Chapitre 8 - Délivrance - partie 3

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- VIII -

Délivrance

(partie 3)

Mon Sandro,

Catalina est épuisée par le voyage et le décalage horaire, et je lui ai proposé de dormir dans la chambre qui aurait dû être la tienne, première porte sur ta gauche. J’ai téléphoné à votre hôtel pour les prévenir que vous ne viendriez pas ce soir.

Je devine où tu es parti, mais je ne pensais pas que tu rentrerais si tard. Il faut croire que tu en avais besoin. L’absence de ton père est un vide sidéral que tu devras porter toute ta vie, mais je crois que tu es prêt maintenant. Je te sais solide et fier, et je te sens digne de lui au-delà de toutes mes espérances.

Sa mort a été terrible pour moi aussi, tu sais. Je l’aimais tant, il était noble et doux, il était beau et droit, il était ma force et mon souffle. Et je suis fière comme au premier jour de porter son nom qui est aussi le tien. Je me suis dit souvent, pendant toutes ces années où tu étais si loin, que ce nom de Karenine qu’il nous a donné à tous les deux resterait un lien inextricable entre nous, envers et contre tout.

J’entends encore Nikolaï et son doux accent russe me dire que tu étais notre trésor à tous les deux. J’étais si fière de t’embrasser tous les soirs, si fière d’assister aux réunions de parents d’élèves de ton école, si fière que tout le monde puisse penser que mon ventre t’avait mis au monde.

Tu étais comme tu es toujours le plus beau cadeau que m’ait jamais fait Nikolaï. D’ailleurs tu le sais bien, sinon tu ne serais pas revenu vers moi après tant d’années ; je crois même que ça ne te déplaisait pas, parfois, de jouer à être mon enfant comme tu étais le sien.

Je suis heureuse au-delà des mots de te savoir à nouveau dans la chambre voisine de la mienne, mais je suis trop fatiguée pour attendre ton retour ce soir. Si tu as faim, sers-toi dans le frigo. Et si tu aimes toujours le beurre de cacahuète, tu en trouveras dans le placard du haut. Fais comme chez toi. D’ailleurs tu es chez toi ici, depuis bien longtemps.

Je travaille demain toute la journée, mais j’espère pouvoir te voir après ? J’ai tant de choses à te raconter, tant de choses à entendre surtout.

J’ai cru comprendre dans les silences de Catalina que cette Corse folle n’a pas pris soin de toi. J’imagine le pire et cela me ronge le cœur. Car si ce n’était pas pour te récupérer, pourquoi cette femme a-t-elle soudain débarqué dans notre vie ? J’ai pu vivre sans toi pendant dix ans sans m’effondrer, car je pensais qu’après t’avoir tant voulu, elle ne pouvait que bien s’occuper de toi. J’avais impitoyablement tort, et je regrette amèrement d’avoir pu croire cela un seul instant.

Je t’ai cherché pendant tout ce temps, je te le jure, j’ai même officiellement obtenu ta garde auprès du tribunal de Colombie Britannique. A mes yeux, ce jugement était depuis longtemps dérisoire et ridicule ; mais aujourd’hui je le trouve impuissant et douloureux, insoutenable même, quand je pense à la vie que nous aurions dû mener ici tous les deux.

Nikolaï aurait voulu que je te protège et je n’ai pas su le faire. Pardonne-moi, je t’en prie. J’ai peur de ce que tu vas me raconter demain mais j’ai besoin de l’entendre. Je crois qu’il le faut, pour reprendre ensemble le fil de nos vies telles qu’elles sont maintenant, et pour dépasser nos vieux souvenirs communs.

Je t’embrasse de tout mon cœur, mon petit, même si tu as bien grandi.

Marie

PS : ça ne me rajeunit pas de te voir amoureux, mais Catalina est charmante, et en plus, russophone ; ton père l’aurait adorée.

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