Chapitre X, Partie 4 : Impasse

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Sur le parvis du grand édifice, les quatre hommes faisaient les cent pas. Bien qu'ils eussent l'air de surveiller attentivement les environs, on devinait à leur oeil endormi et à leur démarche incohérente qu'ils s'endormaient littéralement sur place. Habillés d'un costume noir sérré bordé de bleu et flanqués d'un badge "Garde Civile de Quantopolis", ils n'en imposaient pas véritablement. La garde ne recrutait en effet que des hommes dans la moyenne, de partout : pas trop fort pour pour les contrôler facilement, un peu niais pour empêcher une reflexion sur les méthodes employées et un peu cruels pour les faire adhérer aux manières du gouvernement ; mais au-delà de leur force individuelle, ce qui rendait la garde dangereuse et crainte, c'était le nombre de ses membres. Ils étaient au bas mot quatre fois plus nombreux que les militaires, et surveillaient absolument tout. Personne n'était tranquille dans les rues de Lazaria, pas même les honnêtes citoyens. Rappelons-nous qu'ils étaient niais et cruels.

Deux d'entre-eux rentrèrent à l'interieur de la bibliothèque. Un troisième, qui semblait parfaitement alerte et réveillé, se retourna.

 -Mais...où est-ce que vous allez??

 -On rentre, on en a marre, dit le premier d'une voix nasillarde.

 -Ouais, y'a des couchettes à l'interieur, on va pioncer.

Le dernier d'entre-eux, qui jusque là n'avait rien dit, regarda sa montre et jugea aussi meilleur d'aller piquer un somme.

 -Toi aussi, Angio?!

 -Ils ont raison Pinciet, il est tard. Et puis personne ne viendra cambrioler la bibliothèque, y'a rien dedans à part des vieux bouquins.

 -Mais...on est là pour s'assurer de ça, je vous rappelle, les gars !

Les deux premiers, sur le point de pousser la porte, revinrent alors doucement sur leurs pas.

 -T'as intégré la garde cette année, toi, non? C'est quoi ton nom déjà?

 -Pinciet. Edvert Pinciet.

 -Ben écoute, Edvert Pinciet, moi ça fait trois foutues années que je porte cet uniforme moche, cette arme pourrie, ce badge insignifiant et que je remplis des petits boulots à la con pour le compte du gouvernement. Perso, ça fait presque trois ans que j'ai compris qu'on est là uniquement pour servir de joujou au ministère de l'intérieur. On a jamais vu sa tête, au ministre, on a jamais eu de mission particulièrement utile. On sert à rien, okay? D'ailleurs y'a bien qu'un débile profond pour rejoindre volontairement ce ramassis de branlots...

Le garde nommé Pinciet baissa les épaules, tristement. Il avait à peine vingt ans, et avait rejoint la garde l'année précédente plein d'enthousiasme, et des rêves pleins la tête. Il avait certes déjà entendu parler de ce corps de police comme étant des idiots et des incapables, mais en s'engageant, il pensait pouvoir apporter son bagage d'idées au gouvernement !

Sur son visage, la stupéfaction se lisait. Il était profondément déçu de l'attitude de ses compagnons de garde, qu'il pensait au moins autant investis que lui. Bien vite, cette illusion le quitta. Il reprit un air sérieux, se retourna vivement, tournant le dos à ceux qu'il avait considérés comme des patriotes oeuvrant pour un pays meilleur.

 -Soit, allez dormir. Moi, je reste ici. J'ai une mission à remplir, avec ou sans vous.

Les trois autres se regardèrent, un léger sourire au coin des lèvres mais surpris tout de même de ce comportement. Ils passèrent la porte d'entrée, saluant leur camarade d'un "bonne nuit" teinté d'hypocrisie. Lui, au bas des marches menant à la bibliothèque, reprit sa position initiale et garda son arme automatique légèrement relevé.

En tournant et retournant devant ce gigantesque batîment centenaire, il continuait à broyer du noir. Se pouvait-il donc que la garde civile de Lazaria fut sans espoir? Ne pouvait-il pas, lui, à sa petite échelle, apporter un peu de sens à la vie de ses compagnons d'armes? Est-ce que toutes ses espérances n'avaient été qu'un mirage, si beau en rêve mais inaccessible dans le réel? Toutes ces pensées se bousculèrent dans sa tête, tant et si bien qu'il en oublia presque sa "mission" de surveillance.

Il entendit un bruit. Brusquemment, il leva le canon de son arme et le pointa vers une petite ruelle de l'autre côté de la place. Il s'approcha tout doucement, fit un pas. Puis un second. Il était près à tirer sur tout élément hostile qui se serait pointé devant lui. Il était près à honorer ses paroles, ses engagements. Ses jambes tremblaient, malgré lui, mais l'idée de courir se réfugier à l'interieur ne lui traversa même pas l'esprit. Il allait se battre s'il le fallait, parce qu'être un autre garde idiot et fuillard, ça n'était pas dans ses projets d'avenir.

Quand il fut parvenu au centre de la place, il tenta de hurler.

 -Mon...montrez vous ! Au nom de la garde de Quantopolis !

Mais seul un faible son sortit de sa bouche. Il avait la voix enrouée, peut-être à force de ne pas parler, justement. Il se râcla la gorge, mais au moment d'injectiver de nouveau l'intrus, un autre bruit se fit entendre, et un chat blanc sortit d'une poubelle. Il ne demanda pas son reste et détala aussi vite que ses pattes de chat le lui permettaient. Edvert, soulagé, poussa un petit soupir de soulagement, et s'en retourna à son poste.

Soudainement, un éclair d'argent, une main sur son bras gauche et un souffle sur son oreille droite. Son arme tomba sur le sol. Derrière lui, une ombre lui tenait le bras dans le dos et le menaçait de lui trancher la gorge avec un sabre affuté.

 -Si tu tiens à toutes les parties de ton corps, donne moi la clef du batîment.

Le chuchottement prononcé par l'ombre térrorisa le pauvre jeune garde. Il ne savait pas quoi faire, paniqua dans sa tête ! Il chercha un moyen de se dégager, d'éviter le tranchant de la lame, mais rien à faire, son agresseur le tenait fermement. Seule une question parvint aux oreilles de ce dernier.

 -Qui...qui êtes vous??!

 -Désolé je suis préssé. Donne ta clef.

 -Mais je...

 -C'est pas possible, il est encore plus débile que les autres...moi vouloir ta clef, pigé???

Mais le jeune Edvert n'était pas un lâche. Un autre garde aurait probablement déjà lâché l'objet en question, en suppliant son agresseur de l'épargner. Mais lui, Edvert Pinciet, allait changer la donne. Non seulement il ne donnerait rien, mais il allait arrêter cet énèrgumène et le ramener au QG de la garde ! Oui, c'était décidé ! Ses superieurs le récompenseraient pour cette action, et quand il aurait accédé aux postes à responsabilités, il changerait la garde de l'interieur ! Tel était son rêve, et ce rêve de faire accepter la garde au monde commençait par un refus.

 -Non...

 -Je te demande pardon,

 -Hors de question que tu obtiennes cette clef, ordure !

Les yeux d'Edvert brillaient de cet espoir qu'ont les resistants : prêts à se battre, à laisser leur vie pour un idéal à atteindre coûte que coûte ! Un rêve vivait en ces personnes là, et si quelque autorité leur donnait leur chance, ils pouvaient changer la face du monde à tout jamais !

Mais un simple bruit métallique annéantit ce rêve. La lueur qui brillait au fond du regard de ce pauvre garçon disparut lentement. Son corps s'effondra dans une mare de sang, à genoux et face contre terre. L'ombre disparut alors derrière lui, les clefs du garde en main. Edvert avait oublié que le monde tel qui le voyait n'avait pas de raison de voir le jour à Lazaria. Ici, la société n'accordait sa confiance qu'aux pragmatique de l'argent et du pouvoir. La poésie du coeur d'Edvert disparut dans son combat face à la prose des réalités...

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