La limbique IV

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Je buvais un verre, sentant la fraîcheur d'une eau propre venir me caresser la gorge, la sentir descendre jusqu'à l'estomac était vivifiant. Je fermais les yeux sous la demande des vibrations apaisantes des bols tibétains, transporté au plus haut des sommets. Imperturbable, rien ne pouvait m'extirper du paisible à présent. Immobile, d'ici je pouvais tout voir, tout sentir, en pleine conscience de moi, de tout. La porte s'ouvrit sur l'ombre du charmant docteur Pierre puis se referma aussitôt. Tout amène, il s'approchait de moi une main en avant, nous nous liâmes dans une poignée engourdie, une amabilité commune nous englobait.

— Vous avez l'air en forme aujourd'hui, me dit-il en ajustant ses œillades dans les miennes.

Il alla vers le bureau, le moniteur était revenu, les dossiers bleus aussi.

— Vos analyses sont bonnes. Nous allons pouvoir vous attribuer une extension de vos droits.

Je souriais au docteur avec l'amabilité qui convenait à une telle nouvelle.

Il tapota mollement sur la vitre qui lui faisait face, promenant ses doigts sur le clavier de concert avec les petits aspirateurs, blancs et circulaires, qui se faisaient une joie de purifier la pièce. Astiquer, épurer, effacer... Rectifié. Le propre embaumait nos costumes verts et les meubles autours. Le médecin continua :

— Vous avez à présent la note de B. Je vais vous demander de vous tenir face à la porte, face caméra. Votre quarantaine a légèrement modifié vos traits.

J'acceptais la requête suave du docteur, devant moi apparaissant sur la surface blanche du vantail encore clos, un texte :

— Lisez-le clairement comme pour quelqu'un d'autre, me dit-il alors que ma langue claquait déjà chaque mot qui se présentait à mes yeux.

Je les soupesais lettre après lettre. Consonne, voyelles, voyelles, consonne. Subvocalisant le moindre petit son, les postillonnant ensuite dans de multiples explosions sonores parfaitement contrôlées. Les phrases aggravaient leur lourdeur, ou plutôt, je les surchargeai moi-même. Les considérant pleinement, excessivement, je croulais sous leur poids. Je tenais bon. Je ne pouvais pas abandonner la lecture, abandonner mon sourire, m'abandonner. En bout de ligne, entre un point et une majuscule je m'oubliai provisoirement. À la marge. Incognito, je reprenais mon souffle, respirais, repartait, léger.

— C'est parfait. Souligna-t-il avec sa sempiternelle bonne humeur.

— À présent, veuillez fixer le point rouge de la caméra et souriez.

Je souriais.

— Repos.

Je descendais mes lèvres afin de dessiner une parfaite indifférence. Sourire... Reposer... Sourire et reposer, encore et encore. Le docteur Pierre avait l'air content au final : j'avais passé ce test avec brio.

Reconnaissante de mes efforts, la porte s'ouvrit d'elle-même. Je n'avançai pas d'un pas cependant. Immobile. Je pouvais sentir le regard du médecin qui me poussait dans le dos. M'encourageait-il ? C'était un bon praticien : il voulait que j'aille mieux. Mieux... Alors j'étais guéri ? De quoi ? De qui ? Tenant mon petit verre vide entre mes mains, je franchis le vantail. J'étais un B. J'étais content. J'avais froid.

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