Chapitre 12 - Latence - partie 2

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- XII -

Latence

(partie 2)

Mon doux amour,

Trois petits mots terribles pour le grand couillon que tu es !

Je sais bien que tu m’aimes, mon Sandro. Je le sais depuis que j’ai senti ta peur, depuis la toute première nuit que j’ai passée dans ta chambre. Je ne te l’ai jamais dit mais ce soir-là j’ai fait semblant de m’endormir sur ton lit ; et quand tu as fini par t’allonger près de moi, tu tremblais comme une feuille et j’ai compris beaucoup de choses.

J’ai parfois regretté ton silence, mais je ne t’en ai jamais voulu. Je n’en ai pas vraiment souffert, tout simplement parce que j’étais sûre de tes sentiments.

La seule et unique fois où j’en ai douté, c’est quand je suis rentrée à la maison et que j’ai vu que tu étais parti, sans dire au revoir à personne, pas même à tes enfants. As-tu pensé une seule seconde à ce que j’allais leur dire ? J’ai cru d’abord que tu voulais me quitter et que cette guerre était un prétexte tout trouvé ; j’ai cru que je m’étais trompée et que tu ne m’aimais pas.

Aujourd’hui je vois que tu as eu peur ; mais cela ne t’excuse pas. Tu n’as pensé qu’à toi, comme un sale égoïste que tu n’es pas. La guerre est une maladie mortelle qui peut t’emporter à chaque instant. As-tu vraiment cru qu’il suffisait de ne pas me dire au revoir pour que je n’en souffre pas ? Si oui c’est une insulte à mes sentiments, si non c’est une insulte à ta loyauté.

Je ne m’amuse pas à remuer le couteau dans la plaie ; mais j’aimerais que tu mesures ce que tu as fait. Surtout j’aimerais être sûre que tu ne recommenceras pas, et que je ne mens pas à Manon et à Esméralda quand je leur dis qu’elles peuvent faire confiance à leur papa. Rassure-toi quand même, tu me manques bien plus que je ne t’en veux, et ta lettre m’a fait du bien.

Les filles t’attendent de tout cœur, et je regrette tous les jours d’être seule pour les voir grandir. Elles commencent à apprendre à lire, elles sont belles et brillantes, et Manon te ressemble de plus en plus. Je les ai inscrites dans ton ancienne école pour qu’elles apprennent le cyrillique, et Marie m’a envoyé plein de bouquins en russe que tu avais quand tu étais petit. Du coup je les leur lis le soir, elles se moquent de mon accent et nous pensons bien fort à toi. Tu nous manques.

Tu me manques, Sandro. Je ne sais pas vivre sans toi, parce que nous avons toujours tout construit ensemble, parce que sans toi l’appartement est vide, le lit est froid, les filles sont tristounettes. Je me surprends même à regretter tes petits défauts, ta mauvaise humeur du matin, tes dégagements en touche quand le sujet de conversation ne te plaît pas et ta veste d’uniforme qui traînait toujours sur le canapé.

J’ai peur tous les jours de recevoir un coup de fil m’annonçant que tu es blessé, que tu es mort. J’ai aussi peur tous les jours que tu ne penses plus à moi, que tu passes à autre chose et à quelqu’un d’autre. Je regrette de toutes mes forces la féminisation de l’armée, aussi limitée soit-elle.

J’ai transmis tes différents messages à leurs destinataires. Manon et Esméralda te font dire qu’elles t’aiment très fort, que tu leur manques, qu’il faut que tu rentres bientôt et que tu es le plus beau papa du monde. Diego a grogné comme d’habitude, mais après il est allé se planquer dans un coin et je crois qu’il était tout ému. Il est toujours là, toujours le même. Fatou t’embrasse, elle a trouvé un boulot et elle se déguise en tailleur et talons hauts tous les matins. Elle est fière de sa réussite et elle a bien raison.

Sinon j’ai vu ta sœur l’autre jour, j’ai emmené les filles goûter chez elle. Livia est en pleine forme même si elle râle parce que tu ne lui donnes pas de nouvelles. La petite Claire est belle comme de l’eau de roche, elle est toute rousse avec de grands yeux bleus comme ceux de sa mère. Elle est adorable, pleine de sourires et de joie.

J’ai aussi des nouvelles de Marie, elle appelle souvent à la maison pour dire bonjour à Manon et à Esméralda, elle va bien et elle pense souvent à toi. Les filles sont parties à Vancouver pour une semaine pendant leurs dernières vacances, elles étaient heureuses de connaître ton pays et Marie était aux anges de les accueillir. Je sens que le Canada va devenir leur nouvelle maison de vacances, et je sens que cela te fera bien plaisir.

Au fait, je vais changer de travail, j’ai trouvé un poste dans une clinique gériatrique ultra-chic à Cannes, ça va me changer de l’hôpital. Normalement je dois commencer début juin, je vais laisser les filles avec Diego et Fatou en attendant la fin de l’année scolaire, comme ça j’aurai le temps de trouver un appartement. En tout cas je suis bien contente et impatiente de commencer.

Tu sais je suis heureuse de pouvoir t’écrire comme ça, j’ai l’impression de sentir ton regard et ton sourire par-dessus mon épaule. J’espère que tu es en bonne santé et que tu prends soin de toi. J’espère aussi que tu vas rentrer vite parce que je n’en peux plus, j’ai besoin de t’engueuler pour ton départ et de t’embrasser pour ton retour.

Je t‘aime, mon amour.

Catalina

PS : Je sais que tu as pris des photos quand tu es parti. Mais en voilà des nouvelles, l’anniversaire des filles à Vancouver, leur kermesse de l’an dernier quand elles étaient déguisées, la remise du diplôme de Fatou, le premier Noël de ta nièce… J’ai même réussi à faire poser ton acariâtre ami espagnol, c’est dire si tu lui manques !

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