Chapitre III, partie 3 : EXODUS

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Je lui lançai un regard amusé. J'étais en train de prendre mon pied, à étaler ma science, ce dont j'avais rarement l'habitude en temps normal, et il restait encore de nombreuses salles où je pourrais continuer.

C'était donc comme un enfant dans un centre commercial qu'Eolia me traînait de pièces en pièces, me présentant ici le laboratoire de recherche numéro quatre, ici la salle de réunion militaire, ou encore là les bureaux de l'administration d'EXODUS. Nous parcourûmes ainsi onze étages, prîmes plus de trente escaliers, ouvrîmes pas loin de trois-cents portes et marchâmes sur plusieurs kilomètres. C'en était un peu trop pour moi, et je finis par arrêter le lieutenant dans sa course folle près d'un banc de bois.

Je m'affalai dessus, et repris mon souffle. La jeune femme se retourna, eut un petit rire moqueur, puis pris place à côté de moi sans oublier de bien me brusquer. Je me décalai de mauvais gré et posai mes coudes sur le dossier.

 -Allons, un peu de courage Diet, notre dernière étape n'est plus très loin. Mais c'est la salle la plus importante du complexe.

J'étais ravi de l'apprendre, mais à cet instant précis mes jambes refusaient de répondre à l'appel de mon cerveau malgré ses efforts constants. J'aurais été incapable de faire ne serait-ce que quelques mètres, fût-ce pour admirer les jardins princiers du royaume d'Angolie. Mais Eolia ne l'entendait évidemment pas de cette oreille, comme j'aurais pu le deviner, et me releva de force sur mes deux pieds. Elle n'eut aucun mal à y parvenir, son entraînement militaire rigoureux étant renouvelé en permanence. Si l'on pouvait reconnaître un avantage de l'armée que la garde n'avait pas, c'était bien de ne pas former des lavettes.

Je sentis mes os craquer en me relevant, m'arrachant un petit soupir de douleur. Je m'en étais pris, des balles, dans le torax et l'abdomen, mais ce genre de ressenti dépassait tout ce que je connaissais en terme de souffrance. Le choc passé, Eolia m'attrapa par le bras gauche et m'entraîna vers la fameuse dernière salle.

La traversée du couloir nous prit encore quelques minutes. Cet endroit était bien plus grand que je ne le pensais, moi qui ne l'avais jamais vu que de l'exterieur, sa façade. Depuis que j'étais à l'interieur, j'avais pu établir dans ma tête un plan assez précis des lieux afin de pouvoir m'y reperer seul. EXODUS s'organisait sur plus de dix étages, dont une tour de cinq étages à l'un des coins du batîment avec un héliport à son sommet.

J'étais encore en train de reflechir lorsque je fus brutalement stoppé par le lieutenant, maintenant debout devant une double porte coulissante automatique. Sur celle-ci était apposée la mention "ENTREE RESERVEE AUX MEMBRES ACREDITES", ce qui ne laissait pas de doute quant à mon autorisation d'entrée.

 -Ne t'inquiète pas, tu vas pouvoir rentrer. Ton badge possède un circuit electronique dont les liaisons ont été reprogrammées pour que tu puisses passer. Je dois juste m'assurer que ce qui est dit dans cette salle RESTE dans cette salle. C'est bien d'accord?

Je hochai la tête. Je n'en avais pas grand-chose à faire de ce qu'ils pouvaient dire la dedans. J'étais pratiquement sûr qu'il s'agissait de leur salon privé. Selon mes calculs, le volume considérable que cette pièce représentait devait probablement être alloué à un centre de loisir, avec billards, arcades et autres mini-casinos et bar à bière. Dans la plupart des installations militaires, ce sont les équipements règlementaires.

 -Je te remercie. De toute façon, si tu parles, l'un de nous te descendra.

La dernière phrase contrastait étrangement avec la précédente. C'était donc son style, remercier les gens puis menacer de les buter si ils pétaient un peu trop fort. Au moins, désormais, je savais que j'allais devoir tenir ma langue si je ne voulais pas passer l'arme à gauche trop vite.

Une sorte de mini ordinateur sortit du mur à la droite de la porte. Eolia y entra un code à treize chiffres, et après un scan rétinien penetra à l'interieur de la salle. Je ne croyais pas m'être autant trompé de ma vie dans mes spéculations. Une fois à l'interieur, je ne pus m'empêcher de pousser un "wouaaaah" d'effarement, ce que je m'étais bien gardé de montrer jusque là.

Le volume était en effet très important, mais il n'était à l'évidence pas reservé à un usage de loisir. La pièce, circulaire, possédait un unique mur tapissé d'écrans tactiles sur lesquels s'affichaient des dizaines et des dizaines d'informations. Elle était divisée en trois étages : le premier surplombait les deux autres avec son bureau de verre connecté, visiblement reservé au "chef suprême", les deuxième et troisième étant, eux, peuplés de bureaux équipés informatiquement. L'ensemble était recouvert d'un immense dôme de verre, probablement resistant aux balles et aux explosions, qui luisait aux premières lueurs de l'aube.

 -Alors, monsieur le désabusé, que pensez vous de cela? Bienvenue au centre des opérations d'EXODUS. C'est ici que sont organisées toutes nos sorties, recherches et où nous recevons nos ordres. C'est aussi ici qu'on mange.

Je déambulai, pendant que la jeune femme parlait, entre les bureaux et les quelques employés qui y travaillaient. En jetant un oeil aux moniteurs, je pouvais voir des plans techniques pour de nouvelles armes, des plans de la ville et de ses alentours, ainsi que de nombreuses formules chimiques et mathématiques. J'en connaissais une bonne partie, ayant un jour profité d'une brèche dans la sécurité pour voler une bonne dizaine de livres numériques à la bibliothèque centrale.

Je dus bien l'avouer, je n'avais jamais vu de salle comme celle-là. Petit, j'étais habitué à traîner dans les salles de réunion de mon père, mais cet endroit dépassait tout ce que je connaissais. Les travaux présents sur ces ordinateurs non plus, je n'en avais jamais vu de semblables. Cependant, bien que conscient que je ne comprendrais jamais l'intégralité de ces recherches, je fus attiré par une représentation 3D d'une molécule. A côté d'elle était représentée numériquement une sorte de coffret, apparemment bourrée de capteurs et de technologies dernier cri, qui me fit immédiatement penser à une mine. Je jetai un oeil vers le lieutenant, qui me surveillait étroitement.

 -Dîtes moi moi, intervins-je, vous travaillez sur un projet d'arme chimique?

Tout les visages se tournèrent vers moi. Les bruits incessants des mains pianotantes sur les claviers, les quelques bavardages et les discussions bureautiques s'étaient arrêtées, et les six personnes présentes dans la pièce me regardaient fixement. Eolia, en particulier, avait fortement rougi, et tentait de cacher son malaise derrière un etonnement faussé.

 -Mais...mais pas du tout ! Ce n'est qu'un plan de rénovation des engrais chimiques de la capitale ! Quelle idée saugrenue, des armes chimiques ! Mais...mais c'est idiot, complètement idiot. Et puis de toute façon, qu'y connais-tu, hein? Tu sors de la rue à ce que tu m'as...

 -Excusez moi de vous couper, mais ces formules topologiques me rappellent tout de même fortement le gaz Anvère, qui a été utilisé pour la dernière fois lors de la révolte des mineurs du sud. La concentration en fluor me fait penser à du décafluorure de disoufre, bien que l'ajout de certaines substances strabonisées rende celui-ci plus mortel. Je me trompe?

Les pianotements avaient repris, tout le monde avait apparemment décidé de se murer dans le silence. Tout autour de moi, le travail bureaucratique reprit comme si de rien n'était. J'avais à l'évidence percé à jour des recherches secrètes et probablement hors-la-loi, cela se comprenait. Seule Eolia continuait de se dandiner sur place, très mal à l'aise.

 -Eh bien, lieutenant, vous n'avez rien à répondre? Cela fait pourtant bien vingt ans que la législation a prohibé ce genre d'armes, non?

Je m'approchai lentement d'elle, et lui susurrai à l'oreille dans un regain de nonchalence perverse :

 -Eh bien, Lieutenant Wähle, on fait des petites cachotteries à l'Etat?

 -Tu te trompes, c'est, commença-t-elle, ce sont les ordres, voilà.

 -Comme c'est facile, ça, les ordres. Le gouvernement vous a donc ordonné la fabrication d'armes prohibés par lui-même, dis-je plus fortement? Cela ne vous pose aucun problème de conscience, sachant que ces armes vont probablement être utilisées dans un futur génocide dont la Démocratie a le secret?

Je la regardais maintenant dans les yeux.

 -Qui cela pourrait-il être cette fois-ci, hum? Les impérialistes? Les opposants radicaux? Les clochards? Ou bien peut-être les orphelins et les veuves, plus rien ne m'étonnerait de ce régime pourri.

Elle baissa la tête. Je savais parfaitement qu'elle disait la vérité et que la Démocratie était à l'origine de cet ordre. Pour être aussi soumis, il fallait soit être très bien payé, soit avoir très peur de sa hierarchie, soit être une ordure de première catégorie. Au vu de son visage honteux et de ses gestes tramblottants, je devinai aisément que le lieutenant n'était ni une sadique, ni très bien payée.

J'étais toujours face à face avec Eolia, lorsque la double porte du centre s'ouvrit, pour laisser entrer un homme. Ce dernier s'avança jusqu'au poste de commande superieur, là ou Eolia et moi nous trouvions, determiné semble-t-il à vouloir parler à la jeune femme.

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