Chapitre 17 - Désespérance - partie 2

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Chapitre 17

Désespérance

(partie 2)

J’ai sonné mais personne n’a ouvert. Alors j’ai pris mon double des clés et je suis entré sur la pointe des nerfs. J’ai entendu le bébé qui pleurait dans sa chambre, je suis allé le voir, j’ai essayé de le calmer en le serrant dans mes bras. Et j’ai entrepris de chercher Livia.


Je l’ai trouvée bien trop vite à mon goût, bien trop figée aussi, blanchâtre et immobile sur son affreux canapé rose. Ses doigts étaient secs et ses lèvres étaient grises. J’ai tenté de la réanimer en attendant les secours, mais je n’ai pas pu. Eux non plus, d’ailleurs : Livia est morte peu après son admission à l’hôpital. C’est un petit interne épuisé et désolé qui me l’a appris ; j’étais assis seul dans le couloir des urgences, et Frank dormait tout doucement dans mes bras, du sommeil du juste ou de l’orphelin.


Ensuite il a fallu appeler John, choisir des mots qui ne sonnent pas trop creux face à l’indicible et trouver la force de les prononcer de manière intelligible. Je ne sais pas s’il a vraiment réalisé ce que je lui disais, il m’a murmuré qu’il prendrait le premier avion pour rentrer et il a raccroché rapidement.


J’ai très vite dû me rendre à l’évidence de cette mort. J’ai vu ma sœur seule et glacée sur un lit d’hôpital, avec un tube dans la gorge et une ombre sur les lèvres. Il y avait près d’elle une toute jeune infirmière très embarrassée qui n’a rien trouvé d’autre à dire qu’un admiratif « Elle est belle… ». Elle aurait mieux fait de se taire et elle l’a bien senti, alors elle m’a demandé si elle devait prévenir quelqu’un, je lui ai donné le numéro de Diego et Fatou, et elle est sortie sans rien ajouter.


Bien sûr que Livia était très belle. Elle était belle quand elle regardait John ; quand elle parlait de ses enfants ; quand elle avait pris mes minuscules jumelles dans ses bras pour la première fois. Là oui, elle était magnifique. Mais il ne restait plus rien de cette beauté. C’est vide, un cadavre. Et j’aurais voulu ne jamais la voir comme ça, froide et immobile, comme mon père.


C’était la seconde fois de ma vie que je me trouvais face à un cadavre pâle que j’avais aimé de toutes mes faiblesses. Et j’ai eu bien du mal à ne pas m’effondrer dans cette pièce. Je tremblais des pieds à la tête. Et quand enfin je suis sorti de là, j’étais en miettes et ma sœur presque en bière.


Je me suis senti perdre pied progressivement. Je portais à ma sœur un amour sucré et absolu. J'aimais ses rires et ses enfants, ses mains et ses manies, ses yeux et ses humeurs. Or ce matin-là, tout cet amour m'est soudain resté sur les bras ; et j'avais une furieuse envie de m'étouffer avec, parce que je savais bien que Livia n'en aurait plus jamais besoin.


J’ai regardé partout autour de moi. Mais rien ne pouvait m’aider. J’étais affolé, paumé. J'aurais sûrement dû crier, mais cela faisait déjà trop longtemps que j'avais appris à me taire quand la souffrance venait s'encastrer au nœud de mes entrailles. Je ne pouvais rien faire d'autre que ravaler toutes les larmes de mon cœur, des grosses larmes froides qui sentaient la résignation.


A ce moment-là, l’infirmière m’a tendu une enveloppe blanche et froissée, en me disant qu’ils l’avaient trouvée sur elle. L’écriture de Livia avait tracé mon prénom dessus à l’encre froide. J’ai respiré un grand coup avant de l’ouvrir. Et puis je l’ai lue, très vite, d’une seule traite. J’ai dû la relire six ou sept fois avant de comprendre entièrement, absolument, ce que Livia avait voulu me dire. C'était si simple, pourtant. Je t'aime et je me tue, petit frère. Pardon.

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