V

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Le paysage joyeux et illuminé du havre de paix s’effaçait lentement. Tout devint noir. Pierre se réveilla dans son lit, mouillé de larmes et la tête prête à exploser.

Le bruit de Philippe, frappant à la porte de sa chambre pour lui demander s’il voulait déjeuner n’arrangea pas les choses. Cependant, il ne ressentait aucune colère ou aucun agacement. Après cette nuit, tout ce qui subsistait était son âme trempée par des larmes de peine. Il sortit nonchalamment de sa chambre et, toujours sans une parole ni un regard vers son père adoptif, alla petit-déjeuner.

La matinée et l’après-midi passèrent à vive allure. L’orphelin resta allongé dans son lit, son regard perdu dans le vague et fixant son plafond. Le défaitisme commença à ronger sa famille d’accueil qui ne savait plus à quel saint se vouer. Si bien que pour la première fois, ni Christelle ni Philippe n’avaient tenté de le faire parler. Pierre s’en réjouissait, il pouvait à nouveau penser à ses parents, encore atterré par ce que lui avait appris Sän. Les traits d’obscurité, signe avant-coureur de la nuit environnante donnaient à sa chambre une atmosphère pesante. La fatigue commençait à le consumer, il ferma inexorablement ses yeux.

Le grincement de la porte de l’armoire se fit entendre. Pour la première depuis qu’il l’avait rencontré, Pierre ne se sentait pas heureux de voir Sän. Cela l’agaçait. Il en voulait au monde entier pour la disparition de ses parents, il voulait juste être seul, qu’on lui fiche la paix.

L’espoir, lueur parmi les pensées obscures, ne brillait plus. L’espoir de revoir sa mère et son père l’avait quitté définitivement cette nuit-là et sa peine était inconsolable. Il n’avait plus aucune volonté. Tout ce qu’il souhaitait c’était que tout cela ne soit qu’un mauvais rêve dont ses parents le tireraient. Mais il savait cela faux, il savait que cette douleur ne s’estomperait pas, que la « boule » qu’il ressentait au fond de la gorge ne disparaitrait pas. Tout était trop dur, trop pénible.

  • Laisse-moi, dit Pierre à Sän.
  • Tu ne veux pas venir aujourd’hui ? lui demanda l’étrange garçon.
  • Non, j’ai besoin d’être seul…

Son ami ne dit pas un mot.

  • J’ai… besoin de réfléchir. De me remettre un peu les idées en place, de comprendre tout ça, continua Pierre.
  • Comprendre quoi ? demanda Sän.
  • Pourquoi tout ça, mes parents, toi, cet autre monde là-bas… tout.
  • Très bien. Je pense que tu ne tarderas pas à comprendre.
  • Tu ne veux pas me dire ? Ce ne serait pas plus simple ?

Et sans dire un mot, Sän se retourna et passa la porte de l’armoire. Pierre n’essaya pas de l’en empêcher, il n’en avait pas la force et, à vrai dire, pas l’envie. Une fois la silhouette de son ami évanouie dans l’obscurité de la chambre, il se laissa envelopper dans les ténèbres rassurants et calmes de la nuit et laissa ses larmes couler. Des larmes d’une tristesse qui semblait sans fin.

Philippe et Christelle entendirent ses pleurs semi-étouffées. Il finit par s’endormir, épuisé d’avoir tant pleuré. Quand il se réveilla, le soleil à peine levé, il se rendit compte qu’ils l’avaient emmenés dans leur chambre et qu’ils dormaient à ses côtés.

Pierre ne comprit pas pourquoi sur le moment. Cela le réconfortait. Un peu de chaleur humaine lui fit du bien. Il s’en voulu alors de son attitude de ces derniers jours, ses parents adoptifs n’avaient rien fait pour mériter une telle colère.

Néanmoins, leur touchante attention ne soulagea pas entièrement le cœur du jeune garçon. La douleur était toujours aussi intense mais la tristesse était maintenant moins présente. Pierre après cette longue nuit de réflexion s’était fait à l’idée que rien ne lui ramènerait ses parents. Il avait compris que l’espoir était l’un des synonymes de souffrance lorsqu’il n’était pas réfléchi. Ils n’étaient plus de ce monde et personne ne pouvait y changer quoi que ce soit.

C’était le destin, pensait-il, voilà tout.

Durant la journée qui suivit, Pierre ne fut pas beaucoup plus loquace qu’à son habitude. Mais pour la première fois depuis qu’il était avec eux, Christelle et Philippe arrivèrent à lui décrocher des mots sur autre chose que sur ses parents. Cela les réjouissait mais l’attitude de l’orphelin les inquiétait quelque peu.

En effet, Pierre ne semblait plus vraiment réagir, il se contentait d’attendre, impassible. Et restait assis, les mains sur les genoux. On aurait dit un automate, un petit robot à effigie humaine. Il subissait chaque seconde.

Puis vint le soir. Philippe alla border Pierre. Au moment de partir de la chambre, il fit demi-tour, et s’assit sur le lit.

  • Est-ce que tu te sens bien Pierre ? Tu as besoin de quelque chose ? Un verre d’eau ? Ou de lait peut être ? demanda-t-il à l’enfant.
  • Non, merci.
  • Tu sais, je peux te tenir compagnie cette nuit si tu en as envie. Ou Christelle si tu préfères…
  • Non, ca ira.
  • C’est comme tu le souhaites Pierre, cela ne pose pas de problème.
  • Non, c’est bon.
  • Très bien, c’est comme tu veux. Tu sais, cette période que tu vis en ce moment, je sais que ça te semble horrible et insurmontable, mais ça va passer, avec le temps, tout finit toujours par passer. Et si tu le veux bien, Christelle et moi nous serons là pour t’aider à passer au-delà de ça et de bien d’autres choses que la vie te réserve.
  • Je ne sais pas. J’aimerais dormir, je suis épuisé. Bonne nuit Philippe, répliqua le jeune garçon, terminant ainsi la conversation, les paupières lourdes.
  • Bonne nuit mon grand.

Philippe se dirigea vers la porte de la chambre, au moment où il posa la main sur la poignée, Pierre balbutia :

  • Euh… Philippe ?
  • Oui ?
  • Merci…

Philippe sourit.

  • Il n’y a pas de quoi, à demain. Dors bien.

Il éteignit la lumière, ferma la porte et ne mit que quelques secondes à s’endormir, comme un loir.

Puis vint l’habituel grincement de l’armoire et Sän qui en sortit.

  • Salut, dit-il, tu es prêt à me suivre aujourd’hui ?

Pierre haussa les épaules.

  • Je n’ai rien d’autre à faire après tout…

Sän lui tendit une main que l’orphelin prit machinalement sans même y prêter attention. Puis à nouveau, ils furent transportés dans l’autre monde.

A peine arrivé dans ce monde qu’il aimait tant, Pierre se sentait déjà plus calme malgré ce vide en lui toujours présent. Cet endroit était pour lui comme le baume que l’on appliquerait sur une blessure, atténuant la douleur mais ne l’effaçant guère. Certaines blessures ne partaient jamais et le jeune garçon commençait à s’en douter, il allait falloir supporter tout ça. Jusqu’alors Pierre n’avait pas vraiment prêté attention à l’endroit où ils se trouvaient. L’ambiance du lieu était toujours apaisante, mais différente de d’habitude puisque, cette fois-ci, il faisait nuit, au contraire de leurs précédentes escapades. Ils se trouvaient à l’orée d’un bois mais étrangement, comme l’on pourrait le penser dans un contexte nocturne, le bois n’avait rien d’effrayant, au contraire, il était tentant d’y pénétrer. Les ombres des feuilles dansaient et l’appelaient musicalement. Pierre demanda alors à Sän :

  • Où sommes-nous cette fois-ci ? Ce lieu est vraiment étrange, j’ai une drôle de sensation. Une bonne sensation.
  • Eh bien, répondit Sän d’un ton très calme, ici je compte te montrer quelque chose, plus précisément un lieu qui se trouve dans ces bois. Je dois quand même dire que ce ne sont pas les mêmes que ceux où nous sommes allés la dernière fois. Nous approchons d’une étape très importante pour toi, elle sera déterminante et probablement difficile, sur le moment. Mais si tu parviens à la surmonter, le résultat n’en sera que plus bénéfique pour toi. Suis-moi, nous allons entrer dans ce bois.

Pierre était tellement intrigué qu’il ne posa pas de questions. Quelque chose le happait. Ils pénétrèrent alors dans les bois. Le lieu n’avait vraiment rien d’effrayant. Seulement, il ne faisait pas complètement sombre et aucun bruit lugubre ne se faisait entendre. Le silence total faisait résonner leur pas et respiration. Tout le long du chemin, personne ne parlait et Pierre était trop occupé à regarder autour de lui, où de petites sources de lumière flottait calmement dans l’air, donnant un aspect rassurant à ces lieux. On aurait dit des graines de pissenlits lumineuses, qui étaient portées par le vent. La lumière émise par ces choses avait une teinte bleutée, ce qui contribuait grandement à la féérie de ces bois. Au bout d’un quart d’heure de marche, les garçons arrivèrent dans un endroit assez étonnant. Dans une zone circulaire d’environ 20 mètres de longueur, bordée de saules pleureurs, se trouvait une fontaine pierreuse et rutilante. Sân y amena Pierre et dit :

  • Voilà, c’est ici.
  • Ici quoi ? demanda Pierre, complètement intrigué. Pourquoi m’as-tu emmené ici ? C’est très beau mais qu’y-a-t-il que je doive absolument voir ?
  • Il te faut à tout prix avoir une confrontation, déclara Sän d’un ton sérieux.
  • Mais une confrontation avec qui ?
  • Avec toi-même. Demande-toi : qu’est-ce qui te fait le plus souffrir ces temps-ci ? Toi et moi le savons tous les deux.
  • Oui… mes parents, dit Pierre en baissant la tête d’un ton monocorde.
  • Exact, alors regarde dans l’eau, et pense à ce qui te fait tant souffrir.

Pierre se pencha et regarda. Il ne voyait rien d’autre que son visage triste qui n’exprimait que de la souffrance. Soudain, des vaguelettes se formèrent tordant son triste reflet et de la fumée émana de l’eau. L’eau bouillonnait et une lumière intense brilla. Cette fumée prit forme, lentement. Elle se matérialisa et ressembla à deux silhouettes humaines de taille adulte.

Quelques secondes plus tard, Pierre reconnu sa mère et son père. Il voulut se jeter sur eux, mais se rendit compte que tout cela n’était probablement qu’une illusion, une illusion affligeante qui rendait sa douleur encore plus amère et terrible. Il tenta tout de même de s’adresser à eux :

  • Maman, papa, c’est bien vous ?

Ils ne répondirent rien mais le regardaient avec bienveillance. Pierre reprit :

  • Non bien sûr, vous n’êtes qu’une illusion. Pourquoi je vous vois ? Qu’est-ce qu’il se passe ?

Cette fois, le père de Pierre répondit :

  • Tu nous vois parce que tu veux nous voir Pierre, nous ne sommes que la production de ton esprit. Ce lieu fait apparaitre la personne ou l’objet que la personne rêve de voir. Ecoute-moi car nous n’avons malheureusement pas beaucoup de temps.
  • D’accord.
  • Très bien. Tu dois comprendre que nous ne sommes plus en vie, l’accident nous a été fatal. J’en suis désolé, nous t’avons laissé. Mais tu n’es pas seul pour autant et nous sommes pour ainsi dire toujours présents en toi, dans ton esprit, la preuve ici puisque tu nous vois. Le cœur est la deuxième et véritable maison des gens que tu aimes. Tant que tu penseras à nous, nous vivrons à travers toi. La vie continue pour toi et, même si ce sera difficile, tu dois vivre sans nous. Je suis persuadé que tu peux y arriver, car tu es mon fils. Tu vas avoir besoin de temps, mais tout rentrera dans l’ordre. Tu dois rester la personne que tu étais avant que nous ne partions. Tu n’es pas le seul à qui cela est arrivé et cela arrivera encore, mais t’abandonner à une tristesse permanente, et même te fermer à cette famille qui t’a accueilli à bras ouvert ne nous fera pas revenir. Tu dois vivre pour nous, car tu es notre plus grande fierté. Sois fort.

Pierre avait une boule à la gorge, il se retenait de fondre en larme. Il voulait se montrer fort pour ses parents. Il voulait qu’ils soient fiers de lui.

  • D’accord, répondit Pierre en retenant toujours ses larmes. Maman, papa, je vous promets de faire de mon mieux, vous me manquerez.
  • Je sais mais ne t’inquiète pas, parla enfin sa mère, nous serons toujours présents aussi longtemps que tu ne nous oublieras pas.
  • Je vous aime… dit doucement Pierre.
  • Nous aussi Pierre, nous aussi.

Leur silhouette s’évapora alors progressivement dans l’air. Pierre les regarda, essayant de les retenir visuellement. Il se tourna vers Sän, qui n’avait pas dit un mot depuis le début et dit :

  • Merci Sän, j’ai compris maintenant.
  • J’en suis heureux, lui répondit Sän avec ce grand sourire chaleureux qui lui était coutumier. Alors tu n’as plus besoin de moi, me semble-t-il.
  • Que veux-tu dire ? l’interrogea Pierre.
  • Je ne suis qu’une production de ton esprit tu sais, rien de tout cela n’est réel, si ce n’est tes émotions. C’est pour cela que tu te trouves dans un rêve.
  • Je m’en doutais un peu. Cétait vraiment trop étrange, surtout cette queue, dit Pierre en pointant du doigt le dos de Sän.
  • Oui c’est vrai, pouffa de rire le garçon, c’est toi qui m’a créé après tout ! Bon, je pense qu’il est temps pour toi de rentrer, tu es prêt à aller de l’avant.
  • J’ai été content de te connaitre. Merci encore Sän. Même si tu n’existes pas vraiment, tu restes mon ami.
  • Evidemment ! Qui sait ? Peut-être nous recroiserons nous au détour d’un rêve ? Dit Sän d’un ton farceur.
  • A bientôt alors, Sän.
  • Au revoir Pierre, sourit le garçon à la queue de singe.

Sän posa sa main sur l’épaule d’Pierre et l’effet fut instantané.

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