Prologue

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Le député Greenmoor regarda le ciel par la fenêtre du fiacre.

Le soleil n'était visiblement pas au rendez-vous, en ce matin de septembre 1897. Il soupira, puis se frotta les yeux. L'avènement prochain d'un nouveau siècle semblait rendre tout le monde hystérique à l'assemblée, et l'atmosphère électrique était telle que pas un jour ne passait sans que les grands pontes de l'Etat n'en viennent aux mains, au plus grand plaisir des journalistes.

Lui-même, de nature calme, était oppressé par ces querelles incessantes, et sentait monter en lui l'angoisse à mesure que sa voiture approchait du Parlement. Il sortit sa montre en ivoire de la poche de son veston. Les minces aiguilles dorées brillaient d'un éclat ténu, se détachant sur le cadrant immaculé cerclé d'or. Au dos, de minuscules initiales avaient été gravées avec minutie, les siennes : H.G

Le tic-tac rassurant du mécanisme le calma quelque peu.

Henry Greenmoor regarda l'heure : 14h50.

Il était en retard. Il fronça les sourcils. Un mauvais pressentiment l'envahit.

Il balaya du regard le petit habitacle. Malgré son exiguïté, l'endroit était incontestablement luxueux. Les banquettes de velours rouge étaient confortables, et chaque passager disposait d'un coussin. Les parois, tapissées élégamment, relevaient avec goût les dorures ici et là, et les rideaux brodés, grenats, assuraient une intimité qui ne lui déplaisait pas. C'était là un des avantages que lui conférait la fonction de député.

Il jeta un coup d'oeil dépité à la pile de papiers qu'il avait posée sur les genoux. Les mauvaises nouvelles s'abattaient sur lui comme des calamités depuis ces derniers mois. Tandis qu'en Inde leur souveraineté se faisait de plus en plus incertaine, ici des hordes de femmes se soulevaient en masse réclammant leur accès au droit de vote! Le député s'adossa contre la banquette, et échappa un profond soupir qui lui arracha une quinte de toux. Il posa vivement la main sur sa poitrine en feu. Ce genre de crise le frappait de plus en plus souvent ces temps-ci. Lentement, il se frotta les tempes. La tête lui tournait, et chaque jour qui passait l'affaiblissait. Dès qu'il en serait finit de tout ce remue ménage, il irait se mettre au vert dans sa résidence du Kent. Oui, dès qu'il le pourrait, il s'éloignerait d'ici au plus vite.

C'est alors que la voiture s'arrêta. Perdu dans ses pensées, il n'avait pas remarqué que le fiacre avait enfin terminé sa course à travers la ville jusqu'au Parlement.

Henryse hâta de ranger les documents éparpillés puis se coiffa de son haut-de-forme. Il s'extirpa du véhicule dans une quinte de toux. Devant la lourde porte en chêne, deux statues à l'air menaçant l'attendaient. Un lion couronné et une licorne surplombaient la rue de leurs yeux immobiles, la gueule béante.

Le député paya distraitement le cocher, se tourna et huma l'air acheminé par la Tamise.

Big Ben sonna. Il rouvrit brusquement les yeux : « 15 heures, déjà !? »

Il était vraiment en retard. Il se hâta de pousser la porte non sans mal. Il toussa bruyamment tandis que sa longue redingote lui fouettait les mollets et pénétra dans le bâtiment.

Prestement, il remonta le couloir tapissé de vert et d'ocre, où résonnaient des éclats de voix. Le vieux parquet ciré grinçait sous ses pas. Il soupira. Il faudrait encore dépenser des fortunes pour le faire réparer.

Il bifurqua à gauche, à droite, évoluant d'un pas rapide dans le bruyant labyrinthe de couloirs du Parlement, ignorant les centaines de portes qu'il dépassait sans même un regard, ne s'arrêtant finalement que devant une grande porte double d'acajou, d'où s'échappaient des voix d'hommes en pleine dispute. Ses mains étaient fébriles et l'appréhension lui tordait l'estomac, mais il se résigna à entrer.

Devant lui alors s'étendit la Chambre des Communes. Avant son arrivée, deux groupes s'étaient apparemment formés et offraient un spectacle cocasse, probablement encore mûs par un différent puéril. Las, il soupira, et se dirigea vers sa place habituelle, en bas des gradins, évitant avec agilité les divers projectiles qui volaient de part en part. Lentement, il s'assit, les poumons brûlants, ignorant les gentlemen enragés à proximité. Etrangement, le malaise qui le taraudait depuis le début de la matiné ne le lâchait pas. Il avait l'impression qu'une lourde épée de Damoclès était suspendue au dessus de sa tête.

Soudain, il entendit des bruits de pas rapides remontant le couloir.

Un homme hurlait.

La porte vola en éclat.

D'abord, il perçut la détonnation.

Puis la chaleur infernale.

Puis plus rien.

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