Chapitre 2- partie 1

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Suite à l'épisode du wagon, Kate préféra se terrer dans sa cabine, vivant au rythme des repas apportés par le personnel.

Tout le monde l'avait vue rentrer dans dans le compartiment, tout le monde savait qui était cette « mulâtre folle à lier » qui avait des accès de démence en plein milieu de l'océan. Parfois, elle pouvait entendre des moqueries résonner depuis le couloir.

Kate ne revit pas Ignace.

Un matin, alors que le soleil venait de se lever, la terre fut enfin en vue. Des membres du personnel passèrent dans les wagons, criant « Arrivée à Nuuk dans une heure ! Veuillez rassembler vos affaires, et vous préparer à sortir ! »

Kate se leva, et sonda chaque recoin de sa cabine, pour vérifier qu'elle n'avait rien oublié ; chose très peu probable : elle avait à peine dérangé ses bagages.

Sage habitude qu’elle tenait de son grand-gère.

Grand-Père...

Elle ressentit une vague de colère monter en elle. Elle fut tentée d'asséner un coup sur sa malle, mais s'arrêta net remarqua l'état déplorable de la valise.

« Inutile de l'abîmer plus... J'en aurai peut-être encore besoin » se dit-elle, remplie d'espoir.

Elle passa une dernière fois son visage par la fenêtre. La mer brillait sous le soleil matinal. Au loins, Nuuk semblait scintiller avec l'océan. Des bateaux de pêche quittaient le port tandis que des oiseaux aux cris perçants commençaient à se rassembler en escadrons autour du train, tantôt à sa tête, tantôt à sa queue, évitant agilement les volutes de fumée sombre que crachait la locomotive.

La ville se rapprochait de plus en plus. Kate tourna la tête, et vit le train pénétrer dans l'immense gare construite spécialement pour lui. Elle referma la fenêtre, sortit la malle de sous son lit, puis s'assit. Un poids commençait à lui retourner l'estomac. Sa grand-tante allait-elle l'attendre sur le quai ? Si oui... comment la reconnaitrait-elle ? Et... comment allait-elle réagir en la voyant ? La considérerait-elle comme un fardeau ? Savait-elle qui était sa mère ?

Perdue dans ses pensées, elle ne sentit pas le train s'ébranler, ni n'entendit son grincement strident. Les bruits de pas pressés la ramenèrent à la réalité.

La jeune fille se leva, épousseta sa robe, enfila son manteau puis ramassa sa lourde valise.

Elle tira la porte de la cabine et quitta la pièce.

Dans le couloir, des passagers criaient et s'agitaient, et Kate dut faire preuve d'agilité pour ne pas se faire bousculer. Certains la suivaient du regard, étonnés, puis retournaient à leurs occupations. Elle se dirigea vers la sortie la plus proche, et, non sans mal, descendit maladroitement le marchepied. Elle lâcha alors un cri admiratif.

Un immense vitrail, représentant une scène maritime, éclairait la gare de taches bleues, vertes et orangées, dansant sur le sol recouvert de mosaïques. Au milieu des quais, les lampadaires forgés s'apanageaient de poissons, de pieuvres et d'autres créatures marines.

Tout dans cet endroit visait à évoquer les grandes gares européennes, que ce soit par sa taille, ou par la richesse de ses décorations.

Une foule dense se pressait sur les quais. Non loin, une femme se plaignait de devoir porter ses bagages elle-même.

Kate se rapprocha d'un des lampadaires, tentant d'échapper à la marée humaine en train de l'absorber. Les espaces confinés l'avaient toujours rendu mal à l'aise.

« Kate! Kate ! »

La jeune fille se retourna en sursaut, et eut la surprise de voir Ignace courir vers elle, essoufflé.

« Aaaah, je voulais vous saluer une dernière fois ! J'ai essayé de vous revoir après qu'on se soit rencontrés sur le belvédère, mais vous étiez introuvable ! Alors je me suis dit que je vous trouverai forcément sur le quai, et je m'suis pas trompé, à ce que je vois ! », dit il avec son éternel sourire plein de malice.

Kate jeta un coup d'oeil autours d'elle. Plusieurs personnes affichaient un regard outré, « Grand Dieu… » chuchota quelqu'un. Kate commençait à se sentir mal.

« Euh... oui... je... j'ai... préféré ne pas sortir.

– Je comprend… »

Ignace lança un regard mauvais autours de lui.

« Hum... ça vous dirait de sortir d'ici ?

– Avec plaisir ! »

Les deux jeunes gens attrapèrent la malle, la tenant chacun par une poignée, et avancèrent péniblement à travers la foule, jusqu'à l'immense porte de fer forgé de la gare.

Un froid mordant les attendait à l'extérieur. Kate referma son col d'une main, regrettant de ne pas avoir pris de manteau plus chaud.

« Vous ne serez pas embêté si vous vous éloignez trop du train ?

– Oh, non ! On va rester ici plusieurs jours, le temps de nettoyer les cabines. Vous n'avez pas idée de ce qu'on trouve parfois ! Et dire que les gens qui prennent ce train sont censés faire partie de l'élite ! »

Kate hocha la tête. À force de les avoir côtoyés, elle savait à quelles perversions ils pouvaient parfois s'adonner.

Comme... Non ! Elle ne devait pas salir la mémoire de Grand-Père en se laissant influencer par des rumeurs infondées !

« Euh... est-ce que tout va bien ?... » demanda Ignace. Kate sursauta.

Le garçon regardait avec inquiétude les mains de la jeune fille. Ses jointures paraissaient translucides, tant elle serrait la poignée de sa malle.

« Oh! Oui, oui ! Je vais bien ! »

Elle s'efforça de sourire. Igg parut rassuré. « Tant mieux ! »

Ils avancèrent encore un peu sur une grande place dont les pavés colorés étaient agencés de manière à évoquer des poissons nageant en clercle, leur regard vide dirigé vers les nuages.

Une fois à l'écart de toute foule, ils posèrent la valise à terre.

Le garçon s'étira :

« Wouah, qu'est-ce que vous avez mis, là-dedans ? Des briques ? J'ai du mal à croire que vous ayez réussi à descendre du train sans aide !

– Je suis plus forte que j'en ai l'air, répondit Kate avec un sourire.

– Je n'en doute pas ! » répondit Ignace en riant.

Le jeune homme prit soudain un air grave.

« Bon...je suppose que c'est là qu'on se sépare? »

Kate hocha la tête.

« J'ai été très heureux de vous rencontrer, Kate Greenmoor. J'espère que tout ira bien pour vous !

– Moi aussi... j'espère que vous deviendrez machiniste dans les plus grands trains ! »

Ignace sourit, et lui tendit la main. Kate fut légèrement décontenancée.

Son camarade, voyant sa réaction, soupira en riant : « Ah, ces riches ! »

Il lui prit la main, et la serra.

Kate ria, plus par gêne qu'autre chose, mais ne put retenir un soupir triste quand Ignace commença à s'éloigner. Le jeune garçon se retourna plusieurs fois et, voyant que Kate le regardait toujours, agita la main, en signe d'au revoir.

Elle le suivit des yeux jusqu’à ce qu’il pénètre dans la foule qui l’avala complètement.

Kate regarda la place. Des couples de tout âges avançaient bras dessus-bras dessous,

avec l’air plus heureux que jamais.

« Mais qu’en est-il vraiment ? » se demanda la jeune fille à voix haute.

Elle se demanda soudain si sa Grand-Tante avait un homme dans sa vie.

Peut-être viendraient-ils tous les deux la chercher à la gare ?

C’est peut-être pour ça qu’elle ne les avait pas vus ; elle avait passé tout ce temps à chercher une femme seule.

« Miss Greenmoor ? » Kate se retourna en sursaut. Derrière elle se tenait un véritable colosse, vêtu d’un épais manteau de peau et de lourdes bottes. Ses mains, cachées par de vieilles mouffles élimées, auraient pu se refermer entières autour du poing de Kate. Mais le plus effrayant restait son visage. Caché par une longue barbe qui lui poussait jusqu’en bas du cou, ses pommettes anguleuses et ses yeux, d’un gris glacial, lui donnaient un air menaçant. Il avait le regard d’un prédateur surplombant sa proie.

« Je m’appelle Piotr », dit l’homme avec un accent Russe à couper au couteau, « Votre Grand-Tante m’a envoyé vous chercher ». Le géant s’empara de la malle de la jeune fille, qu’il souleva d’une main. « Venez avec-moi »

Kate fut surprise que cet homme la vouvoie . Les fois où cela arrivait se comptaient sur les doigts d’une main. Malgré son appréhension, elle s’efforça de marcher à sa hauteur.

Ils avancèrent dans une grande avenue, illuminée par les lueurs matinales, où s’alignaient salons de thés et beaux magasins. Kate s’arrêta, en admiration devant de magnifiques manteaux de fourrures exposés dans des vitrines. Quelles belles pièces ! Jamais elle n’en avait vu de pareils à Londres. Piotr se retourna et, en un soufflement méprisant, regarda les manteaux exposés :

« Bah, ne vous arrêtez pas à leur apparence, Printzessa, ils sont peut-être beaux, mais c’est pas ça qui va vous protéger du vent ou de la neige. » Puis, d’un regard, il lui intima de le suivre. Ils continuèrent dans l’avenue quelques instants jusqu’à ce que, sans prévenir, l’homme bifurqua dans une ruelle. Kate le suivit, courant à moitié derrière lui. Confuse, elle tenta un timide « Où allons nous ?... »

Piotr la regarda par-dessus son épaule, un air indescriptible sur le visage.

« Le quartier où nous étions, c’est Little London. C’est là où les Anglais restent quand ils viennent. Mais c’est pas la vraie Nuuk. Nous, on va dans la vraie Nuuk pour vous trouver des vêtements corrects pour aller à l’hôtel. »

Kate se trouvait en pleine confusion. L’hôtel ne se trouvait pas à Nuuk ? Des vêtements corrects? Elle s'était pourtant assurée de n'emporter que ses tenues les plus présentables! Et qu’est-ce que c’était que ces histoires de vraie Nuuk. Elle ne comprenait pas.

Les deux compagnons continuèrent dans la ruelle humide et malodorante. Ils tournaient parfois dans d’autres artères, dans ce dédale humide et malfamé où résonnaient parfois des éclats de voix dans des langues inconnues. Ils changère de direction une dernière fois, et déboulèrent dans une rue plus large. Kate frémit. Le genre de personnes qui fréquentait ce quartier était bien différent de ceux qu’on croisait à Little London. De ceux qu’elle avait l’habitude de croiser. Des hommes estropiés, tatoués, évoluaient dans les rues, avec l’air d’avoir tout connu, le meilleur comme le pire. L’air de bêtes sauvages.

À la place des magasins étincelants et des cafés accueillants s’alignaient des bars et des bâtiments où pendaient des lanternes rouges, où de jeunes femmes en tenues aguicheuses hélaient les hommes passant par là. Kate était figée sur place. Elle sentit Piotr lui jeter un coup d’œil, ce qui n’atténua pas son malaise grandissant. L’homme lui posa une main sur l’épaule. Kate frémit. Elle tourna lentement la tête vers lui.

L’homme la toisait de toute sa stature, l’observant, la sondant de ses yeux gris.

« Nous allons descendre jusqu'au port. L’air marin est plus agréable. »

Kate hocha la tête, les mains tremblantes. Elle les ramena contre sa poitrine, et, prenant une profonde inspiration, emboîta le pas de son guide.

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