Chapitre 9 - Naissance

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Naissance

Le Noël suivant fut un jour indélébile. Nous avons tout fait dans les règles de l’art, avec les guirlandes, le sapin, le foie gras, les cadeaux. Ce fut une soirée chaleureuse et feutrée, rieuse et calfeutrée.

Catalina souriait de mille feux et ce n’est qu’en voulant aller me coucher que j’ai compris pourquoi. Elle avait posé sur mon oreiller un petit bouquin coloré dont le titre évocateur était « Je vais être papa » ; juste à côté, une petite écriture ronde que je connaissais bien avait ajouté « début août ». Pendant quelques secondes, j’ai cru que la Terre et ma cervelle avaient cessé de tourner. Puis la lumière fut et je me suis retrouvé tout chamboulé au cœur.

J’ai rejoint Catalina qui faisait semblant de ranger la cuisine avec une joie secrète et ravissante. J’ai répondu à sa petite appréhension muette en la prenant longuement dans mes bras et en imaginant timidement dans ma tête cet enfant qui allait naître.

La grossesse fut longue et ronde. Catalina était belle comme une comète apeurée mais inépuisable. Elle portait haut et clair les couleurs de mon avenir. J’étais trop jeune, trop fuyant, pourtant j’ai rêvé à longs traits en attendant ce bébé qui en plus d’être le mien, était le nôtre.

La réalité a dépassé toutes mes espérances tant qualitatives que quantitatives. Les Enfants de Minuit sont nées un soir de Nice et d’orage, le jour de mes 20 ans, avec trois semaines d’avance. Elles étaient fantastiquement fragiles et je les ai ancrées en moi de toutes mes forces.

Nous les avons prénommées liberté et littérature, Manon et Esméralda. Elles ont bousculé notre vie comme d’inlassables insomnies. Nous avons couru de biberons en bobos, avec inquiétude et inexpérience. Puis les demoiselles Karenine ont éclos comme des splendeurs éternelles.

Manon conjuguait effrontément les traits slaves de mon père sur un zeste de Méditerranée. Elle était brune à la peau blanche, ses yeux étaient noirs et corses mais son regard était russe et droit. Tous ceux qui nous voyaient côte à côte s’extasiaient longuement sur notre ressemblance ; mais ils se trompaient de génération, car c’est directement au ciel de mon père que Manon avait pris sa noblesse et sa beauté. Elle était vive et vivifiante comme l’hiver canadien, rieuse et malicieuse comme un souffle de libeccio, fière et entière comme la terre des Magyars.

Esméralda ressemblait à sa mère comme deux gouttes de cristal. Elle avait la même beauté fabuleuse, les mêmes cheveux châtains très sombres, le même sourire de corail et la même grâce funambule. Seuls ses grands yeux verts étaient inédits comme d’immenses pépites aux mille et une facettes. Elle était fine et obstinée comme l’immensité russe, brillante et dansante comme un violon tsigane, simple et majestueuse comme Le Château des Carpathes.

Elles ont grandi comme par effervescence, étrangement différentes mais solidement unies. Elles ravissaient mon cœur et ma fierté chaque fois que mes yeux se posaient sur elles. Et elles réchauffaient ma vie en s’endormant parfois, la joue reposée sur ma poitrine, Esméralda à gauche, Manon à droite, pour leur sieste du dimanche.

Diego et Fatou nous ont épaulés encore et toujours, et je crois que notre jeunesse excessive n’a pas été trop dépassée par les évènements. Nous avons connu les nuits d’angoisse aux urgences, puis les premiers pas, les premiers mots qui sonnaient russes, la première rentrée larmoyante en maternelle, les cascades involontaires à vélo, les cadeaux improbables pour la fête des pères et les interminables spectacles annuels aux kermesses de l’école. Les obligations parentales étaient tantôt cocasses, tantôt profondes, toujours présentes. Les Enfants Terribles ont grandi doucement, si vite, entre Papa en uniforme et Maman en blouse blanche.

Puis elles ont mis un point final à la famille, un jour de vacances où elles ont demandé très officiellement à Marie l’autorisation de l’appeler Mamie. La réponse de la principale intéressée fut limpide comme un gros câlin aux yeux humides. Et je me suis gentiment moqué de son émotion pour qu’elle ne voie pas à quel point les mots de mes filles m’avaient touché.

Quand On a que l’Amour, peut naître de nos cendres une famille fondatrice et nourricière, imparfaite et lumineuse. Telle restera, je le crois, mon éclatante victoire et ma pacifiante Lettre au Père.

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