Chapitre 2 : Volont-air (2)

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-Tu te sens mieux ?

-Ouais. Merci, ô ange tombé du ciel.

Mon cynisme le fait ricaner. Je m’adosse au grillage de la passerelle, dans un soupir exténué.

-Tu vas pouvoir te relever et marcher jusque chez toi ?

-Je suppose, soufflé-je.

Je suis trop épuisée pour réagir aussi vivement que la première fois. Mon dernier soupçon de doute se meurt quand je murmure :

-Alors, c’était pas un rêve, hein.

-Nan, je suis bien réel. Désolé de te décevoir.

Cette fois, je décroche un sourire sans force.

-Je suppose que ton espionnage aussi, du coup.

-Ouep. Mais il t’a sauvé la vie, aujourd’hui.

J’essaye de me relever, mais je fais suffisamment pitié pour qu’il m’aide de sa poigne ferme autour de mon bras. J’aime bien la chaleur de ce contact, quand il ne sert pas à m’empêcher de valser par-dessus le toit à cause de lui. Tant de questions se bousculent, ma tête est un champ de mines.

-Pourquoi ? Pourquoi tu fais tout ça ?

Il affiche une mine attendrie que je ne lui avais jamais vue et encercle mon corps sous les bras pour me soutenir. Ou bien me montre-t-il une affection ainsi ? C’est bizarre de m’aider avec le sourire, surtout vu comment je l’ai accueilli la veille !

-Parce que t’es mon élève, Léo. Je dois tout t’apprendre. Et toi aussi, tu vas m’apprendre des trucs sans le savoir. Si je réussis ma mission, je serai un maître d’apprentissage. Mais on m’avait prévenu que ce ne serait pas facile. C’est que vous n’avez pas la réputation d’être conciliants, chez nous !

-« Vous » ?

-Les Eo.

Mes sourcils se froncent encore plus. Je ne comprends rien, il me rejoue la pub des barres chocolatées ou quoi ? On me l’a déjà tellement faite…

-Y a qu’une Léo et c’est moi.

Je me dégage de sa prise, assombrie à l’idée que j’aie un homonyme dans son univers. Mais ça semble l’amuser.

-Ouais, ça c’est sûr ! Moi je parle de ta famille. Eo, c’est ta particule lettrée. Si tu veux, dans notre cité, cela correspond au nom de famille chez les humains. Tous tes ancêtres ont « eo » dans leur nom. Moi, ma particule, c’est « ka », par exemple. Mon père se nomme Kallan.

-Et ta mère ?

Il hausse les épaules. Je finis par identifier ses manies…

-Je n’en ai jamais eue.

Nous poursuivons notre route à petits pas pour ne pas provoquer d’autres efforts en moi. Mais là, je m’arrête. J’hésite entre la compassion et l’ironie. Alors j’opte pour un ton plus neutre.

-Tu sais, techniquement, il a bien fallu que tu aies une nana qui te porte à un moment donné, donc…

Il éclate de rire et me tapote l’épaule.

-Ahh, t’as encore tant de choses à apprendre sur les Anémois ! Nous procédons autrement, mais on verra ça plus tard.

Dans une grimace, je lâche un « glauque » qui résume tout ce qui vient de me passer par la tête. Ça le fait encore plus rire. Puis il retrouve son calme et bloque ma marche en se plantant devant moi. Il étire un sourire que je qualifierais d’adorable, s’il ne semblait pas me prendre pour une conne quand on discute. Au loin, je vois ma maison. Nous sommes arrivés dans la bonne rue.

-Et le prénom de ton père, tu le veux ? Ou cela restera un sujet interdit jusqu’à la fin de ton accomplissement ?

Je soupire une nouvelle fois. J’ai les yeux baissés vers ses godasses. Au moins, il a mis un pantalon en jean, cette fois-ci.

-Tu dis que tu n’as pas eu de mère. Eh bien moi, sache que je n’ai pas eu de père. Je ne veux pas parler… de quelqu’un qui n’était pas là.

J’amorce un pivot pour m’en aller, déprimée par le bref aveu. Mais il me retient d’une prise autour de mon poignet. Il capte mon regard et je lis dans la sien une drôle de tristesse. Sa question est délicate.

-Tu ne veux pas savoir pourquoi il n’était pas là ?

Je m’égare dans le vert de ses yeux, à court de mots. Il replie les lèvres, ce qui dévie mon attention… La question le rend aussi nerveux que moi, visiblement. La tension est palpable.

-Non, Kaï. Je refuse de lui donner tant d’importance. C’est un lâche.

-Bien sûr… Dis-moi, aimerais-tu comprendre comment utiliser tes capacités d’Anémoi ?

-Ça dépend, je pourrai mater mes ennemis aussi facilement que toi, si je fais ça ?

Je retrouve un sourire plus espiègle, auquel il répond aussi, dans un hochement de tête. Mais pas longtemps.

-Bien, alors tu dois savoir une chose ; se départiculer demande une pleine concentration. Au début, ce sera très difficile. Il faut développer ta proprioception, la conscience de ton corps dans l’espace, plus fort que tout humain ne peut le faire. Et tu ne pourras pas y parvenir sans un esprit serein. Peut-être qu’une fois plus expérimentée, tu pourras gérer, mais crois-moi, au début, c’est difficile si tu n’as pas les idées claires. Et je crois qu’elles ne le sont pas, à cause de ce mystère autour de ton père. C’est peut-être dur à encaisser, mais nécessaire. Alors je te propose un marché : si je peux t’entrainer, je pourrai te faire vivre des sensations comme tu n’en as jamais ressenties dans ton quotidien parmi les humains et la terre ferme. Je peux t’aider à devenir comme le vent que tu aimes tant. Tu pourras même botter des culs sans te faire repérer ! Mais en échange, laisse-moi te donner une information par jour sur ton père. Une seule. Quand tu me démontreras que tu es apaisée au fond de toi, j’arrêterai de le faire. Ça se verra dans tes performances. Et quand tu te sentiras prête, si tu le veux… je te montrerai Aéris. Je te laisse y réfléchir. La prochaine fois qu’on se verra… remets-moi ta décision. S’il te plaît.

Il me lâche. Nous n’avons plus rien à nous dire. J’acquiesce, puis m’en vais, sombre et silencieuse. Ça turbine dans ma tête et dans mon cœur. Suis-je obligée de subir ça ? Ce rappel au vide intérieur dès qu’on parlera de lui ? Voilà donc le prix à payer pour sortir de cette vie de misère. Mais je suis tout de même redevable à Kaï. Il m’a sauvé deux fois la vie, d’une certaine façon. Il ne m’a rien demandé en retour. Et moi, à part des coups et des refus, je ne lui ai rien donné. Pourtant, il a autant besoin de moi que je n’ai besoin de lui pour atteindre son objectif. Qu’a-t-il dit, encore ? Qu’il apprenait aussi ? Il n’est pas encore tout à fait un « maitre d’apprentissage » si j’ai bien compris. Comme première expérience, j’ai dû être assez traumatisante. Je pouffe en y ressongeant, alors que je passe la porte de chez moi.

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