Chapitre III, partie 4 : EXODUS

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J'étais toujours face à face avec Eolia, lorsque la double porte du centre s'ouvrit, pour laisser entrer un homme. Ce dernier s'avança jusqu'au poste de commande superieur, là ou Eolia et moi nous trouvions, determiné semblait-t-il à vouloir parler à la jeune femme.

Toutes les personnes présentes dans la pièce -à part moi, évidemment- saluèrent vigoureusement le nouvel arrivant. Il était grand, mince, et portait l'uniforme règlementaire de l'armée. Au vu de son badge à quatre bandes horizontales, cet homme devait être grand-lieutenant, et par conséquent, le superieur hierarchique d'Eolia. Nous qui parlions du loup, le voilà qui pointait le bout de son nez.

Son visage contrastait étrangement avec son rôle de militaire, avec ses lunettes rectangulaires et son air fatigué. Il ne semblait pourtant pas particulièrement vieux, peut-être la quarantaine, mais offrait pourtant une aura de respect. Celui-ci devait avoir fait au moins une guerre, ou quelque chose comme ça.

Il arriva les bras croisés dans le dos, droit comme un piquet, visiblement en inspection de routine. Il tendit la main à Eolia, qu'elle s'empressa de serrer.

 -Grand-lieutenant Tadéo, c'est un honneur de vous voir ici. Vous venez si peu souvent...

 -C'est que j'ai du travail, ma petite Eolia, je ne peux pas me permettre de venir vous surveiller en permanence. Mais je vois que tout le monde travaille bien, je n'ai donc pas de soucis à me faire !

Il passa une main dans les cheveux d'Eolia, et tout deux étaient maintenant partis dans une franche rigolade. Leur relation ressemblait plus à celle qu'entretiendraient un oncle et sa nièce qu'à celle d'un lieutenant et son patron. Je me surpris à sourire ; il n'y avait donc pas que du pourri dans cette armée, c'était bon signe.

Alors qu'il était sur le point de reprendre la parole, Tadéo parcourut du regard la salle des opérations, et s'arrêta sur moi. Son sourire et son air jovial disparurent instantanément, rendant au lieu son ambiance froide et bureautique.

 -Et...tu peux m'expliquer qui est ce jeune homme, Eolia?

Elle parut soudain légèrement embarassée. Prenant les devant, elle s'approcha de moi et passa négligemment un bras autour de mes épaules. Elle aurait pu éviter d'être aussi familière, ça jurait avec son rôle de soldat, surtout devant un superieur. Je pris un air assez gêné, et tentai de garder un semblant de distance avec la jeune femme.

 -Oh oui, en effet, j'ai complètement oublié de vous présenter, quelle idiote ! s'exclama-t-elle dans une tentative de rattraper le coup. Grand lieutenant Tadéo, je vous présente Diet. Diet, voici le Grand-lieutenant Philippe Tadéo. C'est mon superieur.

Ca j'avais compris. Je tendais une main timide, mais l'homme en face de moi refusa de me la serrer, et me lança un regard courroucé. Il semblait que ma présence ne lui fasse pas particulièrement plaisir.

 -Eolia, je ne sais pas où tu es encore aller ramasser ce jeune homme, mais tu sais parfaitement que cet endroit est réservé aux peronnes accréditées uniquement. Ca veut dire aux MILITAIRES, ceux qui ont fait l'EDL et qui ont le droit de porter des flingues pour tuer les potentiels ESPIONS, tu comprends?

 -Je sais, je le sais monsieur, s'excusa-t-elle, mais...mais Diet m'a plus ou moins sauvé d'une tentative de meurtre, alors je lui ai prposé une visite en guise de remerciem...

 -Comment ça, une tentative de meurtre?? Qui ça, demanda t'il en abandonnant sa posture rigide?

L'assemblée s'était de nouveau arrêtée de travailler, et écoutait désormais attentivement notre discussion.

 -Rien, rien, un garde qui avait sûrement un peu trop bu...enfin, toujours est-il que Diet m'a sauvé. Il a du le faire fuir, d'une quelconque manière.

Elle ne se souvenait vraiment de rien. Tant mieux pour elle, je n'étais pas sûr qu'elle aurait supporté la vue du sang. Le grand lieutenant, lui, ruminait, on pouvait l'entendre murmurer des insultes à l'encontre de la garde.

 -Ces idiots de la garde vont bien m'entendre ce soir, au conseil hebdomadaire. Il va falloir leur retirer le port d'armes, ca va être vite vu. Menacer de mort un membre de l'armée, un lieutenant en plus. Toi, là !

Je levai le visage vers lui. J'esperais qu'il n'allait pas me demander de témoigner, il n'y avait rien de plus ennuyant que de se rendre au tribunal.

 -Je pense que tu devrais venir témoigner. En fait, c'est plus un ordre qu'un conseil. Si c'est vraiment le cas, cela va faire grand bruit, peut-être que le gouvernement acceptera la dissolution de cette bande d'incapables une bonne fois pour toutes. Ils commencent serieusement à nous pourrir la vie. Tu seras présente Eolia?

 -Euh...bien sûr, répondit-elle calmement, mais je ne me souviens pas de grand chose. Seulement du visage de mon agresseur, et encore...Mais si Diet nous accompagne, ça devrait aller. N'est-ce pas?

 -Euh, commençai-je, il faut voir, je n'ai pas de calendrier dans la tête...

La situation commençait à être serieusement dangereuse pour moi. Si j'y allais, je serais obligé de mentir quant au déroulé des évènements, sans quoi ils feront le lien avec la mort du garde. D'autant plus que le pistolet de celui ci avait été vidé d'une cartouche, et que mon sang était probablement encore présent sur la balle et sur le sol. Bon, mon ADN n'était sûrement pas contenu dans la base de donnée de l'armée, mais les chimistes de notre époque étaient suffisemment bons pour chercher plus loin dans le passé. J'allais devoir jouer cela d'une main de maître pour m'en sortir. Mais je pensais aisément pouvoir y parvenir. C'était d'ailleurs sûrement un excès de confiance en moi.

 -Ecoutez, donnez moi une date, et je m'y plierai.

Tadéo me scruta durant de longues secondes, avant que les traits de son visage ne s'assouplissent et ne reprennent leur aspect jovial.

 -Merveilleux ! Dans tout les cas, je tiens à te remercier d'avoir pu sauver Eolia, elle est un élément précieux pour toute l'équipe. Sur ce, je dois vous laisser, j'ai quelques affaires urgentes à régler avec certains collègues et quelques rats dans les bureaux. 

Il tourna les talons et prit alors la direction de la porte. Soudainement, tandis qu'il quittait la salle pour laisser ses employés à leur travail, Eolia l'interpella.

 -Grand lieutenant, attendez !

Celui ci se retourna, visiblement surpris. Il revint parmi nous, et s'arrêta pile devant elle.

 -J'ai pensé qu'il serait...enfin, je me suis dit que peut-être nous pourrions...enfin, à propos de Diet, il...vous comprenez...

A l'évidence, Tadéo ne comprenait pas plus que moi là où le lieutenant voulait en venir. Nous la regardions fixement, en attendant l'accouchement.

 -Vous voyez, en fait, comme il est sans domicile, donc sans emploi, je me disais que...nous pourrions le prendre avec nous...à EXODUS...

Cette fois, le regard du grand lieutenant différait complètement du mien : lui observait la jeune femme avec une once de malice, quand je lui lançai un regard incisif et consterné. Je ne voulais pas de son travail de sous-fifre payé au lance pierre, j'étais bien mieux dans ma rue avec mes chiens et mes rats. Travailler ici signifiait la soumission à la hierarchie militaire, tout ce que je répugnais. Je lançai un regard implorant vers Tadéo pour le supplier de refuser. Mais celui-ci semblait très absorbé par sa subordonnée.

 -Il est très intelligent, il a décodé la plupart de nos formules et nous a même donné des conseils quant à l'amélioration de nos prototypes ! Et puis, de toute façon, il est au courant pour le gaz. On ne peut pas le laisser sortir. Soit il reste, soit on le tue.

Cette fille était complètement givrée. Comme tout à l'heure, elle menace de m'executer juste après avoir fait mon éloge. La mort ou la soumission, quel meilleur choix que celui ci...

Tadéo considérait avec attention la proposition de sa protégée. Il se gratta le menton, puis lui adressa un petit sourire en coin.

 -Après tout, c'est ton équipe. Et puis comme ça, au moins, je suis sûr qu'il ne disparaîtra pas avant le briefing concernant ton sauvetage miraculeux. Fais comme bon te semble, tu diriges ce département je te rapelles.

Un sourire radieux apparu sur le visage d'Eolia qui remercia le grand lieutenant par un salut vigoureux. Ses traits avaient cependant changé, elle semblait plus pensive et plus posée. Elle devait avoir quelques idées derrière la tête.

 -Bien, maintenant je dois vraiment vous laisser, dit Tadéo en nous tournant le dos, ces affaires sont vraiment urgentes. Bonne journée, Eolia, et bonne continuation, "Diet".

La porte se referma d'elle-même à son départ. J'étais désormais prisonnier de l'armée, génial. La paperasse, les enregistrements, les rondes et les levers au clairon. Plus qu'à me suicider.

Eolia, toujours ravie de son petit coup, m'attrapa par les épaules et me poussa tout en bas de la salle. Elle passa un badge derrière un des bureaux, qui laissait apparaître une porte...renforcée. Cette pièce là semblait reellement importante, vu comment elle était protégée.

Je me tenais face à elle. Elle était vraiment tout fière de son manège, et ses yeux brillaient comme ceux d'un enfant devant une montagne de cadeaux. Elle fit un petit bond en l'air, puis retomba bruyamment sur le sol. Elle me montrait du doigt le coffre sur-protégé.

 -Maintenant que tu es membre d'EXODUS, mon petit, je vais pouvoir te dévoiler l'un des dernier secret de notre organisation. Tu vas voir que nous sommes plus qu'un groupe paramilitaire de recherche...

J'étais, pour le dire, très sceptique devant cette affirmation. Personnellement, qu'ils organisent des chasses à courre, des bals masqués ou qu'ils préparent les festivités d'Ana'ohihi du nord du pays, je n'en avais rien à taper. Peu m'importaient leurs secrets militaires, ou pas d'ailleurs. Je vivais sereinement avec les miens.

La porte s'ouvrit, dans un souffle. A l'interieur de la salle, des dizaines d'unités centrales ainsi que des bibliothèques remplies de livres et de documents papiers. J'ouvris alors mes yeux et ma bouche aussi grande que je le pouvais. J'avais commencé à trembler, devant l'innestimable trésor qui se tenait en face de moi.

 -Je te présente notre pièce secrète : les archives officieuses de Lazaria, empire et république.

Oh, je savais bien ce qu'étaient ces machines et ces bouquins. J'avais passé mon existence à piller les milliers de librairies lazariennes, les salles de conseil, partout où je pouvais trouver des informations sur la révolution et la famille impériale. Devant moi, immense, se dressait l'ensemble de l'histoire Lazarienne depuis sa fondation il y a plus de deux mille quatre cents ans.

C'est à ce moment que germa à l'interieur de mon esprit une graine, présente depuis le jour de la mort de ma famille. Je concevai la puissance des informations mises à ma disposition, et l'utilisation inédite que j'allais en faire. Enfin, depuis ce jour sanglant, j'avais une possibilité, une chance de comprendre d'où provenait ma malédiction. J'irais chercher jusqu'au fond du dernier morceau de papier bouffé par les rats, eût-il pu apporter des réponses à mes questions. La lumière douce et froide de la vengeance me montrait la voix, ce système allait enfin payer pour tout le mal qu'il avait fait subir. Oui, cette graine, c'était bien celle du ressentiment, enfouie en moi depuis des lustres. Bien que je fusse immortel, de bien des façons, ma vie allait commencer maintenant.

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