Chapitre IV, partie 3 : Les deux impératrices

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Les deux femmes se regardaient maintenant de manière insistante. Après ces paroles énigmatiques, Thalia se redressa sur sa chaise, reprenant la position droite de l'impératrice qu'elle était. Ses yeux avaient quelque peu changé, ils reflétaient une certaine animosité et une profonde lassitude. Suanne, quand à elle, au contraire de sa belle-fille, tendait à se tasser de plus en plus sur la fragile chaise de bois. Des deux femmes, au départ la plus imposante, elle était maintenant devenue la plus chétive et la plus renfermée. En quelques mots justement placés, Thalia avait complètement inversé le rapport de superiorité entre les deux femmes de Roi.

Cet instant de doute et de gene ne dura pas longtemps pour la vieille dame, qui retrouva en une quinzaine de secondes seulement toute sa prestance. Elle sortit un petit éventail de papier bleuté et l'agita frénétiquement malgré les bourrasques passagères toujours plus intense du vent d'été.

 -Certes, certes...mais enfin, tu m'accorderas qu'un empire aussi étendu et puissant que celui de Lazaria ne peut pas se vanter d'une Histoire parfaitement claire.

Thalia sourit légèrement, les yeux teintés de malice.

 -Qu'entendez vous par-là, Suzanne?

 -Eh bien je veux dire que notre pays, aussi juste et droit soit-il aujourd'hui, est forcément passé par des phases de...brume, si je puis m'exprimer en ces termes. On ne peut pas imaginer des continents et des empires entiers blancs comme neige. Moi-même, si je devais parler aux médias populaires de certaines fréquentations et de certaines actions de feu mon mari, je ne garantirais pas la survie de notre mode de vie. D'autant plus qu'être chevalier d'honneur des 7 sabres m'impose quelques restrictions.

Le visage de Thalia s'illumina soudainement. Elle avait toujours eu un interêt particulier pour ce groupe si mysterieux interne à la famille impériale, bien qu'elle ne pût pas en faire partie. Le cercle des membres était extrêmement fermé, et toutes sortes de choses étaient dites à son sujet. On parlait de secrets, de plans diaboliques ou encore de manipulations politiques. En tant qu'impératrice, il lui aurait été en temps normal facile d'y acceder, mais quelque chose rendait ces sept sabres innaccessibles, même pour elle. Par chance, sa belle-mère se trouvait être leur dirigeante.

 -Vous ne parlez jamais de cette confrerie belle-maman, commença-t-elle avec un regain d'interêt soudain pour la discussion.

 -C'est parce que ce n'est pas vraiment une confrérie ma puce, répondit Suzanne. Disons qu'à la base, nous sommes le bras armé de cet empire.

 -C'est un peu léger comme description, non? L'armée peut se targuer de la même chose.

Suzanne baissa les yeux. Elle savait qu'elle était soumise au secret, et ne pouvait par conséquent rien réveler à sa belle-fille adorée.

 -Ma puce, il y a une différence fondamentale entre l'armée et les sept sabres. Je ne peux rien dire, mais pour te faire une ébauche, l'armée ne servira à rien en cas d'attaques exterieures.

 -Pourquoi cela, nous sommes équipés militairement mieux que l'ensemble des autres nations, nous serions parfaitement en mesure de cont...

 -Je ne dirai rien de plus, Thalia.

 -Oh ne faites pas votre entêtée, dîtes moi...

 -Rien de plus.

Thalia baissa de nouveau la tête. Elle eut un petit rire sacarstique, et croisa les jambes de manière parfaitement désinvolte.

 -Et...si je vous dit que c'est l'impératrice Thalia Lazarus, femme du 82ème empereur Archus Cornelius ma Landria Lazarus et souveraine de l'empire Lazarien qui vous l'ordonne, que me répondez vous?

Suzanne regarda insistement Thalia durant de longues secondes, sachant parfaitement qu'elle était soumise à l'autorité de sa belle-fille en tant qu'ex-impératrice. Elle sortit de sa poche une feuille de papier, pliée en quatre, qu'elle tendit à Thalia en soupirant.

 -Tiens? Qu'est-ce que c'est que cela?

Elle prit délicatement la feuille, la déplia, et lut son contenu. La surface blanche était noircie de dizaines de noms, dont certains lui étaient familiers. Son regard parcourut la liste, elle cherchait à replacer un visage sur chacun des noms inscrits. Alors qu'elle fermait les yeux pour s'en remémorrer un en particulier, Suzanne intervint.

 -Je pourrais parfaitement vous reveler le secret de mon ordre, votre altesse, car je ne peux me soustraire à votre autorité. Mais alors vous auriez à faire avec chacun de ces quarante-cinq assassins, tous plus experimentés les uns que les autres, et dont l'unique but est de faire disparaître chaque dépositaire de ce secret.

Le vent cessa de souffler. Plus aucun bruit ne venait déranger l'angoissante quiétude des lieux. Thalia releva la tête vers sa belle-mère, son visage n'avait plus rien d'impérial ou de souverain. Ses traits s'étaient affaissés, ses mains tremblaient, et ses yeux écarquillés semblaient enfin prendre la mesure du rôle que jouait Suzanne Lazarus. Elle lui tendit le bout de papier froissé, et se rassit lourdement sur sa chaise, l'esprit ailleurs.

 -Je ne te dirai rien de plus, ma puce, reprit doucement Suzanne avec beaucoup de douceur. Qui sait quelles choses horribles pourraient t'arriver à toi, ou à tes enfants. Ils ne reculeront devant rien. Je ne sais pas d'où ils viennent tous. Je sais pas qui ils sont. On ne plaisante pas avec ce genre de forces, Thalia.

De l'autre côté, près de la grande double porte, le garde de Suzanne siffla trois coups longs. Thalia sortit de sa transe, et regarda tristement sa belle-mère se lever.

 -Il semblerait que je doive partir. Je te dis au revoir, Thalia. Nous nous reverrons sans doute bientôt. La commémoration de la mort de Charles aura bien lieu au palais, n'est-ce pas?

Thalia ne répondit pas. Elle avait tourné la tête vers ses enfants, comme pour s'assurer qu'ils ne risquaient rien dans ce grand jardin. Suzanne lui tapota l'épaule.

 -Thalia? Je t'ai posé une question?

L'impératrice se retourna lentement. Elle était absente, comme si l'on avait retiré tout principe de vie de son corps déjà frêle.

 -Heu oui...oui, c'est ça...au palais, le trente de ce mois...

Suzanne contempla sa belle-fille quelques secondes, le regard triste et mélancolique. Elle se baissa lentement et posa un baiser sur la joue d'une Thalia absorbée dans ses pensées.

 -Eh bien, à bientôt. J'enverrai un courrier à ton secrétaire concernant certains problèmes financiers, rien de bien grave. Embrasse Archus et tes enfants pour moi !

Sur ces mots, Suzanne s'en alla, toujours avec cette démarche feutrée qui était la sienne. Elle et son jeune garde passèrent la porte et disparurent dans le hall de la résidence. Thalia revenait doucement au monde réel. En quelques minutes, sa belle-maman lui avait fait comprendre à quel point certaines choses avaient de la valeur et combien il était dangereux de savoir certains secrets. Elle, ancienne impératrice, avait accompli sa vie : elle s'était mariée, avait co-dirigé l'empire le plus puissant de l'Histoire, avait élevé ses enfants dans le respect des règles religieuses élémentaires et n'avait maintenant plus grand chose à perdre. A cet âge là, on accueille la mort plus qu'on la redoute.

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