I

5 minutes de lecture

Pierre était un petit garçon comme les autres, vraiment comme les autres. De taille moyenne, les cheveux bruns et le sourire innocent, il aimait s’amuser, s’évader, courir à travers ville et campagne. Tous les dimanches, il rejoignait ses amis au city-stade pour jouer au football et au basket-ball, qu’il fasse grand soleil, qu’il vente ou qu’il neige.

Les problèmes glissaient sur lui, sa joie de vivre transportait tout le monde. Il ne voyait pas la noirceur du monde, tout n’était que lumière et bonté. Il se levait, profitait de la journée du mieux qu’il le pouvait et allait retrouver le royaume de la nuit, cet univers de songes dans lequel tout était possible et imaginable.

Sa candeur, Pierre la tenait de son père. Celui-ci répétait tous les jours que l’enfance était l’aube de l’infini, la certitude d’un futur, que c’était pour cela qu'elle devait perdurer. Bien qu’il ne comprenait pas tout, il écoutait sagement son paternel.

*******

Pierre avait 10 ans depuis peu, et rien dans sa vie ne laissait supposer que quoi que ce soit le distingue d’un autre enfant de son âge. Un enfant tout ce qu’il y avait de plus banal. Et c’est aux garçons ordinaires qu’il arrive des malheurs ordinaires.

C’était une belle journée de printemps, douce et sous un réconfortant ciel azuré. Les arbres se réveillaient d’un sommeil hivernal, les chênes redevenaient robustes et les cerisiers fleurissaient. Les hirondelles tridulaient gaiement et mélodieusement. La Nature dévoilait son territoire le plus intime.

Ses parents avaient prévu d’aller faire un tour au parc de sa ville pour passer une journée en famille. Pierre se dépêcha donc de s’installer à l’intérieur de la bonne vieille voiture familiale, une Mercedes grise chinée dont les kilomètres au compteur résumaient parfaitement le passé aventureux et actif de la famille. Chaque été, ils partaient en vacances et, chaque année, ils changeaient d’endroit.

À peine était-il installé que ses parents démarrèrent la voiture.

Une journée normale.

Tout comme l’accident qui suivit.

Un évènement banal.

Ils suivaient une route peu fréquentée, à l’orée d’une forêt, quand un camion roulant à contresens vint percuter la voiture. Le chauffeur, ivre, s’était endormi au volant et son véhicule avait changé de voie. Le choc fut terrible, aussi bien pour la voiture que pour Pierre. Un fracas retentissant avait déchiré le silence paisible porté par la mer d’arbres aux alentours.

Les éclats de métaux et de verres virevoletèrent dans une danse improbable et mortifère. La tôle éclatée alla s’écraser contre l’un des conifères jouxtant la route. L’enfant ne percevait rien de tout cela. Il essayait juste de se raccrocher à la main de sa mère, le seul espoir qui lui était tendu dans cet indescriptible et incompréhensible tumulte. Soudain, un objet lourd vint cogner sa tête puis, plus rien.

Et de cet accident si ordinaire, découla une aventure qui, elle, l’était beaucoup moins.

Il ne restait presque rien dans l’esprit embrumé du petit Pierre, seuls subsistaient des fragments émiettés de souvenirs concernant la tragédie dont il avait été victime avec ses parents le matin même. Tout était allé très vite, trop vite. Tout ce dont ce garçon se rappelait, c’est qu’il était en partance pour le parc, jouant à l’arrière à un jeu vidéo qu’il avait reçu quelques jours auparavant. Il ne subsistait plus rien d’autre que le bourdonnement terrible et continu du métal se distordant au moment du choc.

Le reste lui avait été raconté par le personnel médical de l’hôpital où il avait été admis avec une légère blessure à la tête, la ceinture de sécurité l’ayant relativement bien protégé. Après son réveil dans sa chambre, beaucoup de gens s’étaient affairés autour de lui pour subvenir à ses besoins.

Personne ne semblait vouloir lui expliquer ce qu’il s’était passé. Personne n’osait lui donner de réponse.

"Où sont mes parents ?"

Cette question, Pierre l’avait posée un nombre incalculable de fois. Effrayé et énervé par le manque d’explication, il attrapa le bras d’un soignant et demanda :

  • Est-ce que je peux voir maman et papa ? Dans quelle chambre sont-ils ? Est-ce qu’ils vont bien ?

L’infirmier, plus que mal à l’aise, lui dit alors qu’il allait chercher quelqu’un, sans donner plus de détails. Un homme en blouse blanche avec des lunettes à double foyer apparut alors dans la chambre et se présenta :

  • Bonjour Pierre, je suis le docteur Letournier. Est-ce que tu te sens bien ?
  • Oui, j’ai juste un peu mal à la tête, dit-il en se touchant le front.
  • C’est normal, tu as un léger coup sur la tête mais rien de très grave.
  • Est-ce que vous savez où sont mes parents ? J’ai demandé au monsieur tout à l’heure mais il est parti en disant qu’il allait chercher quelqu’un. Est-ce que c’est vous ?
  • Oui, en effet. Écoute, mon garçon, je dois te dire quelque chose. Ta maman et ton papa ne sont plus parmi nous.
  • Quoi ? Ils m’ont laissé à l’hôpital et sont rentrés sans moi ?
  • Non… Je suis désolé, ils nous ont quitté. Ils ne sont plus avec nous, mais dans un monde meilleur.
  • Je ne comprends pas.
  • Eh bien… Ils n’ont pas survécu à l’accident de voiture. Je suis désolé…
  • Non, vous me mentez ! C’est pas possible !

Quelque chose se brisa en lui. Les grains du sablier du temps ne s'écoulaient plus, la terrible nouvelle créa un énorme trou dans sa poitrine. Sa respiration s'accéléra et il se mit à sangloter. Le lien indéféctible qui l'unissait à ses parents venait de se briser.

Ses pleurs insoutenables ne se tarirent qu’à la tombée de la nuit, la fatigue ayant momentanément raison de sa tristesse.

Il était seul face à la vie. À partir de ce moment, Pierre ne dit plus un mot. Toute lueur d’espoir et de vie avait déserté ses yeux, son sourire rafraichissant remplacé par un visage apathique. Il n’avait pas pu croire ce qu’on lui avait dit, tout simplement parce que cela lui paraissait inconcevable. Ses parents ne pouvaient pas avoir disparu, ils étaient invincibles. Et pourtant…

Les jours passaient et son mutisme continuait.

Beaucoup de personnes du corps médical venaient lui parler, tentant de le réconforter, mais sans succès.

Il n’avait plus personne, aucune famille proche, ce qui força l’hôpital à prévenir les services sociaux.

Tout cela, le médecin lui avait expliqué, mais Pierre n’écoutait pas. Ses parents n’étaient plus là et, lui, n’était plus qu’une coquille vide sans âme. Sa famille n’était plus, de cet archipel uni et joyeux, il ne restait plus qu’un îlot solitaire.

Que pourrait-il bien se passer maintenant ?

Quelle était sa famille de substitution ?

La famille Garde.

Christelle et Philippe.

Un jeune couple sans enfants.

Ils avaient tous deux une bonne situation sociale. La femme, agente immobilière et le père, professeur des écoles, prirent soin de lui pendant de longues semaines, mais rien ne changeait. Pierre refusait toujours de parler malgré leur amour incommensurable et le suivi psychologique proposé par les médecins.

Plus il était entouré, plus il se sentait seul.

L’orphelin n’attendait qu’une chose : la nuit, le moment où il était dans sa chambre. Personne ne cherchait à lui parler. Seul, il pouvait alors penser à ce qu’il voulait. Et la seule chose dont il avait envie, c’était ses parents.

Annotations

Vous aimez lire SeekerTruth ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0