Chapitre 23 - Vue d'en haut

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Il sentait la main d’Alix sur son torse, il sentait son odeur de fleur vanillée et de savon, le contact délicat de ses cheveux contre sa joue. Il refusait de se réveiller encore, l’instant était si doux. Tant qu’il n’ouvrait pas les yeux, il ne pouvait y avoir de confirmation que ça n’était qu’un rêve. S’il ouvrait les yeux, il se confronterait à la vérité.

Elle était son chat de Schrödinger, son adorable et insoutenable énigme.

Tout à la fois morte et vivante, sa douce Alix existait sans vraiment l’être. Pourtant elle était dans ses bras, à l’état de souvenir ou de matière organique, peu importait la vérité.

REVEILLE TOI.

L’injonction fut aussi soudaine que pénétrante, il la reçut comme une lame glacée le transperçant de part en part.

« Non », aurait-il voulu répondre, mais il n’y parvint pas.

MAINTENANT.

A contrecœur, il ouvrit les paupières.

Il se trouvait dans une immensité blanche, dénuée de quoi que ce soit de visible ou de tangible. Même le sol avait disparu. Il flottait dans l’air. Aucune odeur, aucune lumière, aucune ombre, pas même la sienne. Il était pourtant libre de ses mouvements, ce dont il s’assura en levant ses bras. Le geste se fit néanmoins au ralenti, attestant d'une densité.

— Mickaël, résonna une voix profonde et caverneuse qui venait de partout autour de lui.

Le jeune homme se sentit aussi petit qu’un enfant et n’osa répondre.

— Mickaël, c’est vraiment ce que tu veux ? insista la voix.

Il se sentait pris en faute. Que répondre ?

Il perçut alors d’autres éléments co-existants dans ce vide. Des volutes d’énergies se déplaçaient autour de lui sur plusieurs niveaux. En y regardant avec attention, il parvenait à y distinguer différentes teintes, du parme au bleu irisé. Cette teinte ne fut pas sans lui rappeler l'instant d'apparition de Sarah n°2. Il se dégageait de ces ondoiements dans l’espace, une douce vibration, un murmure inaudible. Etait-ce des fantômes ?

— Mon enfant, Je t’accueille en Mon sein pour que tu sentes la puissance de ce que tu t’apprêtes à détruire. Ton désir est donc de retourner au néant ?

— Je… Il m’a dit que… se défendit Mike.

— Et tu l’as écouté ? Tu l’as cru ? coupa la voix.

L'une des arabesques chatoyantes qui tournoyaient se détacha et frôla le jeune homme. Elle amorça un virage et revint à la charge, se teintant de rouge luminescent et traversa Mike au niveau du buste.

Non, Il ne laissera pas ces créations libres de leurs actes.

Il frémit.

Cette pensée était-elle la sienne ?

— Mickaël, tu souhaites donc Me détruire, Moi qui suis à l’origine de tout ?

L’intensité du blanc autour devint plus forte, presque éblouissante. Mike se sentit baigné d'une douce chaleur, lui rappelant le sein de sa mère.

— Vois la beauté de Mon monde…

La toile vierge immatérielle se perça, comme un nuage se serait dissipé.  En contrebas, à des centaines de milliers de kilomètres, la planète arborait des spirales de nuages paresseux, s’enroulant autour d’océans entrecoupés de plaques verdoyantes.

Les pieds sur Terre, il était impossible d’apprécier dans sa totalité la beauté et la complexité de ce que y avait été construit et développé. Aussi belle fut la planète, Mickaël n’avait jamais su l’apprécier à sa juste valeur. Lui comme les autres étaient trop égocentrés pour s'y intéresser vraiment. Mais aussi somptueuse aurait-elle pu lui apparaitre, cette vision purement terrestre était limitée, tronquée, faussée. Vue d’ici — du ciel ? — il percevait le monde d’une façon complètement nouvelle.

Il percevait les différences de texture dans les décors naturels, les reliefs, les collines et les hauteurs vertigineuses enneigées, les étendues vertes ou ocres qui s’étendaient sur des milliers des kilomètres, le bruissement des feuilles contre le vent ou des gouttes contre la roche, les parfums enivrants des bois humides ou des cavités pierreuses, des fleurs sucrées au goût de miel.

Toutes les créatures vivantes apparaissaient également dans toute leur magnificence : évoluant à la surface, dans les cieux et dans sous-bassements de cette planète splendide. Elles se heurtaient les unes aux autres, échangeant bruits, mots, odeurs et gestes, foisonnant et se reproduisant. Elles entraient en symbiose avec leur environnement, pour y interférer jusqu’à le modeler et être modelés par cet échange perpétuel.

Mickaël fut saisi. Son corps était engourdi d'une étrange sensation. Il réalisa l’amplitude de l’œuvre qu’il contemplait, la vie qui y abondait en toute quiétude. Rasséréné, l'état dans lequel il se sentait lui rappela ses vagues consommations de marijuana.

— Vois la paix de cet univers, vois que tout cohabite et se nourrit mutuellement. Les bêtes sont organisées en un écosystème parfait qui fonctionne harmonieusement avec les végétaux. L’Homme nourrit la terre pour qu’elle le nourrisse à son tour.

Mike fronça les sourcils et l'émanation rougeoyante tourbillonna une nouvelle fois autour de lui, s’enroulant autour de ses jambes avant de repartir, chassée par une bourrasque immatérielle.

Ne te laisse pas manipuler !

La sensation engourdissante s'évanouit une seconde.

— Et vous, vous vous nourrissez d’eux… s’entendit-il prononcer.

Il regretta presqu’aussitôt avoir dit cela, car un picotement glacial emplit l’atmosphère autour de lui.

— Ainsi va le monde, trancha la voix.

Il était gelé maintenant. La température avait brusquement chuté.

Il chercha son souffle, inquiet.

Espérant se réchauffer, il enfouit les mains dans ses poches et réalisa que l’une d’elle contenait quelque chose.

C'est ça ! Souviens-toi !

Qui lui soufflait ces injonctions ?

Tout son corps se crispait sous le froid qui se faisait plus mordant. Sa mémoire s'éveillait, sortant d'une léthargie imposée. L'autonomie. Pourquoi ce mot tournait-il en boucle dans sa tête ?

La vapeur rougeoyante revint, insistante et tourna autour de lui.

Tu y presque, plus qu'une étape... tu peux la matérialiser ! Tu as juste à le souhaiter ! La réalité est ici modelable, ce n'est pas comme sur T...

Un mini tourbillon expulsa l'ectoplasme vers l'infini, où il disparut.

Mike serra ses doigts autour de l'objet, le tâtant, le manipulant. Il l'extirpa finalement, mais avant qu’il ait pu voir ce que c’était, le froid redoubla. Il devint palpable, l’air s'était rempli d’une multitude d’aiguilles perçantes. 

— Tu le regretteras, Mickaël.

La forme rectangulaire dans sa paume le démangeait, ses doigts en dessinaient le contour, y devinant un rebord... Une touche géante ?

Lentement, il baissa les yeux…

— Tu ne vas pas faire ça, je le sais, éructa la voix caverneuse.

Un bouton, c’était un bouton, lisse et brillant, blanc, sur lequel était simplement écrit…

— Mickaël !

RESET.

— MICKAËL ! J'aurais du te...

Il appuya.

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