Chapitre 1-partie 1

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Kate se réveilla en sursaut, les joues humides de larmes.

Voilà un peu moins d'un mois que Grand-Père avait disparu dans l'attentat, et elle n'avait jamais cessé de rêver de l'incident depuis, comme si son subconscient essayait de le maintenir avec elle, de l'empêcher de trouver une échappatoire...

« Quelle idiote je fais! »

S'essuyant distraitement les yeux, la jeune fille regarda par la fenêtre à côté d'elle. Dehors, la mer, immense, s'étendait à perte de vue. Les lueurs de l'aurore coloraient le ciel de mille nuances de bleu, de rose et d'orangé. Les dernières étoiles perdaient doucement leur éclat, et la lune ne devenait plus qu'un pâle cercle dans l'éther matinal.

Kate se redressa, arrachant un grincement au fauteuil sur lequel elle s'était avachie.

Elle se souviendrait toujours du vide qu'elle avait ressenti quand on lui avait annoncé la disparition de son Grand-Père. Tout s'était alors enchaîné très vite.

En deux semaines, les restes d'Henry Greenmoor avaient été inhumés, et en moitié moins de temps on l'avait faite embarquer dans ce train vers le Groenland.

Tout lui semblait si surréel.

Il y a quelques jours encore, elle était conviée dans le bureau de maître Horace Emmington, avocat de son état, dont la famille s'occupait des affaires des Greenmoor depuis plus d'un siècle et demi. Ce qui l'avait d'abord frappée dans le bureau du notaire, ce n'était pas les tapisseries vieillottes pendues aux murs, ni la grande armure lustrée dans un coin de l'étude, ni même l'air dédaigneux du juriste lorsqu’elle avait franchi le pas de son étude, mais les effluves persistante et entêtante de parfum qui imprégnaient chaque élément de la pièce, à commencer par Mr.Emmington lui-même.

« Connais-tu la raison de ta présence ici ? » avait demandé le petit homme.

Quel toupet. Il y avait encore quelques semaines, c’est à peine s’il osait croiser son regard.

Kate avait serré les dents pour éviter de laisser échapper des paroles malencontreuses.

Bien sûr qu'elle le savait, on allait ouvrir le testament de Grand-Père, et tous les vautours qui s'étaient un jours targués d'être ses amis viendraient lui tourner autour, espérant pouvoir grapiller une partie de la fortune des Greenmoor, en « souvenir d'amitié » avec son grand-père.

Grand-Père...

Sa gorge s'était serrée douloureusement, aussi s'était-elle contenté d'hocher la tête.

« Bien. Comme tu le sais, ton aïeul, Sir Henry Greenmoor, nous a quittés il y a deux semaines. Son inhumation ayant eu lieu ce lundi 17 septembre de l'an 1897, nous allons pouvoir procéder à l'ouverture de son testament, refait le 26 août de cette année.

Il semblerait qu'il te lègue la totalité de sa fortune… Ainsi que sa demeure londonienne et ses résidences secondaires, dont la location est précisée ci-dessous. »

« Une lettre pour toi est également jointe, ainsi qu’une liste des biens plus... Détaillée. »

Ses lèvres s'étaient tordues en une mince grimace, laissant deviner la taille de la liste.

« Cependant, avait-il ajouté, non sans un léger sourire satisfait, tu n'y auras droit qu'à ta majorité, comme le préconise la loi, n'est-ce pas ? En attendant tes vingt-et-un ans, tu devras te rendre chez ton unique parente encore en vie ; sa bien aimée sœur, Emmelia Greenmoor. Ta grand-tante. »

La jeune fille était restée coite, une expression incrédule sur le visage. Grand-Père avait une sœur ?

Le notaire l'avait regardée par-dessus ses lunettes cerclées de fer, un air narquois sur le visage.

Kate s'était éclairci la gorge avec appréhension :

« Et... Vit-elle en Angleterre ? »

Emmington avait eu un petit rire, un grand sourire à peine dissimulé, comme si ce qu'il s'apprêtait à dire constituait la nouvelle la plus comique qu'il ait jamais entendue depuis longtemps :

« Oh, non ! Il est écrit ici qu'elle tient un... hôtel, au... Groenland... »

Et c'est ainsi que Kate s'était retrouvée embarquée à bord de l'Artic Express , un train luxueux, extrêmement coté, à destination de Nuuk.

La jeune fille soupira, s'étira, les membres engourdis par sa position inconfortable et regarda l'heure : 7 h17.

Peu de monde devait être levé, à cette heure. Et pourtant, elle ressentait le besoin insurmontable de sortir, de profiter de la tranquillité des couloirs avant la cohue matinale des passagers vers le wagon-restaurant. Elle se leva, ouvrit la porte de la cabine et passa la tête au dehors.Aucun autre bruit que le roulis du train n'était audible. Elle franchit l'embrasure de la porte et referma cette dernière avec précaution. Dehors, les vagues évoluaient paisiblement sur la mer endormie.

Kate se rappela avoir lu quelque part qu'à l'arrière du train se trouvait un belvédère afin de profiter d'un " panorama époustouflante de la mer s'étendant sous les pieds " .

Curieuse, elle se mit en quête du dernier wagon, ses pieds glissant doucement sur le parquet ciré.

Elle passa devant les portes boisées des cabines, d'où s'échappaient parfois les soupirs des passagers endormis. Les numéros dorés vissés sur les portes sombres défilaient au fil de ses pérégrinations ; 7D, 7C, 7B...

Quand elle atteignit enfin la dernière voiture, le jour était complètement levé.

Kate souleva le lourd levier de la porte, et l'océan s'étendit sous ses yeux.

La mer, étincelante, semblait se dérouler sous les rails du train qui touchaient l'horizon.

La jeune fille s'avança, s'appuyant sur la rambarde de fer forgé, et huma l'air marin à pleins poumons.

« Et bah alors, c'est encore l'heure de dormir normalement ! »

Kate se retourna en sursaut. Un garçon à peine plus âgé qu'elle, vêtu d'un habit de travail se tenait dans l'embrasure de la porte.

« Je... je vous demande pardon ? » balbutia la jeune fille, confuse.

Le garçon souffla du nez : « Bah rien, je me demandais juste ce qu’une fille comme toi fait levée, à cette heure ! » Il arborait un sourire malicieux.

« C'est la première fois que je te croise dans le train, dit-il songeur, et je t’assure que je n'oublie jamais la tête d'aucun des passagers ! »

Kate soupira. Elle avait l’habitude de se faire tutoyer de la sorte par des inconnus.

« Je ne suis pas beaucoup sortie depuis le début du voyage...

– Ah oui, ça m’étonne pas… Enfin, sans te manquer de respect.

– Non, non, ça va... »

Le garçon s'avança, et vint s'accouder à côté de Kate, qui se raidit légèrement.

« Moi, c'est Igg. Enfin Ignace. Et toi ?

Kate se redressa, réhaussant son port altier :

« Greenmoor. Kate Greenmoor. »

Le garçon blêmit, perdant soudain son air si assuré.

« Oh ! Euh… je… Pardon ! Je veux dire, je n’avais pas réalisé que vous n’étiez pas… enfin que vous êtiez… »

La jeune fille secoua la tête, et retourna à côté du machiniste.

- J'ai l'habitude. ", fit-elle tristement

Ignace réfléchit un instant.

– Dans ce cas, Kate Greenmoor, éclairez-moi. Qu'est-ce qui vous amène à bord de l’Artic Express ? Vous avez été attirée par l'idée d'aventures épiques au pôle nord ? »

Le jeune homme essayait de la taquiner, mais voyant l'air grave marqué sur son visage, il se ravisa.

Les deux jeunes gens restèrent ainsi quelques minutes, sans aucun autre bruit que le train porté par les vagues. Aucun d'eux n'osait briser le silence qui s'installait. Bien que peu gênée par la situation, Kate relança timidement la conversation :

« C'est... tout de même un beau train... »

Ignace se tourna vers elle, un grand sourire lui barrant le visage :

« Oh, ça c'est sûr ! Monsieur Nagelmackers a véritablement fait un travail d'orfèvre ! Vous savez, c'est aussi lui qui a fait l'Orient Express ! C'est ce qui se fait de mieux en ce moment en matière de mécanique ! Le train doit résister aussi bien à un blizzard qu'à une tempête, alors forcément, il faut penser à la résistance de la carlingue, à sa stabilité, à sa puissance! Il a un peu amélioré les travaux de Stephenson, pour ça, du génie si vous voulez mon avis ! Ah ! Le problème du voyage sur l'eau, ça aussi ça a été un tour de force ! Il a fallut construire des poutres assez résistantes pour supporter les courants, et assez longues pour aller au fond de l'océan, un tour de force je vous dis ! Ah, ça a pas du être de la tarte pour les faire. C'est du fer puddlé, vous savez. Et oui, comme la Tour Eiffel ! D'abord, ils ont..... »

Au fur et à mesure qu'il parlait, ses yeux pétillaient, sa voix semblait animée par une frénésie renouvelée. Il ressemblait à un enfant le jour de son anniversaire, bouillonnant d'excitation.

Il rappelait à Kate son père, qui adoptait la même attitude quand on venait lui parler d'aviation. Le même entrain dès qu'il entendait parler de « puissance de décollage », « vol plané » et « atterrissage».

« C'est ça ? », demanda la jeune fille,

– « C'est ça quoi ? »

– « Je ne sais pas. Ce que vous voulez faire de votre vie »

Les joues du garçon rosirent, un sourire en coin gêné sur le visage.

« Euh....oui, c'est ça…. Hum, du coup, comme il faut bien commencer quelque part, je me suis fait engager comme apprenti machiniste sur ce train ! Mais bon, les boss sont pas vraiment du genre maternels, si vous voyez ce que je veux dire... Du coup, j'ai pas mal de temps libre, alors j'en profite pour observer un peu les passagers. » dit-il avec un clin d'œil complice.

Kate lui sourit, amenée à se demander depuis quand elle ne l’avait fait.

Perdue dans ses pensées, elle n'entendit pas les lourds pas provenant du couloir. La porte vola en éclat, et un homme corpulent et trapu, à la face rougeaude, sortit en s'exclamant :

« Igg ! On a b'soin d'toi ! Y nous manqu' des bras, alors t'arrête d'embêter la p'tite dame et tu t'ramènes ! »

Il attrapa violemment le jeune homme par le bras, et le tira, ce dernier ayant tout juste le temps de dire « Je vous vois plus tard », son éternel sourire malicieux sur le visage, avant de se faire avaler par le train, la porte se refermant derrière lui.

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