fuir le regard vindicatif de l'homme.
- "Pourquoi donc ne dit-il rien ? Est-ce le crétin du village qu'on a envoyé s'occuper de nos montures ?
- Mon seigneur ne sait pas ce qu'il dit." répondit Lydiem d'un ton très mesuré, comme s'il craignait de mettre son semblable en colère. "C'est le marquis Ardelance, régent de Hallbresses, qui se tient devant nous.
- Ah ?"
Le chef des elfes se tourna à nouveau vers le marquis, et sur un ton qui n'avait pas le moins du monde changé rétorqua:
- "Vous m'excuserez. Votre tenue ne permettait pas de faire la différence avec un valet."
D'un geste gracieux, l'elfe retira son gant à la main droite et la tendit vers Enguerrant pour lui serrer la main. Le marquis, qui n'avait pas soufflé un son jusque là, glissa d'une voix sombre:
- "Il ne revient qu'à moi de décider si je vous excuserai ou non. Et vous n'avez pas à être au courant."
Et cependant il donna sa propre main à l'elfe. La poignée de main n'était pas une tradition très courante à Hallbresses, et la sensation de la main délicate de l'elfe surprit grandement Enguerrant. Sa peau était incroyablement douce, et il s'en dégageait une agréable chaleur. Le marquis dut lutter pour ne pas être distrait.
- "Je me présente, seigneur de guerre Melicid. Je dirige cette armée au nom d'Eldaris. Et donc vous êtes le sieur Enguerrant Ardelance c'est ça ?
- En effet."
L'elfe tourna ensuite son regard vers Geoffrey qui se tenait juste à côté de son père. Le jeune garçon faisait semblant de se protéger de la lumière pour cacher ses yeux avec sa main et ne pas voir les elfes. Un semblant de sourire se dessina sur les lèvres de Melicid.
- "Et je suppose que c'est censé être Geoffrey Ardelance. Lydiem m'en a beaucoup parlé.
- Vraiment ? Pourquoi ça ?" demanda Enguerrant en fronçant les sourcils.
- "Oh, cela importe peu."
Il renfila son gant d'un geste vif et brutal, presque agressif, avant de s'avancer vers les portes du château, forçant le marquis à faire volte face pour le suivre.
- "Notre état major s'installera au château. Le reste de l'armée peut camper dans les rues de la ville pour ne pas surcharger vos casernes."
Enguerrant fut surpris de voir l'elfe entrer si rapidement dans le vif du sujet, mais décida de le rattraper aussi vite que possible.
- "Bien, mais pas plus de deux gardes du corps pour chacun de ceux qui iront dans le château. Qui plus est nous n'avons pas beaucoup de place alors…
- Pas d'inquiétude à avoir. Je m'occupe d'organiser ces choses là. Plus sérieusement, parlons tactique. Je veux que vous me transmettiez toutes les informations nécessaires sur l'état des défenses de la ville, les listes de garnison et les registres de conscription. Sans oublier les rapports sur l'état des défenses, des murs, comme du château, et aussi du ravitaillement.
- Hors de question. Non seulement vous n'aurez pas besoin de toutes ces informations, mais je suis persuadé que vous en savez déjà bien assez avec ce que vous a raconté le gouverneur de Carîsta. En revanche, j'exige pour ma part d'avoir une liste de vos effectifs, de connaître les capacités de vos mages, et aussi…" il montra le cube géant qui lévitait au loin, ancré par sept éléphants. "Il me faut quelques éclaircissement sur la nature de cette chose.
- Hm… perspicace. En effet je sais déjà beaucoup des choses que j'ai demandé, mais tant que je ne saurai pas tout, vous en serez réduits à nous compter un par un en vous servant de vos doigts. Quand à nos mages, allons, je ne sais pas moi-même ce qu'ils sont capables ou incapables de faire.
- Et cet objet flottant ?
- Je ne peux rien vous dire.
- En ce cas vous ne saurez jamais où se trouvent nos artefacts."
L'elfe poussa un soupir, très léger, comme emporté par le vent, d'une sincérité telle que le marquis lui même eut l'impression d'être un parasite ridicule l'espace d'une seconde.
- "Réfléchissez de façon raisonnable marquis. Ces artefacts devront de toute manière être partagés pendant la bataille. Trouvez un meilleur argument."
Ardelance serra les dents. Ils arrivaient dans la salle d'audience du château où les attendaient quelques uns des derniers chevaliers encore présents à Hallbresses.
- "Où en est la mesure de conscription générale ?" s'enquit le marquis sitôt qu'il entra.
Un chevalier lui répondit après s'être éclairci la gorge:
- "Les villages à l'est ont déjà été désertés, et le peuple est en marche vers Hallbresses. Mais beaucoup de matériel a été perdu. Nous aurons de quoi équiper tout le monde en armes, mais pas en armures.
- C'est encore de peu d'importance. Et à l'ouest ?
- Tout se passe bien pour l'instant. Les sergents locaux sont en marche vers Hallbresses avec tous les hommes et femmes capables de combattre.
- Toujours aucun signe de mercenaires dans la région ?
- Non messire."
Enguerrant resta un instant immobile, les mains jointes dans le dos, fixant le sol. Curieusement, il se sentit très vieux en cet instant, las d'avoir repoussé tant de hordes et d'avoir eu chaque fois cette pression à subir lors des préparatifs. Lors de la création du marquisat Ardelance, un système très poussé avait été mis en place pour pouvoir contrer ce genre d'attaques. Les vivres n'étaient pas la chose la plus importante, car il était rare que les orques assiègent une place trop longtemps, incapables qu'ils sont de rester sans combattre pendant plusieurs jours. Néanmoins, les attaques de warzukas nécessitaient de briser l'élan en une fois, et pour se faire l'important était de réunir toutes les forces disponibles très rapidement sans permettre à l'ennemi de les affronter indépendamment, mais maintenant le marquis avait peur. D'un côté il avait fait venir des alliés douteux, et d'un autre il avait écarté tous ses meilleurs combattants. Morgenstern, mort ; Zelintis, enfermé ; Hargis, éloigné. S'il voulait pouvoir s'appuyer sur quelque chose d'autre qu'un elfe, il lui fallait attendre que les mercenaires pointent le bout de leur nez, ce qu'ils faisaient régulièrement en temps normal. Au nord et au sud de la cité se trouvaient deux campements permanents aménagés pour que des mercenaires de passage puissent y installer leurs troupes. Il fallait espérer…
- "Seriez-vous malade sieur Ardelance ?"
La voix de Melicid le tira de sa réflexion avec un sursaut crispé. L'elfe avait un léger sourire cruel flottant sur ses lèvres parfaites.
- "J'ai cru un instant que vous étiez indisposé.
- Je réfléchissais, voilà tout."
Au même moment, Geoffrey, Lydiem et l'autre elfe casqué entraient à leur suite.
- "Au fait !" fit Melicid tout en remettant en place une mèche de ses cheveux soyeux. "Je suppose que vous avez un clergé de Warzukan très présent dans cette ville."
Au moment où il disait cela, un silence froid emplit la salle, comme si tous avaient cessé de respirer. Geoffrey pointa un regard interrogateur vers son père. Il demandait quelle était la meilleure marche à suivre, mais Enguerrant ne le savait pas lui-même. Il regarda l'elfe droit dans les yeux.
Melicid n'était définitivement pas comme Lydiem. Son sourire s'était effacé, et son visage blanc était sévère. Ses yeux jaugeaient désormais le marquis comme s'il allait le dévorer sur le champs en cas de mauvaise réponse.
- "Que comptez vous leur faire ?" s'enquit Enguerrant. Il vit du coin de l'œil que l'elfe Lydiem voulait intervenir, mais le général eldarien l'arrêta d'un geste.
- "Le culte de Warzukan est une plaie pour ce monde. Vous pourrez dire ce que vous voudrez, je ne suis pas prêt à me montrer clément avec ceux qui alimentent ce dieu maudit de bûchers et de superstitions. Si vous voulez collaborer avec nous, il faudra accepter de les mettre hors d'état de nuire. Tous."
Lorsque cet arrogant général eut l'outrecuidance d'appeler Warzukan «dieu maudit», Enguerrant Ardelance sentit une puissante rancœur monter en lui, et s'il ne s'était pas retenu il aurait bien été capable de frapper l'elfe. Il se contenta de secouer la tête.
- "Votre arrogance n'a-t-elle donc pas de limites, eldarien ? Vous êtes ici en tant qu'alliés de circonstance et vous agissez comme si vous étiez maîtres de la ville.
- Oh mais nous serons maîtres de la ville." siffla Melicid. "Sitôt que nous aurons gagné la bataille. Et nous la gagnerons, que vous le vouliez ou non."

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