Chapitre VI, Partie 1 : La convocation de l'inspecteur

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J'avais encore des miettes de pain accrochées sur ma tenue quand je sortai du refectoire principal. Et encore, une grosse trace de sauce tomate trônait majestueusement sur ma chemise de soie. Certes, cela ajoutait de la couleur, mais enfin quand même. Je tournai discrètement le regard à gauche et à droite, pour être sûr que personne ne me surprenne, et frottai energiquement la tâche avec mon doigt humidifié de salive. Ce n'était pas très glorieux à voir.

Je restai quelques secondes devant la double porte vitrée automotique afin d'ajuster un minimum mon apparence. Soyons clair, je me refagotai complètement étant donné l'ordonnancement approximatif de mes habits. Je devais être impéccable pour l'entretien qui m'attendait. En effet, c'était l'après midi même que j'avais ma convocation dans la salle de conférence du bâtiment avec l'inspecteur en charge de l'enquête sur la mort du garde. J'immaginais que Tadéo allait être là, lui aussi en prime. N'importe qui qui aurait été convoqué par le grand-lieutenant en personne se serait uriné dessus de stress. Mais pas moi. Moi, je savais pertinemment que j'étais coupable, et que j'allais devoir faire mille et une pirouettes rhétoriques pour éviter de finir en cage. Cette idée me fit sourire.

Je tournai donc les talons. Mon rendez-vous professionnel était dans à peine une quinzaine de minutes, et un retard serait puni par un blâme. Non pas que je craignais particulièrement leurs avertissements, mais il me fallait rester un maximum irréprochable pour mener mes recherches à bien. Je n'avais pas encore de garde aux fesses, mais ça ne saurait tarder.

Au loin, dans le couloir principal, je pus alors apercevoir une silhouette qui courait dans ma direction. A l'évidence, cette personne portait une tenue plutôt voyante, et même carrément tape-à-l'oeil. Il s'approchait à vive allure dans une démarche un peu trop détendue et familière pour le lieu où nous nous trouvions.

Je reconnus aussitôt Marty, un des cinq membres du groupe EXODUS dirigé par Eolia. Il arriva rapidement à ma hauteur -enfin, à la sienne en l'occurence- un peu essoufflé par sa course.

Marty était grand, il faisait facilement une tête de plus que moi. Il était aussi très mince, avait de cheveux fins noirs de jais et portait de petite lunettes rectangulaires. Elles le vieillissaient affreusement. Seules ses chemises roses, jaunes, vertes, juraient avec son attitude calme et posée. Vue l'épaisseur du verre droit, ce pauvre garçon devait être parfaitement aveugle.

Il me donna une tape amicale sur l'épaule, ce qui m'arracha un petit geste de recul instinctif. Si j'avais bien horreur de quelque chose, c'était bien des contacts physiques. Je lui souris cependant amicalement, enfin à peu près. Je dégageai cependant très vite cette main invasive. La politesse m'interdisait de la lui trancher, mais enfin quand même. Lui, enjoué, me regardait bêtement de haut et souriait comme un demeuré.

 -Ah, tiens, Marty, commençais-je l'air passablement ennuyé. A ce que je vois, tu portes toujours ces affreuses choses. Tu devrais peut-être penser à faire changer la monture, le brun-rouge n'est plus à la mode.

Son sourire disparut quelque peu, il semblait que ma remarque l'eût touché.

 -Eh bien toujours le mot pour faire plaisir, toi. M'enfin, c'est pas grave, je sais parfaitement que tu penses aucune des saletés que tu nous balances, hein?

Il avait sorti cette énormité avec un grand sourire imbécile qui lui coupait littéralement le visage en deux. Il devait avoir la trentaine. Je n'en savais rien, je ne lui avais jamais demandé et n'en avais strictement rien à faire au passage. Il avait cependant un visage jovial fin qui me rappelait celui de mon grand frère. Ces mêmes yeux pétillants, ce même sourire honnête et décontracté. Ce genre de sourire qui ne ment pas. En réalité, c'était bien ce genre de sourire que j'avais perdu au fil du temps. Par politesse, encore une fois, et peut-être aussi par nostalgie, je décidai quand même d'écouter ce qu'il avait à dire.

 -Qu'est-ce que tu veux, Marty, demandai-je avec une pointe d'agacement dans ma voix?

 -Rien de particulier, t'inquiète. J'ai juste appris que tu devais aller voir le grand manitou et la chouette dans la salle de conférence.

 -La chouette?

 -Oui, l'inspecteur en charge de ton dossier. Il est myope comme une taupe pharienne, c'est vraiment un truc de dingue. Je l'ai croisé plusieurs fois, à chaque reprise il m'a prit pour une personne différente !

Il éclata de rire en s'appuyant lourdement contre moi. J'avais eu de la chance qu'il ne fût pas massif, en dépit de sa grande taille. Il était encore plus mince que moi, je pense que c'est ce détail qui m'arracha un petit rire et non sa tentative d'humour.

Il reprit lentement ses esprits après cela, et se redressa.

 -Enfin bref, c'est pas le moment de raconter des conneries. Tu les connais pas encore trop, tout les deux, n'est-ce-pas? Tu voudrais peut-être quelques conseils pour savoir comment leur faire face?

De mieux en mieux, il allait maintenant me donner des conseils. Non pas que je n'en avais pas besoin, au contraire, ils pourraient m'être très utiles. Mais j'avais déjà fait l'experience des conseils de Marty durant ma courte présence ici. Ils se résumaient à des recommandations vestimentaires, à des tutoriels pour avoir l'air plus joyeux ou bien à des recettes de patisseries fantaisies. Je me doutais bien que j'allais avoir droit à quelque chose de cocasse, mais je décidai tout de même d'écouter ce qu'il avait à me dire. Je m'arretai donc, me retournai vers lui et lui adressait un charmant visage intéréssé.

 -Vas-y, je t'écoute.

 -Eh bien, pour commencer, il faut savoir que Tadéo et Boisclair -c'est le vrai nom de la Chouette- se connaissent très très bien. Je crois qu'ils ont un lien de parenté éloigné, du côté de leur arrière grand-mère. Donc ne commet pas de faux pas en manquant de respect à l'inspecteur.

J'avais sorti rapidemment un petit carné de cuir tanné. J'écrivais à toute allure les conseils de mon collègue pour ne pas risquer de les oublier. Lui, sans se soucier de savoir si je suivais ou pas, continuait à la même vitesse.

 -Ensuite, fais très attention à leurs questions. Ils s'accordent parfaitement, d'autant que Tadéo a suivi un cursus judiciaire à l'EDL, il est donc très bien renseigné sur les procédures, les peines et tous ces trucs là. Il a plusieurs fois dirigé des enquêtes internes à l'armée, et il est connu pour avoir un taux d'échec de zero pourcent.

Je terminai de prendre en note ce qu'il venait de me dire, et lui dit, sans relever la tête :

 -C'est tout?

 -Eh bien, c'est tout ce que je sais. Ils ont l'air affreux, dit comme ça, mais si t'as rien à te reprocher, tu devrais t'en tirer sans aucun problème, petit lieutenant !

Pour le coup, je me redressai assez rapidemment. Je n'avais pas trop apprécié le qualificatif de "petit lieutenant", déjà parce que mon grade donnait l'impression que j'avais été pistonné -ce qui en soit n'était pas complètement faux- et que je n'aimais pas tellement être traité de petit. D'accord, je n'étais certainement pas aussi grand que lui, mais quand même. En voyant ma tête, il rigola de nouveau. C'était vraiment un rire atypique, qui s'apparentait à un hululement.

Je sortai ma petite montre poche, presque aussi vieille que moi. Ma convocation était dans moins de 5 minutes. J'avais certes pris du retard sur le chemin en écoutant Marty, mais au moins ces quelques minutes n'avaient pas été perdues. Je le remerciai d'une petite tape sur l'avant bras, et tournai les talons pour me rendre à la salle indiquée sur le petit papier blanc.

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