Chapitre XI, Partie 4 : Ni vu, ni connu

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 -Moi aussi j'ai quelques doutes sur lui, finit-elle par avouer. Tadéo la toisa d'un regard, bien plus inquiet que réprobateur. J'ai quelques doutes, je veux bien l'avouer, et les autres aussi n'ont pas totalement confiance en lui. Ils ne le diront pas, et moi non plus, mais ils l'observent du coin de l'oeil quand il est à proximité. Will est ouvertement hostile avec lui, je ne sais pas trop pourquoi, mais c'est peut-être celui qui est le plus lucide.

 Ils continuèrent à marcher tous deux dans le silence, pendant quelques dizaines de secondes, ayant oublié qu'ils étaient justement à la recherche de l'objet de leur discution.

 -Aucun de nous, dans l'équipe, ne sait d'ailleurs pourquoi il a accepté ma proposition. Il avait catégoriquement refusé, on voyait bien qu'il y avait du dégoût dans ses yeux quand on lui parlait de l'armée, de la république, de Lazaria en général. Mais il a fini par nous rejoindre. C'est quelque chose qui me dépasse. Il doit y trouver son intérêt quelque part, mais ses raisons me sont inconnues.

 -Nous avons tous eu nos raisons d'intégrer l'armée. Toi-même, lorsque je t'ai officiellement nommée lieutenant, tu m'as expliqué tes motivations. Tu avais besoin des ressources de l'armée pour savoir de quoi étaient morts tes parents, en échange de tes services exceptionnels rendus au pays.

 -C'est une quête que j'ai du mal à mener ces temps-ci, trop de boulot. Et vous, Monsieur, pourquoi avez vous rejoint les rangs de l'armée républicaine?

 La mine de Tadéo se renfrogna légèrement. Il avait lui aussi ses raisons de rester, des intérêts à servir, quelque chose à comprendre.

 -Oh, moi...disons que j'ai, à ton image, quelque chose à comprendre. Nous avons tous notre quête, Eolia, certaines sont plus nobles, plus légitimes que d'autres. Mais finalement, ce n'est pas ce qui importe. Notre particularité, à toi et moi, c'est que nous avons décidé d'utiliser les ressources les plus importantes mises à notre disposition pour trouver nos réponses.

 Il la regarda dans les yeux, les siens refletant une pointe de malice propre aux gens qui ont vu pas mal de choses.

 -Et je suis prêt à parier que Dieter à sa propre quête à mener et des réponses à trouver. Mais lui utilise nos données illégalement, sans passer par le long chemin que nous avons pris. Il se croit tout permis, comme s'il était le maître des lieux, et a emprunté la voie de la facilité : celle du vol et de la dissimulation. J'aurais été disposé à l'aider dans ses recherches s'il s'était engagé sérieusement, comme je t'ai aidé, mais son arrogance a définitivement fait de moi son pire ennemi dans le complexe ! Hors de question qu'il obtienne des réponses sans mener le même travail que moi. Je ne le supporterais pas plus longtemps !

 -Et c'est dans cette optique là que vous avez lancé cette procédure contre lui?

 -...

 -Grand-lieutenant?

 Pas de réponse. Tadéo venait de décider que cette discussion était close, et Eolia ne s'y acharnerait pas plus longtemps. Elle savait très bien que quand son supérieur refusait de répondre aux questions, rien ne servait d'insister. Mais elle savait la réponse d'instinct : le grand-lieutenant avait lancé cette enquête contre Dieter pour lui donner une leçon de vie, il ne comptait pas sincèrement le rejeter à la rue comme un malpropre. Mais les gesticulations permanentes de Dieter au nez et à la barbe de Tadéo sans qu'il ne se fasse jamais prendre irritait le militaire au plus haut point. Quelque part, c'était une sorte de croisade d'honneur qu'il menait.

 Mais au milieu du couloir et des allées et venues des employés, Tadéo enfonça une main dans sa poche intérieure. Il s'arrêta, l'air contrarié, et chercha dans chacune de ses poches sans rien y trouver. Quand Eolia lui demanda ce qui n'allait pas, Tadéo repartit dans la direction opposée.

 -Je suis complètement idiot, j'ai oublié un papier très important dans mon bureau au premier étage. Viens avec moi !

 Il pressa le pas et attrapa au passage la pauvre Eolia. Elle Sur leur chemin qui menait à leur destination, quelques secrétaires tentèrent d'aborder le vieux militaire pour lui faire signer des documents administratifs, mais celui-ci ne leur accordait pas une once d'attention. Eolia passait derrière lui pour donner les autorisations où elle pouvait les donner, mais le temps lui manquait et elle finissait par les rejeter aussi et suivre le sillage de Tadéo. Ce papier, quel qu'il fût, devait être particulièrement important pour e distraire de la sorte.

 Mais aux soucis de Tadéo s'ajoutèrent bientôt une désagréable impression. Passé l'escalier principal et arrivés au premier étage, ils ne rencontrèrent absolument personne. Pas un soldat, un seul employé sur les dizaines de mètres de couloirs qu'ils parcouraient. Si le jeune lieutenant Wähle, qui ne venait que très rarement à cet étage, n'y prêta pas la moindre attention, on pouvait voir aux yeux de Tadéo que celui-ci flairait un problème. Ayant l'habitude de ces lieux, il était bien placé pour savoir qu'en ce moment de la journée, l'endroit grouillait habituellement de monde : entre les techniciens de surface, les employés du bureau, les gradés de l'étage du dessus, les secrétaires et les sous-secrétaires, une cacophonie sans nom reignait ici en permanence. Ce silence n'était vraiment pas bon.

 Un écho de claquement de porte résonna alors dans le blanc corridor, au loin, et une forme noire se détacha du décor pour s'approcher des deux officiers. C'était un jeune homme brun, l'air serieux, et les bras chargés de dossiers et d'un ordinateur portable. A la vue du grand-lieutenant, il fronça légèrement les sourcils.

 -Euh...bonjour monsieur, commença-t-il timidement.

 Tadéo ne prit même pas le temps de le saluer et lui demanda sur un ton presque agressif où était passé le reste du personnel.

 -Mais...ils ont tous évacué, monsieur.

 -Comment ça, "ils ont tous évacué monsieur" ?? Qu'est-ce que ça veut dire?? Evacué quoi? Vers où?

 Le jeune homme recula lagèrement, vaguement impréssionné, mais répondit tout de même du tac-au-tac :

 -Ils ont tous quitté le premier étage. Sur votre ordre, monsieur. D'ailleurs, je m'y apprêtais moi aussi, comme vous le...

 Tadéo ne lui laissa pas le temps de répondre. Embarquant Eolia par le bras, il se lança dans une course frénétique en marmonnant dans sa barbe.

 -Grand-lieutenant, prononça-t-elle dans un souffle, dites...dites moi, qu'est-ce qui...qu'est-ce qui vous inquiète tant??

 -Un ordre d'évacuation d'un étage, on aura tous vu.....quelqu'un s'est amusé à vider le premier étage, je pense savoir qui ! Et un ordre de ma part, pour qu'il soit pris au serieux par mon personnel ne peut être envoyé que d'un seul endroit : mon bureau ! Il y a donc quelqu'un à l'intérieur !

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