Chapitre II, Partie 2 : Kardrija Oswald

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Kobe poussa un long soupir, et passa une main sur son visage. Il reprit après quelques secondes.

 -Président Oswald, bien qu'une discussion sur l'avenir de la Confédération serait exhaltante, je préférerais que nous en restions sur Fenestris. Cette ville est en proie à des mouvements rebelles de plus en plus importants, Breignat n'avait pas entièrement tort sur ce sujet là !

 -Et à quoi esperez vous m'amener? Vous voudriez que nous mettions à la porte de la ville les derniers phariens restants? Ou bien suggerez vous de les exterminer? Comme les impérialistes?

Le général leva les yeux au ciel.

 -S'il vous plaît, ne remettez pas cela sur le tapis. Je vous ai déjà expliqué que...

 -Je ne veux pas de vos explications, Kobe, je veux vous remettre à votre place. Vous êtes un excellent militaire, impossible de le nier, mais sur le plan politique et géopolitique, vous êtes nul ! Vous êtes nul, c'est ainsi, votre place est sur un champ de bataille, pas sur mon fauteuil. Je ne comprendrai d'ailleurs jamais pourquoi vous avez quitté votre poste sur le terrain pour être promu Général des armées. C'est un vrai boulot de fonctionnaire, ca ne vous va pas du tout...

Silence, de nouveau. Le général se grattait nerveusement la nuque, pendant qu'Oswald reculait sa chaise dans l'optique de poser ses pieds sur son bureau. Cela eut pour effet de reveler au grand jour, et au grand dam du général, les chaussettes violettes et blanches du président de la république, qui paraissait maintenant reflechir profondément.

 -Bon, bon...certes...la situation là-bas n'est pas au beau fixe. Je veux bien allouer quelques moyens supplémentaires aux forces militaires d'occupation, mais je dois bien avouer que je n'y connais pas grand chose, à l'histoire de cette ville. Racontez moi. Enfin, dans sa généralité, je me fiche éperdument de l'histoire de Pharos.

Kobe releva la tête. Son visage avait repris cet air renfrogné caractéristique, et il se leva. Il posa sur le bureau un appareil electronique tactile, qu'il alluma. Il diffusa sur celui ci une carte du monde, et zooma sur la partie concernant la terre de Pharos.

 -Bon, je ne vous apprend rien sur la géographie de notre monde : Lazaria sur ce gros continent, Pharos au nord-ouest et la CMO au sud ouest. Ah, et aussi le royaume d'Angolie en dessous.

Il appuya alors sur un bouton virtuel, qui afficha une multitude de points rouges et verts.

 -En vert, les villes de Pharos qui nous ont prêté allégeance. En rouge, celle qui ont un fort taux de rebellion. Mais seule une partie de Pharos est sous notre domination, ce qui est logique...

Il se retourna. Devant l'expression incrédule du président, Kobe comprit qu'il ferait mieux de tout expliquer en détails.

 -Hum...en fait, monsieur, lors de la révolution pourpre, le gouvernement provisoire mis en place par la bourgeoisie révoltée s'est lancé dans une politique d'expansion militaire, notemment vers le nord et l'ouest. Les armées ont débarqué sur Pharos en l'an 4, Fenestris est tombée la même année. Pour limiter les pots cassés, les phariens ont signé en catimini un traité de paix avec la nouvelle république Lazarienne en 5, cédant toutes ses mines de strabonite ainsi que son ancienne capitale, Fenestris. Aujourd'hui encore, la présence de la Démocratie leur reste en travers de la gorge...

 -Ce qui peut se comprendre, répliqua Oswald. Son ton était dur, moralisateur. Kobe sentit que l'actuel président de la république Lazarienne n'approuvait et n'assumait pas le passé du régime colonialiste dont il avait hérité. Le président était un libertaire plus ou moins flegmatique.

 -Certes, certes...hum...enfin, toujours est-il que depuis quelques années les mouvements rebelles se multiplient, et le nombre de poches de resistance est en augmentation exponentielle. A ce rythme, nous risquons de perdre le contrôle de la région d'ici un an ou deux.

Le général eteignit la tablette, et la rangea dans un étui en mousse. S'éloignant du bureau, il s'en retourna dans son fauteuil. Oswald, lui, après quelques minutes de reflexion, se leva, et alla contempler le paysage de Quantopolis à sa fenêtre, à la lumière de la lune blanche. Au loin, devant lui, s'étendaient à perte de vue de grandes tours de verre transparent, qui reflétaient la lumière de l'astre nocturne. Le grand fleuve du nord, lui, continuait sa course nonchalente à travers le continent, nourissant de ses eaux riches les abords céréaliers des grands champs automatisés.

Durant de longues minutes, le grand président resta comme fasciné par la vision qui s'offrait à lui, et semblait projeté dans d'interminables duels mentaux. Les sourcils froncés, les yeux fermés, il demeurait en silence.

Il se retourna subitement vers Kobe. Ce dernier, toujours assis, s'était replongé dans un épais dossier sobrement nommé "FENESTRIS", et semblait s'en imprégner. Oswald ouvrit la bouche, comme pour dire quelque chose, puis la referma, doutant probablement de ce qu'il allait dire.

 -Et, que penser...de représailles militaires...

Le général releva la tête et ouvrit grand ses yeux marrons.

 -...de grande envergure...

 -J'ai bien peur de ne pas comprendre, monsieur.

Oswald se gratta instinctivement la nuque. Il devait sentir que sa proposition ne plairait pas au général.

 -Eh bien, oui, comme une operation militaire conjointe à la garde civile. Cessez vos enfantillages, Kobe, je sais bien que la garde et l'armée entretiennent des relations plus que tendues, mais vous êtes Gouverneur général des armées, enfin !

Kobe avait en effet poussé un soupir de dégoût, détournant le regard du président.

 -Je disais donc, une operation militaire d'envergure. On envoie une vingtaine de Gauss, et si ça ne suffit pas, on utilisera votre nouvelle arme, là, je ne sais plus de quel nom vous l'avez affublée...

 -Si vous parlez du Lazare, ce n'est même pas la peine d'y penser, nous sommes incapable de la contrôler correctement, et hors de question de laisser à la garde l'accès à une arme de ce genre. Ils seraient déjà parfaitement incapables d'identifier correctement le détonateur.

Après un nouveau silence, le général Kobe décida, à son tour, d'aborder un des sujets qui fâchent.

 -En parlant d'eux, d'ailleurs, vous avez entendu parler de la mort de ce garde civil, près d'EXODUS?

Soudainement, le président parut intéréssé. Son regard, jusque là rempli d'ennui, venait tout à coup de s'illuminer. Une expression d'incrédulité, réelle cette fois, mêlée de crainte, s'installa sur son visage.

 -Un garde...a-t-il été tué?

 -Il semblerait, oui. Les premiers rapports médico-légaux ont conduit à une blessure mortelle par arme blanche, mais ce ne sont là que les premiers résultats. La brigade criminelle est dessus.

 -Mais, euh...cela fait bien soixante années depuis le dernier meurtre d'un garde? C'est un acte isolé? Ils font generalement trop peur pour que l'on s'attaque à eux...légitime défense probablement...enfin tout de même...

L'atmosphère était tendue. L'évocation de cette affaire avait jeté un froid dans la pièce. le général Kobe lui-même semblait secoué.

 -Vous devriez peut-être...enfin, immaginez, c'est peut-être un prémisse d'une future révolte...

 -Je ne veux pas de vos analyses politiques, je vous l'ai déjà dit. Cependant, vous n'avez pas tort. Si la capitale se soulevait, nous serions dans une posture très inconfortable...peut-être faudrait-il envisager quelques mesur...

On toqua. Quatre coups. Puis quatre autres, de manière énergique. Le président et le général se retournèrent à l'unisson pour voir qui frappait ainsi. Leur attente ne fut pas longue, car un homme pénétra dans l'enceinte du bureau. Il semblait agité. Habillé d'une chemise blanche et d'un pantalon en tartan, il devait avoir environ quatre-vingts ans. Le crâne dégarni, le visage pâle, entre ses mains une tablette de laquelle émanait une lumière rougeâtre ainsi qu'un bip sonore irritant.

 -Par...pardonnez mon intrusion, sieur président, sieur général, dit-il en se courbant. Le...enfin, nous avons detecté une anomalie dans le réseau de distribution de strabonite, et elle semble localisé à...

 -Vous me faîtes serieusement perdre du temps pour ces âneries? Alors que le général et moi parlions politique militaire?? Je ne me souviens guère vous avoir invité à rentrer, d'ailleurs. Vous allez me faire le plaisir immédiat de ficher le camp.

Le petit vieux hésita, mais décida de s'approcher un peu plus. Il fit, un pas, puis un autre.

 -Mais...monsieur, c'est important, les fluctuations semblent pro...

 -Pardonnez moi si je ne me suis pas bien fait comprendre, mais par "ficher le camp" je veux dire "sortez de ce bureau", suis-je clair?

L'homme savait qu'il ne pouvait se soustraire à l'autorité du président, il recula précipitemment et quitta la pièce sans demander son reste. Son engin continuait, à travers la porte, à emmettre ce bruit assourdissant et aigu. Kobe et Oswald restèrent quelques minutes ainsi, sans bruit,dans cette pièce, à reflechir. Le président prit alors une dernière fois la parole.

 -Pour vous aussi, il est temps de prendre congé, Kobe. J'aviserai de la situation à Pharos en temps voulus.Retournez à vos occupations de militaires, vos soldats de plomb vous attendent...

Kobe se leva, ramassa son dossier et sa tablette, remit son képi militaire sur la tête, puis salua energiquement son superieur.

 -Vive la Démocratie !

Sur ce, il quitta la salle dans le claquement sonore de ses bottes de cuir noir. Oswald, désormais seul, se rassit mollement sur sa chaise pivotante, et posa sa tête dans ses mains. Accoudé sur son bureau, il jeta un oeil à la pendule qui affichait maintenant minuit passé. Le regard de nouveau vide, légèrement inquiet, il posa sa main sur le cadre photo représentant le jour de son investiture.

 -C'est cela, vive la démocratie...

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