Chapitre 7 - Résilience

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- VII -

Résilience

C’est près d’un an après mes retrouvailles avec Livia que Catalina et moi avons quitté à la fois la DDASS et le lycée.

Nous avons loué un petit appartement avec trois chambres et une vue imprenable sur l’autoroute, dans un quartier niçois vertical et surpeuplé. Cette agglutination de tours et de parkings avait été baptisée Cité Alexandre-Dumas, et chaque tour portait le nom glorieux de l’un de ses personnages. Mais le panache n’était pas au rendez-vous, et pas un rayon de couleur ne dépassait du gris général.

Au dernier étage du Comte de Monte-Cristo, nous avons peu à peu bâti notre petite vie à nous, banale et vacillante. Diego et Fatou se sont installés avec nous, et c’est ensemble que nous avons fini de grandir, aussi inséparables mais moins héroïques que Les Trois Mousquetaires.

Diego travaillait comme assistant éducateur, c’était un boulot stable et il ne tremblait pas pour le loyer. Il me couvait du coin du cœur, et il était comme avant, sombrement adorable, amicalement nôtre, fièrement acariâtre et éperdument amoureux.

Fatou avait décroché une bourse universitaire, et fréquentait assidûment les bancs d’une grande école de commerce. Elle travaillait dur et tenait farouchement sa place de femme de tête et de tête de classe.

Fatou et Catalina étaient le jour et la nuit, mais elles s’entendaient comme Les Petites Filles Modèles. Et la noble métisse du Nord ravalait souvent sa fierté pour jacasser pendant des heures avec mon doux amour venu de l’Est. Diego et moi avions l’amitié bourrue et silencieuse, mais celle des filles était incorrigiblement joyeuse et loquace.

Catalina n’a pas trop souffert des soubresauts géographiques et linguistiques de sa scolarité, et elle n’avait qu’un an de retard quand elle a décroché son bac. Ensuite elle a gardé les gamins, les vieux et les poissons rouges du quartier, pour suivre une formation d’aide-soignante.

Quant à moi, contre toute attente, j’ai eu mon bac à 18 ans et du premier coup : mes prouesses en russe, en anglais et en littérature ont compensé la bérézina des autres matières. Mais je n’avais pas la persévérance studieuse de Catalina. Alors j’ai demandé et obtenu la nationalité européenne, grâce à la corsitude de ma mère ; et je me suis engagé dans la Grande Muette. Je suis parti en formation quelques mois, et suis revenu sous-officier de l’armée de l’air.

Depuis ce jour-là, nous n’avons plus jamais été sur la corde raide de la faim qui gronde. Notre vie a changé de visage, et nous avons fait comme elle. Catalina est devenue resplendissante, flamboyante, ondoyante comme un astre. Elle me consolait souvent, me réchauffait toujours, me bousculait parfois ; et nous vivions en amour sans jamais en parler.

C’est alors que j’ai ôté La Peau de Chagrin qui me collait aux tripes depuis Le Dernier Coup d’Archet. Au fil du temps et du cran de Catalina, j’ai enfin mesuré l’étendue de ses crimes. Et j’ai compris que le monde n’était pas ce nid d’aigles venimeux dans lequel elle avait voulu m’étouffer.

Catalina s’est ancrée dans ma vie avec une confiance que je restais incapable de nommer, comme si le verbe pouvait casser le rêve ; ma Roumaine luminescente était bien au-delà de tous les mots tendres. Je niais donc l’amour et l’évidence.

Pourtant ma vie ne tenait qu’à elle, et si j’avais peur des mots, je n’avais plus peur de ses mains. Catalina m’a appris Le Jeu de l’Amour et du Hasard, et ses caresses ont lavé les souillures de ma peau.

Elle avait l’espérance chevillée au cœur et elle oxygénait mes jours comme Les Hauts de Hurle-Vent. Elle m’a insufflé la vie et le courage, et m’a montré comment marcher la tête haute, les épaules droites et la main dans la sienne. J’ai découvert mon droit de vivre comme avant moi Les Vilains Petits Canards et Jonathan Livingston le Goéland. J’ai fermé mes poings sur mes entrailles indicibles et ma mémoire douloureuse. Et j’ai ouvert mes bras sur la taille si fine de cette jolie perle de feu qui roulait les « r » et les heures.

Notre amourette équilibriste et adolescente est devenue la source et la force de toute ma vie d’adulte, comme par magie ou par amour. Alors je me suis mis à être beau, Les Yeux Bleus, Cheveux Noirs, beau comme l’était mon papa, dans la droiture et dans la lumière.

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