Octobre 1806 : Iéna

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Un an d'attente.

Je patientais et rongeais mon frein. J'étais si jeune !

Si stupide.

Si candide.

J'apprenais la médecine enfin. Moi qui me croyais médecin.

Je me pavanais dans mon uniforme de la Grande Armée dans Paris. Les jolies femmes se tenaient à mon bras et je parlais de mes batailles avec désinvolture.

La France dominait l'Europe : l'Autriche désarmait, le Royaume-Uni négociait un accord avec l'Empire français, le roi de Naples avait fui son pays occupé pour se réfugier en Sicile.

La France organisait l'Europe à sa guise : le Saint-Empire était devenu la Confédération du Rhin, le Hanovre était un sujet de discorde entre la France et la Prusse...

1806 fut une année durant laquelle je me plaignais de l'inaction.

Ce fut la dernière année où je le fis.

Septembre 1806, la reine de Prusse Louise de Mecklembourg-Strelitz provoquait la haine de son peuple contre la France et les officiers de l'armée allemande aiguisaient leurs sabres sur les marches de l'ambassade de France à Berlin.

Je fus parmi les scandalisés.

Je rêvais de tuer du Prussien et je le criais à tue-tête.

Dans les rues de Paris, aux cousettes pendus à mon bras, j'affirmais :

" Qu'on me donne un sabre et je leur montrerai à ses Prussiens ce que vaut un Français !"

Parole en l'air.

Amour de la guerre ?

Même pas !

Juste de quoi faire briller d'admiration les yeux des jeunes femmes....

Frédéric-Guillaume III de Prusse avait dit :

« Pas besoin de sabres, les gourdins suffiront pour ces chiens de Français. »

Et il conclut un accord avec le tsar Alexandre Ier : détruire la France et son orgueil.

Les journaux montraient des caricatures du roi de Prusse et du tsar de toutes les Russies.

Les journaux montraient notre Empereur, puissant et sûr de lui. Ses généraux étaient prêts et l'Europe allait tomber.

Fou de moi ! J'y croyais !

J'avais oublié Ulm et Austerlitz, oublié ses morts pour ne retenir que la victoire.

J'étais jeune.

Ce fut ma seule excuse !

La Prusse, la Russie, la Suède, la Saxe, le Royaume-Uni s'unirent contre la France !

Et l'Empereur souriait.

Car c'était ainsi que je le voyais défiler sur son étalon arabe, Marengo. Napoléon Ier et sa prestance.

Autour de lui, ses généraux au grand complet !

Murat, Davout, Bernadotte, tous jeunes, tous forts, tous puissants !

LA GRANDE ARMEE !

J'applaudis au spectacle ! J'y étais ! J'en faisais partie !

La Grande Armée était positionnée sur la rive droite du Rhin, on la somma de se retirer par un ultimatum reçu le 4 octobre.

Le 6 octobre, notre Empereur fit lire à la Grande Armée un bulletin qui annoncait :

« Soldats ! L'ordre de votre rentrée en France était déjà donné, des fêtes triomphales vous attendaient. Mais des cris de guerre se sont fait entendre à Berlin. Nous sommes provoqués par une audace qui demande vengeance. »

La Grande Armée répondit à l'ultimatum par une invasion.

180 000 hommes entrèrent sur le territoire prussien avec pour objectif : BERLIN !

BERLIN ! BERLIN ! BERLIN !

L' Empereur partagea son armée en deux ensembles, pour deux batailles. Ce fou et brillant stratège gagna aux deux. Le maréchal Davout vainquit à Auerstaedt et Napoléon en personne brisa l'orgueil prussien à Iena.

Ecrasant l'ennemi.

A mort l'ennemi de la France.

L'Europe allait tomber aux pieds de la France !

ENCORE !

J'y croyais !

Mon Dieu ! Qu'on me pardonne !

J'y croyais !

100 000 hommes se retrouvèrent face à la ville incendiée d'Iéna. Une ville en feu en arrière-plan et la bataille dura une journée.

Il y avait des jours qui duraient des vies.

Le 14 octobre 1806 en fut un !

Dans les lueurs froides de l'aube, le canon retentit à six heures du matin et dans le crépuscule noir de fumée, les cavaliers de Murat se faisaient charognards à poursuivre les lambeaux de l'armée prussienne.

Vaste offensive sur les flancs de l'armée ennemie.

Chef d'oeuvre de stratégie militaire.

L'Empereur domina cette bataille et l'armée prussienne fut en déroute dès midi.

Que vis-je de la bataille ?

L'incendie de la ville et le sort des blessés.

Les cris de haine contre les Français et nos soldats se transformant en bouchers.

La bataille d'Iéna fit plus de 6 000 morts ou blessés côté français, et plus de 12 000 morts ou blessés côté prussien, sans oublier les prisonniers.

Le colonel Marigny perdit la vie et je vis son régiment lever le fusil au passage de sa voiture devenue convoi mortuaire.

Je vis le sang maculer mes mains.

Je vis que je devenais bon chirurgien.

Lorsqu'à mon troisième blessé mort, je hurlais à un sergent :

" Qu'on ne m'amène pas les blessés du ventre ! Qu'ils crèvent dehors !"

Dans la boue et le froid d'octobre.

Ma tente de chirurgien militaire était envahie de blessés et les râles de douleur se taisaient peu à peu. On mourait autour de moi.

Mon supérieur, Dominique-Jean Larrey, posa sa main sanglante sur mon épaule et fit, ironique :

" Le métier rentre, gamin."

Iéna, 14 octobre 1806.

L'Aigle volait jusqu'à Berlin !

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