Chapitre X, Partie 6 : Impasse

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Dieter s'en serait presque mordu les doigts. Il se maudissait interieurement, mais cette bêtise ne l'étonnait même pas : combien de fois s'était-il fait sermoner par sa femme de chambre après avoir oublié de fermer une porte? Tellement souvent qu'il en avait, malheureusement, perdu le compte.

Les bruits de pas se faisaient maintenant de plus en plus proches. Pas d'issue. Tournant la tête dans à peu près tout les sens, Dieter cherchait, sinon un moyen de séchapper, une cachette temporaire. Il la trouva en posant les yeux sur l'immense escalier en colimaçon. D'un geste vif, il se plaqua contre le pilier de béton, dans l'obscurité, sans que personne ne puisse le voir, du moins sans lampe torche.

Sans s'être plus posés de questions, un groupe de deux gardes descendaient du même pas les dernières marches, et parvinrent en bas. Dès que leur dos lui furent présentés, Dieter s'approcha et leur asséna un violent coup à la tête. Tout deux s'effondrèrent par terre, ayant à peine compris ce qui venait de leur arriver. Ainsi, à peine quelques minutes plus tard, le prince avait-t-il déjà retrouve le hall principal. Vide, étrangement.

il se serait attendu à ce que cet endroit regorge de soldats en armes, prêts à faire feu sur le moindre truc en mouvement, mais non. Pas plus de monde qu'en arrivant. En fait, Dieter avait même l'impression que l'endroit était encore moins peuplé. Pas un bruit de pas, de respiration ; pas une mouche qu'on entendrait voler, pas un souffle ni un courant d'air. Tournant sur lui-même, le garçon examina de loin les galeries parcourant les murs circulaires. Les livres dormaient toujours, les tables avaient leurs quatre pieds posés sur le sol, et l'endroit semblait pourtant plus silencieux qu'un cimetière. A croire que les morts respiraient plus forts que les vivants.

Mais que personne ne s'y trompe, un enfant royal comme Dieter l'était percevait le danger ; ses parents et ses professeurs, aussi bien que ses précepteurs, l'avaient toujours préparé aux pires situations : tentatives d'assassinats, de kidnapping, de coup d'état principalement. Les très nombreuses fausses tentatives d'enlèvement opérées par les gardes du palais avaient fait naître un sixième sens chez les enfants du couple impérial. Quand un soldat se cachait derrière un rideau, Dieter le savait. Quand un cuisinier s'approchait d'un pas qui se voulait léger, sur ordre de sa mère, son oreille se tendait aussitôt et detectait la présence de l'intrus. Quelle enfance, pouvait-on se dire. Une fratrie élevée dans la crainte de la mort, sans que personne ne se doute qu'elle viendrait si tôt.

Un crissement parvint alors à l'oreille affutée du petit prince. il ne fit pas un geste. Il resta parfaitement immobile, feignant de ne rien avoir remarqué. Feignant de ne pas avoir noté le bruissement des rideaux alors qu'il n'y avait pas de vent. Feignant de ne pas avoir remarqué que la porte du secrétariat était fermée, quand lui l'avait laissée ouverte. Feignant enfin, et surtout de ne pas avoir vu l'éclat de la lune reflété entre les livres, à quelques mètres derrière lui. Toujours dans un parfait silence, il mit la main à son fleuret et le dégaina, sans se presser.

Au dernier moment, il se retourna violemment, pointa son arme vers le petit point de lumière, et fit feu. Un épais panache de fumée crasse sortit du canon de l'arme, alors que près des livres tâchés de sang, le garde agonisait par terre.

Tout s'enchaîna ensuite très vite : les gardes sortirent en même temps, armés comme à leur habitude. Dans toutes les directions, des balles fusaient. La plupart se fichaient dans les murs de pierre, dans les pilliers de marbre blanc, et les autres tailladaient le bois des bibliothèques et les précieux livres entassés. Les feuilles déchirées volaient dans les airs, et des éclats de vitre jonchaient maintenant le sol carelé du grand hall.

Au milieu de ce déchaînement de violence, Dieter tenta tant bien que mal d'esquiver les tirs en bougeant de pilliers en pilliers. Il arriva finalement en haut de l'escalier, et se jeta brusquemment sous le premier bureau qui passait. il ne pourrait pas garder cette position éternellement, d'une part parce que le bois ne lui offrait qu'une protection minime, d'autre part parce que l'ennemi n'allait pas attendre longtemps que leur cible daigne pointer le bout de son nez. A bout de souffle, il s'assit, ouvrit en tremblant un petit couvercle du manche de son arme, et calcula : une, deux...

plus que deux cartouches. Il ne pourrait donc pas tous les descendre. La lame affutée du sabre aurait pu en taillader deux ou trois, mais plusieurs balles auraient tôt fait de le blesser. Dans sa tête venaient toutes les solutions possibles pour s'échapper : la fenêtre, trop haute à cet étage ; la verrière, mais une fois dessus, que faire ; foncer dans le tas en espérant passer sur un malentendu, mais trop dangereux, et la porte était fermée ; creuser un tunnel ; mais non, bon Dieu, à quoi pensait-il maintenant. 

Il se risqua à jeter un oeil, mais la poussière dégagée par le marbre arraché des pilliers lui piquait les yeux. Il savait, cependant, qu'un lustre pendait, accroché au dôme de verre. Le lustre, la porte, les gardes. il ne lui fallut pas plus d'un quart de seconde pour sortir un plan ridiculement dangereux de sa poche.

Jouant sur la visibilité limitée et sur l'obscurité, Dieter quitta son bureau et rampa, le long de la coursive, tandis que le feu de la Garde de la capitale continuait de pleuvoir sur les pauvres étagères. De la poussière blanche, des copeaux de bois et des petits bouts de papier recouvraient maintenant le prince, qui sefforçait tant bien que mal d'avancer jusqu'à la prochaine cachette. 

Mais sur son chemin, il quitta son manteau, le jeta à la va vite sur une chaise et jeta celle-ci par dessus la rambarde. Pensant que c'était l'intrus qui venait à leur rencontre, une bonne partie des gardes présents se jeta sur la cible sans se poser la moindre question. Il était trop tard, quand l'un deux dit, les yeux écarquillés : 

 -Les gars...c'est une putain de chaise !!

De derrière le nuage de fumée, qui retombait lentement en fines particules, un coup de feu puissant retentit ; le lustre vacilla, la chaîne en cuivre qui le retenait céda, et il s'effondra dans un fracas épouvantable sur les pauvres gardes qui se trouvaient dessous.

Profitant de la panique générale ainsi crée, dieter se jeta sur la rampe de l'escalier, glissa, tira une seconde fois sur la serrure. L'explosion arracha tout un pan de la double porte qui s'ouvrit à la volée. Le jeune garçon s'enfuit.

Une balle cependant, une dernière balle fut tirée de l'interieur de la bibliothèque. Une douleur, fulgurante au côté gauche, un cri. Mais Dieter était sorti, laissant derrière lui un lieu dévasté et une dizaine de morts. Cette blessure guerirait. Dans la nuit, la silhouette sombre du jeune garçon disparut.

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