La communication:

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À partir de ce jour-là, toute la certitude qui venait de cet air marin a fusionné avec l’humidité du ciel et tout s'est dénaturé en une tempête. Toute ma connaissance est devenue incertaine.
Nous étions frappés par une pluie intense, certains de mes frères ont été terrassés par des arcs électriques qui sabraient la crête du vallon opposé.
Nous les arbres et comme toutes les espèces vivantes, nous développons un courant électrique entre terre et ciel. Quand nous sommes effrayés, notre peur augmente notre tension. Le voltage se multipliait et les plus phobiques attiraient la foudre.
Le calme revenu, je devais faire le point.
Pourquoi je n’ai jamais eu aucune difficulté à communiquer avec tous les êtres de cette planète, alors que cet humain ne laisse rien paraître? Je n’ai jamais rencontré d’être vivant autant confiné et renfermé dans une bulle hermétique.
Au fil des années le chemin était marqué par le passage des allées et retours, à pie, en charrette, à dos d’ânes. L’humain n’était plus seul, une trentaine des siens l’avait rejoint et en contrebas de la colline une communauté s'était installée. Ils transportaient et empilaient des centaines de pierres, ordonnés, ils quadrillaient et ils alignaient de petits murets de pierres sèches.
La rosée du matin ruisselle le long de mes aiguilles que je sentis une sécrétion provenant de l’un de mes semblables. Il m'annonçait l'arrivée d’un tout petit mammifère avec une queue rousse en panache. De saut en saut un écureuil finit par attraper une extrémité de mon branchage.

"Hé, tu pourrais être plus prudent” lui dis-je.
_ Pardon, mais je suis pressé, ce matin j’ai décidé de quitter l’ouest de la vallée et de partir en direction de l’est.
_ Pourquoi as tu pris cette décision?
_ Car l’homme y est bien trop nombreux désormais, il bâtit son habitat sans se préoccuper de qui que ce soit autour de lui, il agit comme s'il était seul dans ce monde.
_ J’ai moi aussi remarqué ça, as-tu essayé de communiquer avec eux ?
_ Non ils me font peur.
_ Tu as vu cette bulle qui les enveloppe?
_ Ouiii !! et je trouve ça très étrange”.

Au même moment deux de ces créatures se dirigeaient vers nous, ils tenaient entre leurs pinces un long manche en forme de “T” avec des pics. L'écureuil en boule dans un coin de mon feuillage était tremblotant. Tous les deux autours de moi, me pétrifiait quand l’un d’eux suggéra à l’autre :

“ Ici , ça n'a pas l’air trop mal “
Le second lui dit : “ La vue est belle, ça me semble même très bien”.

A ma base, avec leurs outils ils se sont mis à frapper et racler le sol. Queue rousse se mit à hurler et aucun des deux n’a réagi, ils continuaient à tirer la terre et les graviers. Discrètement j’ai interpellé l’écureuil:

“ Coincé dans leur bulle ils nous entendent pas
_ T’es sûr !

j’ai profité du vent pour étirer mes membres ,mon ami a glissé et il s’est rattrapé à la branche du dessous.

“Préviens moi cria t-il
-Je te l’ai dit, ils ne nous entendent pas, rétorquai-je.

Pendant de longues heures, ils ont continué à ratisser tout autour de moi, sous la pénombre ils sont descendus en direction de leur tribu, le silence revenait, les premiers scintillements dans le ciel apparaissaient , j’ai proposé à Queue Rousse, pour la nuit, de s'abriter sous ma tonnelle . Juste avant de rentrer en phase de sommeil je lui ai dit:

“ Je trouve étrange que dans la communication avec ces individus, la réception soit possible et l’émission quasi inexistante.
_ Ils n’ont qu’à crever leur bulle! , je suis épuisé.
_ J'essaye juste de comprendre, ils ont abattu beaucoup des miens et à moi ils ne m’ont fait aucun mal, ils ont même tout nettoyé mon habitat. Je culpabilise presque d'être un privilégié
_ Tu devrais être prudent , tu ne sais pas ce qu'ils ont décidé, et moi j'ai très faim !
_ Ne te gênes pas, soit délicat et prend toi une pigne
_ Merci tu es gentil, laissons la planète blanche éveiller notre conscience cette nuit
_ Tu as sûrement raison , à demain”.

Les premières lueurs étaient tout juste perceptibles, les sifflements harmonieux de deux petits oiseaux résonnaient au cœur de mon enceinte piquante et verdoyante. Queue rousse n’était plus là. L’un des gorges rouges me dit:

“Nous avons croisé ton compagnon de cette nuit et ils nous sa fait savoir qu’il reviendra te voir
_ Savez vous où il est allé?
_ il a dit qu’il partait enquêter sur les bipèdes et nous trouvons qu’il a beaucoup de courage pour ça”.

Il avait tout juste fini sa phrase que les humains revenaient vers moi, ils charriaient un chariot plein de matériels. Après une brève communication entre eux, ils ont tracé un rectangle sur le sol autour de moi. ils avaient définis un périmètre et ils n’ont pas cessé de faire des allers retour avec d’énormes pierres qu’ils transportaient avec leurs pattes avant. ils ont entreposé juste à côté de ma souche un amas de cailloux. Le premier tapait fort sur les nervures des caillasses et le second les empilait très méthodiquement les unes sur les autres, le long des lignes qu’ils avaient dessiné. Au premier coup de masse j’ai senti la légère impulsion des petites pattes des gorges rouges, ils avaient pris un envol vers un ailleurs. Les deux hommes étaient en train de construire la terrasse dont je suis le centre. Ils avaient travaillé de longues journées, un troisième les avait rejoint pour poser le portillon en acier. j’ai essayé d’émettre un signe communicatif durant de longues heures, j’ai distillé une odeur forte par mes fleurs et j’ai aperçu que la bulle s'était atténuée sur un seul d’eux qui murmura:

“Quel parfum agréable”.

J’avais cette impression d’être un emblème, sur le flanc de la colline entouré de centaines de frères, j’étais le seul avec une cour privative.
En bas de la colline pendant des années, tous les leurs avaient rénové un ancien nid. Durant cette période beaucoup d’hommes étaient venus s'asseoir sur le banc en pierre, la vue sur leur habitat, ils émanaient d’une fierté qui rendait la parois de leur bulle plus dur , moins flexible et plus épaisse. Ils répétaient souvent:

“Notre monastère est magnifique”.

J’étais inquiet car je n’avais jamais revue queue rousse depuis qu’il était parti à leurs rencontre. Mon inquiétude dispersait dans l’air une substance portée par le vent, L’algorithme qui traversait tous les rameaux de mes compatriotes, avait atteint son objectif. Derrière le relief mon camarade Châtaigner éparpillait une matière qui me rassura, Queue Rousse était à ses côtés.

Durant presque une décennie, devant le domaine, les moines ne se tenaient plus droit sur leurs membres inférieurs mais ils passaient pratiquement leur temps avec leurs griffes dans la terre. Je ne cernait pas cette pratique jusqu’au jour où celui qui venait souvent se recueillir sur le banc édifié sur mes racines m’a fait réaliser ce qu’ils entreprenaient. A l’extérieur de la cour je l’ai aperçu se plier, creuser le sol, il a introduit un gland qui l’a recouvert et il a déversé un petit peu d’eau. il a fallu quelques couchés et levés du soleil, Chêne Blanc venait de naître.

Cette espèce qui avait assombri ma lumière, qui m’avait rendue incertain et qui m’était toujours incompréhensible, pouvait prendre la vie mais aussi la donner.

Cet être était-il si méchant qu’il pouvait paraître ?

Ces hommes vêtus d’une longue robe noire avaient une conscience perceptible, ils étaient capables même piégés dans cette balle transparente, d'associer certains éléments naturels. Ils avaient créé des veines qui irriguaient de l'eau sur de grandes terrasses, les unes au-dessus des autres. La paroi de la colline était devenue d'énormes marches. Ils s'élevaient des centaines de mes confrères qu’ils dépouillaient de toutes leurs olives. Sur la partie haute du géantissime escalier, énormément de vignes qu’ils amputaient toujours à la même saison. Entre chaque rangée ils sacrifiaient des dizaines de fleurs les laissant se faire dévorer par toutes les sortes d'insectes et ils protégeaient ainsi leur butin de raisins.

Les jours de fraîcheur, une fumée s'échappait de leur demeure, le mistral acheminait un arôme, je flairais l’horreur, j'étais assené de douleurs. Cette brume bleuâtre balayait la vie des miens. La nuit qui a suivi était noire, aucune planète blanche n'est apparue et j'ai reçu un message qui remontait doucement de mes racines, de mes entrailles. J’avais beaucoup de mal à accepter que ces bonhommes au visage plein d’orifices pouvait voler à notre planète plus que ce qu'il pouvait offrir.

La pluie fine lustrait mes épines, le moine à la bulle translucide et légère me rendait visite, les siens le nommaient Théodore. Il est rentré dans la petite cour, comme un animal que l’on aurait mis en cage , il faisait des allers et retours, d’un côté il regardait le domaine et de l’autre il observait le village en fond de vallée. Il était très silencieux, sa bulle était colorée comme un mélange d’eau et de lumière, des reflets, des peintures, des mirages se détachaient de son enveloppe pour errer dans les aires un peu comme des feuilles d’automne. Il a ouvert ses ailes et il les a refermées autour de moi, sa bulle s’était écrasée et elle avait épousé ma forme. je sentais cet air frais qu’il capturait et cet air tiède qu’il rejetait, J'attrapais la tiédeur et je relâchais la fraîcheur, au bout de quelques secondes dans ce corps à corps sa bulle se disloquait et disparaissait . Une énergie circulaire et harmonieuse nous liait l’un à l’autre. Un écart à peine perceptible distançait notre contact que la bulle réapparaissait pour nous séparer, Théodore s'est tourné sur lui-même comme un lièvre il a fait un bon par dessus le muret et comme un guépard il a couru vers le domaine.

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