Chapitre 7

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La tension devenait de plus en plus palpable au fur et à mesure que le charme de l'elfe se dissipait. Pourtant ses paroles étaient toutes rassurantes, sa voix changeant ses pires menaces en douces caresses. Son parfum capiteux déconcertait les humains qui n'en menaient pas large. Le marquis et son bras droit en revanche étaient inflexibles.
"Vous aussi vous nous sous-estimez, dit-il. Nous avons toute la force de faire valoir nos revendications. Nous ne nous convertirons pas.
- Pourquoi cela ? Vous n'avez strictement rien à gagner en refusant, et de toute manière ce n'est qu'une question de temps. Vous vous imaginez peut-être que vous trahiriez votre suzerain, mais il n'en est rien. Le duc Bade tolérerai ce changement, et lui même se convertira bientôt. Choisir de rejoindre les eldariens c'est choisir un empire durable, c'est choisir l'ordre et la sérénité, c'est choisir la paix. Tôt ou tard votre territoire sera absorbé par le grand empire eldarien. Si ce n'est pas vous, c'est votre descendant qui prendra cette décision."
Zelintis bouillonnait. Il hurla:
"Choisir les eldariens c'est choisir le camp des rebelles traqués par leur roi ! C'est choisir de s'opposer à celui qui contrôle l'essence même du monde ! C'est choisir de baser ses espoirs sur un dieu déjà mort !"
L'elfe posa ses yeux sur lui et avec un sourire doux dit:
"Je vois bien que ce qui vous fait parler ainsi est la peur relative à votre poste. Vous n'avez rien à craindre de nous. Du moment que vous n'êtes pas notre ennemi, aucun mal ne vous sera fait."
Zelintis faillit bien lui cracher au visage mais se retint de justesse. Cette engeance venait de tourner sa parole en ridicule. Maintenant la moindre intervention de sa part serait vue comme une expression de sa lâcheté. Il allait contre-argumenter en soulignant que l'elfe éludait la question, mais le marquis le fit taire d'un geste de la main.
"Si encore ce n'était que ça… fit il d'un air triste, mais le problème est ailleurs. Je connais votre espèce mieux que vous ne le croyez. Vous jouez aux héros libérateurs en promettant monts et merveille, mais après un temps la vérité éclate. Rejoindre les eldariens c'est en vérité devenir esclave des elfes !"
L'assistance réagit avec des cris de stupeur. Certains ne voulaient pas y croire, les autres dévisageaient l'escorte de l'elfe et chuchotaient entre eux. Lydiem croisa les bras sur son buste et lâcha avec dédain:
"Les mauvaises langues seraient donc capables d'inventer tout pour nous discréditer. Certes, nous réclamons l'obéissance, mais parce qu'elle est nécessaire. Nous sommes en guerre, pour l'instant du moins et uniquement par ce que l'ennemi est trop barbare pour espérer faire la paix avec lui. Vous devriez le savoir au moins aussi bien que nous. Nous sommes des guerriers, et en tant que tel nous sommes disciplinés pour pouvoir mieux vaincre et ainsi construire un monde de paix; de paix et de liberté !"
Le marquis se leva. Le silence emplissait l'air comme l'aurait fait une cacophonie assourdissante. Après un instant, il prit la parole.
"Je ne veux savoir qu'une seule chose en ce cas. Savez-vous vous battre ?
- Nous les elfes sommes les meilleurs combattants au monde, répondit Lydiem sans une hésitation.
- Prouvez-le moi !
- Comment voulez-vous que je vous le prouve ?"
Enguerrant fit un signe de tête à Morgenstern.
"Depuis qu'il vous a vu, Morgenstern est démangé par l'envie de vous asséner un grand coup de masse sur le crâne. N'est-ce pas Morgenstern ?"
L'intéressé émit un couinement d'assentiment en s'avançant vers le centre de la salle jusqu'à arriver juste à côté de l'elfe.
Ce dernier ne détourna pour autant pas les yeux de son interlocuteur.
"Et donc vous voulez que je le batte ?
- À un contre un. Sans magie.
- C'est comme si c'était fait."
Pour la première fois depuis longtemps, Zelintis vit Enguerrant sourire. Le prêtre ne voyait pas très bien ce que le marquis espérait.
"Vas-y Morgenstern ! Tu peux te faire plaisir."
Le chevalier fit un mouvement d'une rapidité et d'une puissance effarante. Le fer hérissé de longues pointes d'acier parvint en une fraction de seconde au niveau de la tête de l'émissaire elfe, mais c'était déjà beaucoup trop lent. Lydiem s'était baissé à temps et l'arme passa au dessus de sa tête. Puis l'elfe se redressa. Son sabre était apparu dans sa main comme s'il s'y était transporté lui même. Lydiem se redressa en portant un violent coup de bas en haut. Le heaume lourd du guerrier lui évita d'avoir la tête tranchée en deux, mais son gorgerin fut fendu en deux et se détacha, exposant son col. Morgenstern ne se laissa pas pour autant démonter et fit voler son arme vers son adversaire tout en commençant à tourner autour de lui. Incapable de parer les coups du lourd morgenstern, Lydiem fut forcé de céder du terrain. Néanmoins il affichait un air serein et se tenait toujours aussi droit. Pour ne pas donner à ses spectateurs l'impression qu'il fuyait, il feintait continuellement avec son sabre, faisant comme s'il détournait la massue du géant. Un œil averti voyait bien que l'elfe se donnait en spectacle, et cela enrageait Zelintis.
Morgenstern comprit bien vite qu'il ne pourrait pas continuer éternellement. Impossible d'acculer l'elfe, il s'évadait toujours pour revenir sur le flanc. Le guerrier risquait d'être épuisé bien avant son adversaire. En désespoir de cause, le chevalier cessa l'assaut et simula une retraite, espérant atteindre l'elfe au moment où il passerait à l'attaque, mais Lydiem était loin d'être dupe. Il ne bougea pas et attendit, immobile. Morgenstern le regarda, cherchant à déterminer ce qu'il prévoyait. À coup sûr l'elfe attendait qu'il baisse sa garde pour fondre sur lui. Il ne lui laisserait pas cette chance.
Morgenstern haleta fort, son heaume faisant résonner son souffle rauque. Il voulait faire croire qu'il était essoufflé et desserra les poings de son morgenstern. L'elfe fit un pas en avant. Le chevalier n'en attendait pas plus. Avec la vitesse qui avait toujours fait sa force, Morgenstern empoigna fermement son arme et se rua sur son adversaire, une charge rapide et dévastatrice, mais son coup de morgenstern ne toucha que le vide.
Lydiem avait esquivé sur la gauche. Comme le chevalier passait à côté de lui tel un taureau enragé, il lui trancha profondément la gorge d'un simple coup de sabre. Morgenstern comprit aussitôt qu'il était mort. Il tenta de se retourner pour agripper l'elfe avec ses mains gantées de fer et le broyer, mais l'elfe n'eut qu'à faire un pas en avant pour lui échapper alors que les jambes du guerrier humain refusaient de lui obéir. Un flot de sang chaud coulait dans son armure, contre sa peau. Il tomba lentement, son corps s'effondrant selon les articulations de l'armure. C'était injuste. Il s'était entraîné des années durant. Il avait frôlé la mort des centaines de fois. Il avait occis des centaines d'orques. Ce sabre qui avait fendu son gorgerin en un seul coup n'était pas normal. Il voulut crier que c'était de la triche, que ce sabre était surnaturel, mais sa bouche n'émettait que des gargouillis inutiles. Il tomba et mourut, persuadé qu'il aurait mérité de gagner.
"Vous prétendez qu'il y a beaucoup d'autres elfes comme vous dans votre armée ?
- Des centaines !" répondit Lydiem à l'interrogation du marquis.
Enguerrant regarda Zelintis dans les yeux.
«Ne faites pas ça !» aurait voulu le supplier le prêtre.
"Votre armée risque d'avoir besoin de mieux que les murs de Carîsta. fit le marquis. Et nous, nous aurons besoin de plus que la force de bras humains."
Il fit un geste et un valet vint avec un plateau en argent sur lequel se trouvait la tête décapitée et à moitié écrasée du warzukani que Zelintis avait tué.
- "Nos éclaireurs nous ont confirmés les paroles de cette abjecte créature. reprit Enguerrant. Une armée unissant warzukas, warzuks et warzukanis se rassemble au sud depuis plusieurs semaines pour déferler sur nous. Ils sont innombrables, plus nombreux que vous. Je vous laisse un choix, elfe. Soit vous ne faites rien. Nous risquons de voir notre ville rasée et notre population traquée et massacrée, mais nous aurons au moins la rassurante pensée que vous serez les prochains sur la liste. Soit vous venez ici, avec votre armée. Nous combattrons sur les mêmes murs, les plus solides de la région, et repousserons la horde en unissant nos forces. Et alors, si nous en sortons victorieux par votre aide, et seulement si nous sortons victorieux…
- Non !" S'écria Zelintis. Il n'avait pas fait attention et ses pensées lui avaient échappé. Enguerrant le regarda du coin de l'œil. Il était décidé. Il poursuivit comme si le prêtre n'avait rien dit.
"Alors, si je vous suis redevable d'avoir sauvé mon peuple, je me joindrai volontiers à vous et je mettrai même mon influence à votre service pour convertir le reste du pays."
Zelintis se leva, plein de rage envers le marquis.
"Vous êtes fou ! Laissez leur armée entrer dans la ville et le marquisat tout entier sera déjà à eux. Nous avons déjà repoussé des dizaines de horde et vous nous mettriez à la merci de ces traîtres pour un salut incertain ?"
Il n'osa pas l'évoquer, mais sa plus grande crainte était de se conformer au plan du warzukani. Celui ci avait sûrement prévu quelque chose de plus, mais quoi ? Peut-être le marquis pensait-il que la visite du warzukani avait pour but de leur faire faire l'inverse de ce qu'il avait dit, et donc il croyait déjouer son plan en agissant comme l'elfe noir l'avait suggéré. Mais, et si l'elfe noir avait prévu que le marquis prévoirai qu'il ait prévu qu'ils fassent l'inverse de ce qu'il disait ? Et si c'était un raisonnement encore plus alambiqué. Le prêtre en avait la cervelle en ébullition.
"Votre excellence, je me passerai de vos conseils cette fois ci."
Le prêtre ne perdit pas pour autant espoir. Il se tourna vers le peuple qui assistait jusque là sans participer.
"Qu'attendez-vous pour réagir ? On veut mettre vos familles à la merci des eldariens et vous ne dites rien ? Que ferez vous si ces traîtres se retournent contre vous ?"
Personne ne soutint son regard. Ils baissaient la tête, comme si le prêtre délirait. Zelintis était désemparé. Un instant il songea à affronter l'elfe en duel, mais ce serait inutile. Voyant que personne ne l'écouterait, il leva les bras au ciel en criant:
"Très bien ! Si vous voulez sacrifier jusqu'à votre dignité, je ne saurai vous contraindre à changer d'avis car pour cela il faudrait que vous ayez encore une once de jugeote. Quoi qu'il arrive, on ne me fera pas partir de cette ville ! Vous pouvez me tuer, mais c'est à Hallbresses que mes cendres reposeront. Je n'ai plus qu'à prier pour que Warzukan ait au moins pitié de nous et ne nous écrase pas tout de suite."
À ces mots, il fendit la foule et sortit du palais. Pas un bruit n'accompagna sa sortie, le silence seulement. Les civils comme les soldats le regardèrent partir sans regret ni soulagement. Pas un seul chuchotement ne se fit entendre parmi eux, comme si toute ardeur avait disparu de leurs esprits.

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