Chapitre VI, Partie 4 : La convocation de l'inspecteur

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Le grand-lieutenant feuilletait de nouveau les pages de ce dossier, mais lentement, comme à la recherche de la moindre petite indication pouvant lui servir à me faire tomber. Il s'arrêta soudainement sur une pochette plastifiée transparante. Il en sortit une feuille, torsadée et chiffonée. Néanmoins, cette dernière lui semblait particulièrement interessante. Il la leva au niveau de son visage et m'en lut le contenu.

 -Passons à autre chose, si tu le veux bien, dit-il l'air passablement ennuyé. J'ai ici une note très interessante, que l'on appelle dans notre jargon une "liste de courses". Tu vois, le lieu de crime est un endroit plutôt fréquenté et habité.

Il avait dit celà en agitant négligemment son bout de paperasse dans tout les sens, l'air de dire qu'il avait là dessus de quoi m'incriminer. C'était probablement une vieille tactique militaire, ce vieux croûton en avait sûrement des encore plus vicieuses. Je déglutissai difficilement, tout de même. La situation devenait de plus en plus dangereuse pour moi.

 -Malheureusement, reprit-il, tu vois, il faisait nuit au moment de l'incident. De plus, à cette periode de l'année, les récoltes étant bonnes au niveau des vignes des plaines du nord, les taverniers font de bonnes réductions sur la consommation d'alcool. Une bonne partie des riverains étaient donc allés s'enfiler une murge, et ceux qui avaient décidé de rester sobre ce soir-là étaient soit couchés, soit malades des réductions de la veille, soit morts d'un coma éthylique. Tu vois un peu le cadre?

Je voyais très bien. Je lui affichai un sourire crispé, parce que je savais parfaitement qu'il ne m'avait pas sorti cette note pour m'informer des dangers de l'alcool. Il devait bien y avoir anguille sous roche quelque part.

 -Cependant...

Je relevai la tête, un peu trop brusquement pour que ça ne paraisse pas suspect.

 -...il semblerait que le voisinage n'ait pas été totalement vide. On a recueilli le témoignage de deux personnes. Il s'agissait certes d'une grand-mère et d'un jeune garçon, mais quand on a pas grand chose, on ne peut pas se permettre de faire la fine bouche. Je vais donc te lire ces deux témoignages. Ils sont courts, ne t'inquiète pas...

"Il faisait assez sombre et à mon âge, on ne voit guère plus comme avant. Mais je me souviens d'avoir entendu une jeune femme crier pas loin de chez moi. Je me suis précipité à ma fenêtre, et j'ai pu apercevoir, au coin de la rue, un corps, sur le sol. C'était assez effrayant, surtout pour une personne de mon âge. De plus, il faisait assez sombre, et vous savez qu'à mon âge, on ne voit plus aussi bien qu'avant. Mais je me rappelle avoir entendu une jeune femme crier, pas loin de chez moi. Je me suis précipité..."

Tadéo s'arrêta, en toussotant.

 -Bon, après elle radote un peu...mais l'essentiel est dit. Le deuxième maintenant.

Il se racla la gorge et prit tranquillement la lecture du deuxième témoignage.

"C'était bizarre. J'étais devant ma fenêtre, au salon. Je regardais les étoiles, elles sont super belles de ce point de vue. Mais à un moment, j'ai entendu un coup de pistolet. J'ai aussi entendu des cris et quand je suis sorti pour aller voir, j'ai juste vu une femme par terre. Je crois qu'elle était morte. Mais personne d'autre n'est venu, je crois que celui qui avait le pistolet est parti de l'autre côté."

Tadéo, visiblement satisfait de son petit exposé, remit la note dans son emballage plastique et ferma le dossier. Il se leva ensuite tranquillement et mit les mains dans ses poches. Pour ma part, j'affichai un air d'incompréhension et de défi. L'enquêteur s'était lui aussi mis, comme mon "avocat", à lire et relire les rapports des enqûeteurs et mes déclarations. Voyant qu'il attendait une réaction de ma part, je pris la parole.

 -Eh bien c'est bien, tout ce que je vois, moi, c'est une vieille un peu bigleuse et un gamin tout ce qu'il y a de plus naïf. Pas très très solide comme témoignages, d'autant plus qu'aucun d'entre eux ne vient contredire mes déclarations.

 -C'est là que tu fais erreur, jeune homme.

Il ne me fallut qu'un court instant pour tourner la tête vers la voix qui venait de s'élever. La chouette, comme on l'appellait, venait d'articuler ses premiers mots. Durant la première partie de l'interrogatoire, il n'avait rien dit, il n'avait rien objecté, rien partagé. Il s'agissait pourtant de l'enquêteur en charge de mon cas. Ce retour à la vie ne me semblait pas particulièrement rassurant.

 -Je me présente à nouveau, Thérésin de Boisclair, enquêteur et également directeur général du département des enquêtes civiles. Enchanté de te rencontrer.

Il se leva de sa petite chaise de bois et me tendit une main amicale au dessus de la table qui nous séparait. Pour une fois qu'on daignait me saluer convenablement, je pris moi aussi la peine de lui serrer la main et en étais plutôt heureux.

 -Ravi de faire votre connaissance, moi aussi.

Enfin, ravi, le mot était peut-être mal choisi dans ce contexte.Il était quand même là pour me juger, le bougre.

 -Pour revenir à ce que tu disais, dit-il en prenant à Tadéo la vieille note récemment rangée, en fait, il y a bien une petite contradiction avec ta déposition d'il y a quelques jours.

Le grand-lieutenant prit un air des plus serieux. Il se redressa encore une fois en posant ses coudes sur ses cuisses, et me lança un regard que je qualifierais....d'inquiétant. Boisclair, lui, réajusta ses petites lunettes. Il suivit d'un doigt la déclaration des témoins, et de l'autre ma propre déposition qu'il venait de sortir d'un épais classeur vert. Sa recherche dura à peine une poignée de secondes. Il surligna en bleu quelques lignes, referma son stylo, et jeta devant moi le résultat de sa courte analyse. 

Je tournai la tête vers mon avocat, toujours dans les vapes, puis vers Tadéo qui n'avait pas quitté son air répprobateur. Qu'avait-il bien pu trouver d'incohérent dans ce que j'avais dit? J'avais pourtant bien fait attention au nom des rues, aux heures, aux détails relatifs au meurtre que je ne pouvais pas connaître. A peine ouvris-je la bouche pour demander à quoi rimait ce cirque que le vieil homme m'interrompit.

 -Tu déclares avoir défendu Eolia contre cet homme que tu décris, je cite, "à l'évidence bourré", puis l'avoir poursuivi sur les rues St-Anvellin, Evascus Pont-André et Mirilys Borne. 

Il avait tapoté les deux lignes surlignées de ma déclaration pendant son court laïus. Il déplaça cependant sa main sur le témoignage du petit garçon vu plus tôt.

 -Or, ce brave petit habitant de la rue Evascus Pont-André affirme qu'après le coup de feu, "personne d'autre n'est venu, je crois que celui qui avait le pistolet est parti de l'autre côté". Etant donné que tu dis l'avoir poursuivi, tu n'as pas pu passer par la rue Evascus Pont-André. Ni par la rue Mirilys Borne qui lui est immédiatement adjacente. Qu'as tu à dire concernant cela?


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