Zombie

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La lumière aveuglante du soleil. L'écrasante chaleur. De la poussière partout. Parfois des cris, du sang et de la douleur. Impossible de résumer autrement l'existence menée par les hommes aujourd'hui. C'était comme ça depuis... je n'arrivais pas à mettre une durée sur cet interminable enfer mais je doutais de pouvoir le supporter pendant encore longtemps. Carrie se tenait en face de moi, tremblante et recroquevillée dans un coin de la pièce. Je ne devais pas être dans un meilleur état qu'elle. On s'était rencontrés il y a une semaine environ et avions décidé qu'il serait mieux pour nous de voyager ensemble plutôt que séparément. Mes doigts serraient nerveusement un tuyau et Carrie se balançait d'avant en arrière avec une batte de base-ball dans le creux de ses bras.

- On devrait...

Ma phrase fut interrompue par des bruits violents de martèlement contre la porte de notre pitoyable abri. Carrie fit un petit glapissement, je me dépêchai de m'assoir à côté d'elle. Je la prenais dans mes bras en lui intimant de se taire. Elle pleura silencieusement contre ma poitrine, je sentais uniquement ses sanglots. Mon cœur battait à tout rompre, priant de toutes mes forces un Dieu dont j'avais toujours refusé d'admettre l'existence. Pitié faites que la porte tienne. Pitié faites qu'ils ne rentrent pas. Pitié, je ne veux pas mourir comme ça. Ces phrases tournaient en boucle en ma tête tout le temps que leurs poings frappaient la porte et les murs de la pièce. Après un moment, les bruits finirent par s'arrêter. Je tentais de me lever mais Carrie était toujours aussi fermement agrippée à moi. Je la rassurais pour qu'elle me lâche. J'allais en me traînant à quatre pattes jusqu'à la fenêtre où je me hissai à peine assez haut pour jeter un coup d'œil dehors. Je scrutai de tous les côtés.

- Ils sont partis. On devrait bouger. Trouver à manger.

Je me tournai vers Carrie, elle ne pleurait plus mais je devinais une extrême fatigue dans ses yeux. Une lassitude de devoir vivre comme ça. Je la comprenais parfaitement, elle n'avait pas besoin de parler, j'arrivais à lire sur son visage ce qu'elle pensait. Cela était très utile d'ailleurs vu que les derniers mots que la jeune femme avait prononcé d'une voix faible étaient : « ne m'abandonnez pas » il y a plus d'une semaine quand je l'avais rencontrée. Depuis elle n'avait plus rien dit. Pas un mot. Les seuls sons qu'elle émettait étaient sa respiration et les discrets reniflements après une crise de sanglots lorsque nous les rencontrions. Elle ne m'avait pas dit son nom, j'avais supposé que c'était son prénom car c'était brodé sur son sac. Elle n'avait jamais démenti.

- Viens Carrie, allons-y.

Je me levai complètement et elle m'imita. Nous sortîmes après avoir ouvert la porte avec précaution, nous devions faire le moins de bruit possible. C'était le début d'après-midi, le soleil était bien haut dans le ciel sans nuage. Il faisait une chaleur écrasante et la rue était balayée de sable. Sweetwater était autrefois une ville pleine de charmes, à proximité de la forêt et des nombreuses rivières qui parcouraient la région. Maintenant, forêt ou désert, tout était pareil. Pour trouver de la nourriture, notre meilleur espoir était le supermarché mais ça nous rapprochait dangereusement du centre-ville. Il y en avait toujours plus par là. J'ignorais pourquoi. Je marchais doucement avec Carrie sur mes talons. Avant c'était assez perturbant qu'elle ne dise pas un mot. Il y avait déjà du sang séché sur sa batte de base-ball avant mon arrivée, avoir à s'en servir avait dû la traumatiser profondément. Avoir pu trouver la force de me dire trois mots avait dû être difficile. Nous arrivâmes assez rapidement au supermarché, peut-être trop rapidement. Je me sentais mal à l'aise. Quelque chose n'allait pas mais j'étais incapable de mettre un mot sur ce sentiment. Pourtant je ne voyais rien d'autre bouger à part nous dans les environs. Carrie et moi entrâmes dans le supermarché le plus silencieusement possible. En passant devant le rayon cuisine, je pris un grand couteau tranchant que je fourrais dans mon sac. Ça pouvait toujours servir. Alors que nous remplissions nos sacs à dos avec des provisions pour avoir de quoi tenir plusieurs jours, un grand bruit me fit sursauter. Une boîte était tombée par terre avec un énorme fracas. Le silence qui suivit n'était plus le même. J'étais tendu. Carrie était figée, les larmes coulant silencieusement sur ses joues. Elle se rapprocha de moi quand j'entendis les pas. Merde. Il y en avait. Je tournai Carrie vers moi et formai le mot « cours » sur mes lèvres. Elle acquiesça et elle détala. J'étais sur ses talons. A peine une dizaine de mètres plus loin, elle s'arrêta d'un seul coup. Je faillis la percuter. Devant nous se trouvait cinq zombies et ils avançaient vers nous. Mon sang ne fit qu'un tour, je regardais par dessus mon épaule, d'autres arrivaient par derrière. Nous étions piégés. Je resserrais ma prise sur mon tuyau. Je n'entendais que les battements affolés et assourdissants de mon cœur. Nous étions obligés de passer au travers.

- Suis-moi. murmurai-je.

J'avançai d'un pas décidé vers le premier zombie. Autant affronter ceux là plutôt que ceux venant de derrière qui étaient plus nombreux. Je lui balançai mon tuyau dans la tête et il tomba au sol. Je décidai de passer sur le côté là où on pourrait se faufiler vers la sortie. Deux zombies venaient vers moi, j'esquivai le premier de mon mieux et lui fit un croche-pied pour le faire tomber. Je frappai le deuxième alors que Carrie cria. Je me retournai vers elle et vit qu'elle avait été attrapée par la cheville. Je mis un coup de pied dans la tête de l'assaillant qui se décrocha. Une vive douleur me déchira l'épaule. Je criai malgré moi. Un souffle répugnant dans mon cou. Je vis du coin de l'œil la batte de base-ball s'abattre et la mâchoire lâcha prise. Je pris Carrie par la main et je me mis à courir. Nous sortîmes du supermarché. Une importante quantité de sang commençait à couler de ma blessure. Elle me faisait souffrir terriblement. J'entraînai Carrie vers le refuge que nous avions quitté plus tôt. Au moins j'étais certain qu'il était sûr. Une fois à l'intérieur, je me laissai tomber sur le sol.

- J'ai été mordu. Réalisai-je à haute voix.

Cette prise de conscience ne fit qu'accélérer les battements de mon cœur, faisant pomper le sang encore plus vite, le faisant sortir encore plus vite de mon corps par ma blessure au cou. Allais-je mourir d'hémorragie avant de me transformer ? Ce serait meilleur pour moi. Je ne voulais pas devenir comme eux. Carrie se laissa glisser à côté de moi et remonta lentement le bas de son pantalon. Elle avait des griffures sur le mollet. Elle aussi allait se transformer. Elle prit une serviette de son sac et me la fis tenir contre ma blessure pour éponger le sang.

- Oh Carrie, je suis désolé... Tout est ma faute...

Je réalisai alors que je pleurais moi aussi. Mais pas silencieusement comme la jeune femme. Je n'avais pas la force de me restreindre. Elle prit simplement ma main libre et la serra fort. Je la regardais les yeux plein de larmes et je me laissais faire. Comme toujours elle n'avait pas besoin de parler. J'ignorais en combien de temps nous allions nous transformer. Je n'avais jamais assisté à ça. Qui sait ? Ça pouvait bien prendre uniquement quelques minutes ou nous faire agoniser pendant des heures voire des jours. Le linge était imbibé de sang mais il me sembla que le flot ralentissait. Je n'allais peut-être pas mourir d'exsanguination finalement... Je regardai le mollet de Carrie, toujours à l'air libre. Des tâches noires commençaient à apparaître autour des marques de griffures. Je me doutais que la même chose se produisait au niveau de mon cou. Apparemment, la transformation était plutôt rapide après avoir été en contact avec un zombie.

- Tue moi.

Je regardai Carrie le regard vide. Mon âme se déchira en deux à ces mots. Un violent sanglot me prit et je ne pus le retenir. Ses yeux vert émeraude soutenaient mon regard. Les larmes séchaient sur ses joues. Elle était résolue. Elle avait fait son choix. Je la comprenais, il valait mieux mourir que de devenir l'un d'entre eux. Je hochai lentement la tête. C'était tout ce que je pouvais faire pour elle à présent. Je fus saisi d'un violent tremblement en réalisant que la seule fois où elle m'avait parlé, c'était alors pour me demander de ne pas l'abandonner. Ce que j'étais en train de faire. C'était ma faute si elle en était arrivée là. Je passai rapidement mon regard sur nos armes. Non je ne pouvais pas faire ça. Elle allait souffrir le martyre si je la battais à mort. J'ouvris lentement mon sac et j'en sortis le couteau. Ce n'était pas pour ça que je l'avais pris mais ça n'avait plus d'importance maintenant. Je m'agenouillai près d'elle. Ma tête commençait à me tourner. Les effets d'une morsure étaient bien plus violents que ceux d'une griffure. Plus rapides aussi.

- Je vais viser le cœur. Tu ne sentiras rien. arrivai-je difficilement à articuler.

Elle hocha à nouveau la tête. Je lisais de la gratitude dans ses yeux à présent. Elle me serra dans ses bras pour la première fois et s'allongea sur le sol. Elle ferma les yeux. Je positionnai le couteau au dessus de son cœur. Je respirai bruyamment. Je détournai le regard en enfonçant la lame dans sa poitrine. Je la retirai et m'affalai contre le mur, tremblant. Une mare de sang se forma sous son corps. Néanmoins elle semblait en paix. Je tentai de retourner le couteau contre ma propre poitrine à mon tour mais je ne parvins pas à me l'enfoncer dans le corps. Je pleurai un long moment à côté de la jeune femme, rongé par le remords de l'avoir conduite à sa perte. Si elle avait rencontré quelqu'un d'autre, elle s'en serait peut-être sortie. Je n'étais qu'un ...

La main de l'homme lâcha le couteau qu'il tenait toujours. Ses yeux étaient devenus quasiment noirs et le sang s'arrêta de couler de sa blessure à la gorge. Son cœur ne pompait plus. Il émit un râle qui n'avait rien d'humain et se remit difficilement sur ses pieds. Il n'était aucunement intéressé par la femme morte à ses côtés. Il lui fallait de la chair vivante. Pris au piège dans un espace clôt il commença à tourner en rond, tentant vainement de renifler une proie.

                                                            « La souffrance a ses limites, pas la peur. »

                                                                                       Arthur Koestler

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