Chapitre VII, partie 4 : Première mission à EXODUS

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La vision était apocalyptique. Un charnier gigantesque pourissait là, à perte de vue, sur des dizaines et des dizaines de mètres. Tout avait été détruit, comme en témoignaient les cendres chaudes et les débris qui jonchaient le sol brun. 

Les restes des cadavres fumaient encore, preuve que ce qui avait déchaîné l'enfer s'était produit peu de temps auparavant. Partout où l'on posait le regard, on ne voyait que des restes de maisons, des corps calcinés et des carcasses à peine reconnaissables de véhicules à moteur. On pouvait encore deviner, entourant ce qui semblait avoir été un village, les souches noircies d'une forêt dense.

Dieter posa pied à terre, mais dut se retenir de justesse à sa bécane pour ne pas tomber à genoux sur le sol. Même lui, malgré les horreurs dont il avait été témoins durant sa vie, ne pouvait imaginer ce degré de destruction et d'horreur. L'odeur chaude de la chair cuite lui prit la gorge si violement qu'il plaqua une main devant sa bouche, s'empêchant de vomir. L'atmosphère empestait une combinaison malsaine de viande rôtie, de terre battue et de végétation pourrissante. Plus rien de vivant ne subsistait dans les environs, à plusieurs lieux alentours. 

Le jeune prince réussit cependant à se ressaisir. Il se releva, affichant une expression de colère profonde, et commença à déambuler lentement entre les ruines. On aurait pu se demander pourquoi il tenait à constater de par lui-même l'ampleur de la catastrophe. En réalité, Dieter voulait s'impregner de ce qu'il pouvait voir, de ce qu'il pouvait sentir. Il se dégagea bientôt le nez et la bouche, afin de pouvoir apprécier toute l'atrocité de la chose. Il voulait trouver une raison supplémentaire de detester la république. Il voulait une raison légitime de plus de la détruire.

Il s'arrêta, près d'un tas de gravats noirs arrangés en cercle, quelques minutes plus tard. Il l'observa pendant de longues secondes, les yeux légèrement plissés. Sa mémoire devait lui jouer des tours, probablement à cause de toute cette horreur, mais il lui semblait reconnaître cette petite construction. 

Il en eut alors, très rapidement, un flash, une image d'avant sa destruction. Cela ne dura que quelques  dixièmes de secondes, mais il vit une jolie fontaine, à taille d'homme, joliment décorée. Elle était faite de briques rosées, et d'un pilier central en pierre jaillissait une eau claire et transparante.

Il s'agenouilla et posa une main tremblante sur les restes calcinés du bassin. Il prit une petite brique, dans ses mains, et la caressa doucement pendant plusieurs minutes.

 -Je connais cette fontaine, murmura-t-il de manière quasiment imperceptible.

Tu viens jouer?

Dieter, à l'entente de cette voix, se releva et se retourna vivement. Il crut voir, l'espace de quelques secondes, une ombre courir sur une ancienne ruelle du village détruit. Mais ce n'était qu'un mirage, tout comme cette voix d'enfant. Un mirage qu'il lui semblait pourtant très familier. Il tourna le regard, encore et encore, vers les anciennes bâtisses carbonisées, cherchant d'autres souvenirs encore.

Il retrouva là, l'instant d'un clignement d'oeil, l'emplacement d'une charmante petite boulangerie de bourgade. Là, c'étaient une bande de gamins qui jouaient à la marelle sur l'esplanade du village. Ici, encore, deux petits vieux pas très bien habillés qui discutaient de problèmes quotidiens. Toutes ces images n'étaient que temporaires, mais elles suffirent au prince pour comprendre que cet endroit ne lui était pas du tout étranger.

Une larme salée coula sur sa joue, à l'arrivée de ces réminiscences. Il articula alors, d'une voix cassée, le nom du village, fraîchement revenu à son esprit bléssé.

 -K...Kona? Cet endroit est...Kona?

 -Eh oui, mon petit.

La voix venait de derrière. Dieter se retourna brusquement à son entente. A quelques mètres de lui, près de ce qu'il restait d'une porte de bois, un petit vieillard se tenait debout appuyé sur une canne. Il portait une sorte de toge blanche par dessous un gilet de laine, et sa peau blanche ridée par l'âge avait été noircie par le suif environnant.

Dieter fit un pas en avant, prudent, et ouvrit de grands yeux en reconnaissant la personne qui lui faisait face.

 -Doyen Hame, dit-il dans un souffle et les yeux brillants, c'est vraiment vous...

 -Oui...enfin, pas tout à fait mon garçon, héhé. Disons que j'étais là...

 -Mais qu...je ne comprends pas, vous...

 -Ca fait longtemps qu'on ne s'était pas vus, n'est-ce pas, dit le vieil homme d'un sourire malicieux?  Je ne suis pas vraiment là, je suis comme cette voix que tu as entendu, rien de plus qu'un souvenir.

Les traits de Dieter s'affaissèrent en un sourire vaguement triste. Cet personne lui avait été chère, et le revoir au milieu de tout ces décombres et après tant d'années lui remettait un peu de beaume au coeur.

 -La dernière fois que je vous ai vu, commença-t-il, vous étiez déjà âgé. Cela fait trente ans que je ne suis pas revenu ici, grand-père...

 -...et j'ai survécu à ces trentes années figure toi !

Il se fendit d'un rire sonore étouffé, de ceux que l'on entend dans les rêves. Le vent se leva alors comme une réponse à ce rire, déplaçant des cendres et de la fumée plus loin dans la campagne. L'odeur, du même coup, disparut un peu. Mais la mort régnait toujours en maîtresse.

 -Vous avez vu l'attaque, demanda Dieter au vieillard?

 -Nous n'avons rien vu arriver, si c'est ce que tu me demandes. Un coup de tonerre, c'est bien tout. Ensuite, le noir, et puis me voilà ici. A l'endroit où tu te tiens jouaient alors les enfants de Marguerite. Tu dois te souvenir de Marguerite, je pense...

 -Vous avez eu le temps de vous enfuir, s'empressa de demander le jeune garçon, les yeux pleins d'un faible espoir?

Mais le doyen pencha la tête sur le côté, et plissa les sourcils.

 -Si tu me vois ainsi, mon jeune ami, c'est que toi-même tu connais la réponse.

Dieter perdit son sourire, et s'assit lourdement sur les restes de la fontaine détruite. Il plongea la tête dans ses mains et poussa un long soupir. Le doyen Hame était le chef du village de Kona depuis des années. Lors d'une phase difficile, quelques décénnies plus tôt, il avait recueilli Dieter dans son hameau. Kona était un village d'impérialistes, ces derniers s'étant regroupés en clans dans d'anciens villages abandonnés pour fuir la répression républicaine.

 -Ils ont fichu une belle pagaille, tout de même, reprit Hame sur un ton détaché. Dieter leva la tête, regarda une nouvelle fois aux alentours, et eut un petit rire nerveux.

 -Vous n'avez pas changé en trente ans, grand-père.

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