Prologue 1-3

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  •  Je me demande bien pourquoi je fais l'impasse sur vous.
  • C'est tout un paradoxe.
  • Depuis combien de temps ?
  • A une époque je te répondais en semaines. Maintenant, je te répond en mois.
  • Je… je ne peux pas sortir d'ici... Je n'ai pas le droit et je me sens bien ici.
  • Je ne peux pas te faire sortir d'ici.
  •   Alors que cherchez-vous ?
  •   Racontes-moi ton plus vieux souvenir.

Marvin raconta à Lola ce qu'elle savait probablement déjà et qu'elle écrivait encore. Son plus vieux souvenir remontait à l'âge de ses vingt ans, quelques temps avant son internement. Il se revoyait assis sur des escaliers de béton en extérieur avec une autre personne qui portait un sweat rouge. Il faisait très beau ce jour-là. Ce souvenir restait ancré en lui mais ne sachant toujours pas si c'était du rêve ou du vécu car les escaliers semblaient être infini. Il était ensuite sollicité pour décrire son plus vieux souvenir dans cet hôpital, question à laquelle il ne pouvait pas répondre précisément. Il avait plusieurs anciennes images qui lui traversaient l'esprit sans pour autant déterminer quelle en était la plus ancienne. Cela n'était pas un frein pour Lola qui avait certainement déjà connaissance de tout cela, elle lui demanda de tout raconter, peu importe la perception d'ancienneté ou de réalité. Marvin était plongé dans un long monologue, cela lui rappelait ses premières séances à l'hôpital où il devait dévoiler tout ce qu'il savait pour l'aider à mieux se remémorer les événements. C'était différent face à une personne étrangère à l'établissement. Une vingtaine de minutes après, il finit sa série de récits, ce qui poussa Lola à arrêter d'écrire dans la foulée. Après une brève analyse, elle pu lui dire que les évenements furent sensiblement les mêmes que ceux racontés précédemment. Elle constata encore une stabilité pour certains souvenirs.

  • Je ne sais pas si je vais continuer à venir te voir Marvin. C'est très décourageant de toujours devoir tout reprendre à zéro avec toi.
  • Vous n'êtes pas ici pour étudier mon cas. Lui lança t-il convaincu.
  • Je ne suis pas étudiante tout cour. Ajouta t-elle comme une évidence tombée.
  • Le docteur Jeunet m'a préparé à cette visite, parce que d'après lui aussi, ce devait être la première fois que l'on se voit.
  • Le docteur est censé te dire la même chose à chaque fois.

Marvin resta silencieux, parfaitement intrigué. Il posa ses doigts sur ses tempes qu'il tapota en jetant aléatoirement un coup d’œil vers le surveillant. Il fit rejoindre les bases de ses paumes à hauteur de sa bouche. Il pu sentir l'air chaud qu'il expirait, tentant de contrôler ce souffle. Lola le regardait attentionnée mais non dupe, il faisait peu de bruit, mais cela ressortait bien dans le lourd silence qui régnait.

  • Vous n'êtes pas la seule personne dont je n'arrive jamais à me souvenir ?
  • Les thérapies que tu suis et les comprimés que tu avales t'aident à mieux te défendre contre moi. Je suis un élément digressant, étranger, c'est pour ça que ton cerveau se force à m'oublier. Sinon, ce serait beaucoup trop d'effort à faire.
  • Mais pourquoi ? Vous êtes qui ?
  • Ca ne t'aidera pas de le savoir. Tu t'es perdu dans le néant depuis trop longtemps.
  • Vous pensez que je ne le sais pas ça ? Je ne suis pas quelqu'un dont on puisse être fière. Ma vie n'est pas une réussite c'est vrai, mais cette vie, c'est ce qu'il y a de mieux. Vous ne me connaissez pas.

La résignation poussa Lola à rester silencieuse en se disant que lui même ne se connaissait pas.

  •   Pourquoi vous vous intéressez à moi ? Pourquoi ne me laissez-vous pas dans ce néant ? Je suis irrécupérable.
  • Je sais que tu te sens bien ici. Je reconnais cette attitude de lâche. Il ne s'agit pas que de toi Marvin, le monde extérieur à besoin de toi.
  • Pourquoi ?
  • Pour le guérir. Il est bien plus malade que toi. Dehors à beau être sombre, il reste plus réel que cette cour de maternelle où tu vis.

Marvin pris le temps de respirer calmement. L'idée de savoir comment le docteur avait été berné revint à la surface.

  • Comment avez-vous fait avec le docteur Jeunet ?

Elle referma une nouvelle fois son dossier et reposa le stylo dessus parallèlement. Elle croisa les jambes de l'autre côté, remis ses cheveux en ordre et le regarda bien dans les yeux.

  • J'obtiens souvent ce que je veux. Dit-elle se voulant le plus naturel possible.

Marvin sentait qu'elle ne lui disait pas tout, il le savait.

  • Je sais que tu as des raisons de te méfier de moi. Lui a t-elle dis comme si elle venait juste de lire en lui. Je suis loin d'être ce que tu penses que je suis... Et tu es loin d'immaginer qui tu es.

Il avait du mal à concevoir qu'un docteur de renom se laisse piéger ainsi par cette fille qui était définitivement trop jeune pour ce qu'elle prétendait être.

  • J'aimerais entrer en contacte avec toi mais je ne peux pas car tu me fais barrage. Il faut que tu puisses me laisser entrer, de cette manière je pourrais t'aider à mieux réorganiser ce qui se trimballe dans ta mémoire.
  • C'est gentil de votre part, mais... comme je vous l'ai dit, je suis pris en charge ici. Même si ça fait depuis plus de vingt ans, encore une fois, c'est le mieux que je puisse avoir. J'ai de moins en moins de troubles de mémoire, d'hallucinations ou même de cauchemars.
  • Et comment peux-tu savoir quand tu perds la mémoire si justement tu ne t'en souviens pas ? Tu ne te rappelles pas du tout de nos séances précédentes. Et de plus, comment peux-tu déterminer si tu hallucines ou pas ?
  • Je suis entouré. Il ne sut quoi répondre à part cette simple phrase et il sut que ce n'était pas suffisant.
  • Je te répète que tu pourrais mieux être entouré dehors. Répondit-elle automatiquement.
  •   Pourquoi venez-vous constamment...
  •   Tu ne te rends pas compte de tout le temps que tu perds ici.

Marvin prit le temps de réfléchir pour reformuler sa question.

  •   Pourquoi venez-vous constamment me voir si vous savez qu'à terme je ferais l'impasse et ne me souviendrai plus de vous ?
  • Mais une fois que tu m'auras permise d'entrer dans ta mémoire, tu ne pourras plus m'oublier. Les choses iront beaucoup mieux.

Ce concept était lointain et abstrait pour Marvin, il ne se focalisait pas dessus. C'était tout juste s'il avait comprit la phrase.

  • Une fois que tu te convaincras de ne pas rester dans cet endroit, tu te souviendras. Tenta t-elle d'enchérir.
  • Donc ça n'est encore jamais arrivé, et vous espérez encore que ça se produise.

Lola marqua un moment de relâchement. Elle se tût longuement. Ce que venait de dire Marvin vint la refroidir. C'était comme ci lui même essayait de la raisonner par la logique. Il venait de lui révéler que son acharnement était vain et ridicule. Lola entendait cela à longueur de temps, son entourage ne comprenant pas l'espoir qu'elle gardait pour Marvin, mais l'entendre de la bouche du principal intéressé lui même l'acheva. Elle tapota ses doigts machinalement sur la table ce qui était un véritable vacarme. Elle changeait sans cesse d'endroit où poser le regard. Elle sentait bien qu'elle tournait en rond. Cette conversation, elle l'avait eu plusieurs fois et hésitait à chaque foi pour continuer. Elle en avait marre de se battre pour être constamment déçue. Elle était la seule à croire en lui et s'interdisait fermement de perdre espoir. Le potentiel qu'il avait n'était pas négligeable et elle le comprenait.

  • Tu as raison.

Marvin se sentait obligé de dire quelque chose.

  • Je sais que tout vient de moi, mais il faut m'oublier. Je ne suis personne, je suis foutu.

Lola ne voulait pas admettre sa défaite, elle venait de perdre son duel en jetant un regard désinvolte envers lui. Le plus dur était d'accepter que tout ce temps passé était perdu. Elle continuait de jouer du piano invisible de sa main droite. Elle tourna la tête pour ne plus croiser le regard de Marvin et se mit à penser, à réfléchir longuement. Elle devait enterrer cet espoir mort dans l’œuf pour beaucoup, même si elle y a dépensé tant d'énergie. La fatigue l'aidait à se rendre enfin à l'évidence. C'était une décision préparée mais lourde à prendre. Elle se leva de sa chaise, elle pris son dossier alors que Marvin la vit faire. Il n'avait que très peu de réactions. Elle fit quelques pas longeant le mur latéral pour se trouver plus proche de lui.

  • Tu ne me reverras donc plus.

Elle regarda la porte d'où Marvin était entré.

  • C'est à ce monde que tu as choisi d'appartenir. Dit-elle à voix basse en fixant la porte.

Elle tint fermement son stylo plume qu'elle a préalablement ouvert puis l'enfonça dans la gorge de Marvin. Le stylo pris place dans l'une des jugulaires droites juste avant qu'elle ne le retire aussitôt. Après une première effusion de sang bruyante, Marvin posa rapidement sa main droite sur la plaie. Il y plaça aussi sa main gauche par dessus avant de s'écrouler par terre. Lola reboucha calmement son stylodont la mine restait trempée, puis le remit dans sa poche intérieur.

  • Malheureusement Marvin, l’échec n'était pas permis. Dit-elle abattue en ayant pris le soin de ne pas se salir.

Elle eu un dernier coup d’œil pour le surveillant immobile qui faisait définitivement de la figuration. Elle quitta ensuite tristement la pièce et referma la porte derrière elle. Marvin regardait cette porte se fermer lentement donnant le rythme pour ses yeux qui en firent de même.

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