25.

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  • Akissambo, permets-moi de te déranger.
  • Entre, Dousso.

L'intéressé s'introduisit dans un endroit parmi les moins connus du palais, à savoir l'espace réservé du souverain d'Awalassi. Il s'agissait d'une gigantesque pièce richement décorée, lumineuse et bien aérée.

Il trouva Akissambo debout et les bras croisés, sur une sorte de petite terrasse à ciel ouvert, en train de contempler la Cité Royale qui s'étendait à perte de vue.

  • Que veux-tu ? lui demanda le roi sans le regarder.

Dousso s'humecta les lèvres, avant de répondre :

  • Je ne sais pas comment aborder les choses, mais cela concerne ton épouse.

Son interlocuteur tourna lentement la tête dans sa direction, l'air menaçant.

  • Je te suggère de prendre garde à ce que tu vas dire, Dousso.
  • Ourys t'a bien dit qu'elle allait rendre visite à son frère à Kamass, n'est-ce pas ? Et bien, sache qu'il n'en est rien.

Akissambo, cette fois, ne put s'empêcher de dévisager son conseiller spécial, avec un air intrigué.

  • Que veux-tu dire ?
  • Elle est en réalité à Akissi. Chez ton pire ennemi.
  • Tu mens !

Le roi fut tenté de l'empoigner par la peau du cou, mais se retint.

  • Redis une chose pareille et tu le regretteras.
  • C'est la pure vérité, Akissambo. Au fond de toi, tu le sais, ajouta Dousso en le regardant droit dans les yeux.

Il vit son interlocuteur toucher machinalement sa balafre, puis pousser un soupir en fermant les yeux.

  • Ourys est en train de s'allier secrètement avec Sandjiry. Celui à qui elle était promise, avant de t'épouser. Celui qui t'a marqué à vie avec son poignard !
  • Assez !

Pour la première fois depuis qu'il connaissait le souverain, Dousso ressentit une réelle frayeur. Il se rappela trop tard qu'Akissambo était capable de tuer quelqu'un dans un moment de colère intense.

  • Calme-toi, lui dit le vieil homme. Ce que je t'ai dit à l'instant, c'est uniquement pour que tu puisses rester sur tes gardes. Rappelle-toi que tu as épousé la fille de Sako Gabega. Qui te dit que ce n'est pas elle qui est en train de te rendre malade, par le biais du remède qu'elle te prépare chaque jour ? N'as-tu pas remarqué que ton mal a débuté peu après que tu l'as épousée ?

Akissambo ne répondit pas et son regard se porta à nouveau vers la Cité. Dousso se hasarda à poursuivre :

  • C'est une manipulatrice. Dans ma vision du futur, j'ai vu qu'elle te trahira, je ne sais pas dans quel contexte, mais...
  • Sors, Dousso. Et ne remets plus jamais les pieds dans ce palais et à Awalassi, au risque de te faire exécuter. J'espère avoir été assez clair.
  • Mais...
  • Dehors ! Tu n'es qu'un vieil intrigant et le manipulateur, c'est toi.

Dousso fit de son mieux pour dissimuler sa stupeur, mais également sa frustration croissante. Il avait cherché à monter de manière astucieuse le souverain contre sa femme, mais il se rendit compte qu'il avait lamentablement échoué, en retournant la situation contre lui-même.

  • Bien, dit-il simplement en hochant la tête, avant de quitter l'espace privé.

Akissambo se retrouva seul, les yeux toujours rivés sur le paysage en face de lui. Les lèvres frémissantes, son visage à lui seul exprimait une colère qu'il n'avait pas éprouvé depuis de longues années. Il était temps de prendre les dispositions nécessaires pour régler définitivement un problème qu'il aurait dû éradiquer il y a bien longtemps.

L'Akatys nommé Aguédé était le garde chargé de surveiller, durant la journée, la pièce où se trouvait enfermé dans les sous-sols du palais un prisonnier bien particulier. Sa surprise fut grande de voir le roi apparaître au bout du couloir en pierre taillée - dans lequel il se trouvait stationné - et venir dans sa direction. Il mit un genou à terre devant Akissambo, en baissant légèrement la tête.

  • Relève-toi, lui intima ce dernier. Et ouvre-moi cette pièce, j'ai besoin de m'entretenir avec le prisonnier.
  • Oui, ô Roi, dit Aguédé en s'exécutant. Dois-je t'accompagner à l'int...
  • Non. Reste ici et n'ouvre à personne. Tu m'entends ? J'ai bien dis, à personne.
  • Oui, ô Roi. Personne n'entrera ici, sois rassuré.
  • Bien.

Une petite torche murale éclairait assez mal la pièce exiguë et mal aérée. Un homme était assis non loin, sur une vieille natte en raphia, qui lui servait également de lit.

  • Bonjour, Okusso.

L'intéressé se redressa vivement. Il avait désormais une légère barbe et les cheveux quelques peu hirsutes par endroits. Les yeux plissés, il reconnut à la lueur de la torche le visage de l'homme qui l'avait injustement mis en prison et son visage exprima aussitôt de la haine.

  • Akissambo ? Toi, ici ? Je vais te...
  • Chut !

Interloqué, l'ancien chef des armées vit son interlocuteur lui faire un signe de la main, afin qu'il se taise. Aussitôt, le souverain prit une inspiration et crispa son visage. Sous les yeux incrédules d'Okusso, le corps d'Akissambo se transforma, pour laisser la place à celui de la dernière personne qu'il aurait imaginé voir ici.

  • Dousso ! Mais... mais co... comment...
  • Parle moins fort, lui murmura le vieil oracle. J'ai pris l'apparence d'Akissambo pour pouvoir m'introduire ici et te parler.
  • Je... je ne comprends pas. Pour quelle raison ? Et comment as-tu réussi à...
  • Cela fait partie de mes pouvoirs, tu le comprendras bien assez vite. Pour quelle raison ? Pour te faire évader.
  • Quoi ?
  • Okusso, je t'ai connu plus perspicace par le passé.
  • Pourquoi veux-tu m'aider à me faire évader ? insista l'ancien chef des armées en toisant son interlocuteur. Nous n'avons jamais été des amis auparavant et tu n'auras rien y gagner.
  • Oh si, détrompes-toi, lui assura Dousso avec un sourire énigmatique.
  • Que veux-tu dire ?
  • Akissambo vient de me bannir à vie du palais et de la Cité royale. Alors que je cherchais juste à le mettre en garde contre cette fieffée menteuse qu'est Ourys. Il n'a rien voulu entendre et m'a injustement chassé, alors que j'ai toujours été loyal envers lui depuis toutes ces années. Tout comme toi.

Okusso humecta longuement ses lèvres sèches, puis croisa ses bras musclés.

  • J'aurais pu le tuer de mes propres mains s'il se tenait ici, à ta place, grommela-t-il avec un air qui en disait long sur ses intentions.
  • C'est encore possible d'assouvir ta vengeance. Mais il faudra œuvrer de manière intelligente.
  • Quel est ton plan ?
  • Tout d'abord, comme je viens de te le dire à l'instant, il s'agit de te faire évader du palais dans un premier temps.
  • Et comment comptes-tu t'y prendre ? Tu as dû croiser une quinzaine de gardes en venant ici, dont celui qui est devant ma porte.
  • Tu dois apprendre à commencer à me faire confiance, ainsi qu'en mes talents, lui suggéra Dousso, avec un sourire en coin. Donc, une fois que nous serons hors de la Cité, nous devrons peaufiner un plan d'action à long terme, afin de mettre fin au règne d'Akissambo une bonne fois pour toutes. Et que tu prennes sa place au pouvoir.
  • Moi ?
  • Oui, toi, lui affirma Dousso en le regardant droit dans les yeux. Tu es né pour commander et cette place te revient de droit. Il se trouve qu'Akissambo n'a actuellement aucun héritier et son parent le plus proche, à savoir Meylani, est toujours en cavale. Son trône sans successeur te revient de droit.

Okusso semblait évaluer mentalement cette possibilité, mais restait néanmoins dubitatif quant à la mise en œuvre d'un projet aussi insensé.

  • Les Akatys constituent une armée de plus de deux mille hommes, Dousso. Il nous sera impossible à nous seuls de les neutraliser, même avec l'aide de tes pouvoirs, opina-t-il.
  • Nous ne serons pas seuls, Okusso.
  • Que veux-tu dire ?
  • Actuellement, un allié que j'ai réussi à convaincre tout à l'heure nous attend derrière cette porte. Je pense bien qu'il a d'ores et déjà neutralisé le garde Akatys qui s'y trouvait, comme je le lui avais ordonné.
  • De qui s'agit-il ?
  • Tu le verras de tes propres yeux dans un instant. Nous serons donc trois en quittant Awalassi et nous serons des milliers en revenant investir, quand le moment sera venu, la Cité royale. Notre armée sera constituée de rebelles et de clans de grandes envergures, ayant des contentieux avec notre souverain actuel. Nous combattrons ensemble Akissambo et son armée, nous allons sortir victorieux de cette bataille et tu deviendras le nouveau roi d'Awalassi. Tu me donneras une place privilégiée à tes côtés, à savoir celle d'être ton futur intendant et conseiller spécial.
  • Cela me va. Tu auras même plus, vu tes efforts déployés pour notre objectif commun, à savoir celui d'anéantir Akissambo.
  • Je savais que mon plan allait te plaire, lui dit Dousso avec un sourire. Bien, ne traînons pas ici plus longtemps.

En sortant, Okusso vit Alkiley penché sur Aguédé, dont il venait de briser la nuque avec sa nouvelle main en argent pur.

  • Chef Okusso, je suis heureux de te revoir, le salua-t-il en se redressant.
  • Alkiley ? Je pensais que tu ne pouvais plus parler, en raison de ta mâchoire en miettes ! Et... ta main...
  • Dousso m'a aidé à me soigner avec ses pouvoirs. J'ai malheureusement dû être amputé de la main droite, ajouta-t-il d'une voix sombre.
  • Cette main en argent fait partie des prototypes créés par Ourys dans son atelier secret, expliqua le vieil homme. J'ai pu la subtiliser en son absence et j'ai estimé qu'elle serait bien utile à notre fidèle Lieutenant, qui a su l'expérimenter et s'exercer avec depuis lors. Et je pense que cela a porté ses fruits, ajouta-t-il en avisant le cadavre d'Aguédé.
  • Je serais capable de tuer un lion avec cette main, assura Alkiley avec un sourire mauvais, tout en serrant son poing métallique étincelant. Et tuer Ama le Stratège, le moment venu, pour me venger de ce qu'il m'a fait.
  • L'occasion se présentera tôt ou tard, lui assura Dousso.

Il s'adressa à Okusso :

  • J'ai proposé à Alkiley d'être ton nouveau chef des armées lorsque tu seras sur le trône. Es-tu d'accord ?
  • Bien évidemment. Il a toujours été mon second et mon meilleur lieutenant.

Alkiley ne put s'empêcher de montrer une certaine jubilation.

  • Dès que ce garde sera retrouvé mort, c'est sûr et certain qu'Akissambo enverra immédiatement les trois quarts des Akatys à nos trousses, analysa Okusso.
  • Laisse-moi faire, lui dit Dousso en s'acroupissant auprès du corps sans vie d'Aguédé.

Il ferma les yeux et tendit sa main au-dessus de l'Akatys. Soudain, sa main se mit à trembloter, tout comme le corps d'Aguédé qui prit peu à peu l'apparence d'Okusso. Ce dernier ne masquait pas son admiration et une certaine frayeur par rapport aux pouvoirs insoupçonnés du vieil homme.

  • C'est incroyable, murmura l'ancien chef des armées.
  • Mettez-le à l'intérieur de la pièce, leur ordonna Dousso. Je vais faire répandre la rumeur comme quoi Aguédé a tué Okusso, avant de prendre la fuite. Alkiley avait d'ores et déjà demandé une permission pour se rendre dans son village natal, ce qui est une heureuse coïncidence. En ce qui me concerne, je suis censé avoir quitté la Cité royale depuis un bon moment. Ainsi, personne ne saura jamais ce qui s'est passé ici.
  • Et comment allons-nous sortir ? demanda Okusso. Je te rappelle qu'il y a des gardes dans...
  • Comme tu le sais, je n'ai pas mon pareil pour connaître le moindre recoin de ce palais, l'interrompit le vieil homme avec un air énigmatique. Avant de venir te trouver ici, j'ai montré à Alkiley un couloir secret pour entrer ici sans être vu. Nous allons donc emprunter le même chemin pour quitter les lieux.
  • Je vois que tu as pensé à tout, même en si peu de temps, admit Okusso. Et une fois hors d'Awalassi, où allons-nous commencer notre voyage afin de recruter des troupes et convaincre des alliés ?
  • À Alkoulbé. J'ai cru entendre, selon des sources fiables, qu'une jeune cheffe d'une communauté de mercenaires akawoussis cherche à venger son frère. Celui-ci a été tué récemment par l'awoularé de classe exceptionnelle que tes hommes étaient censés appréhender, à Mawolo, avec sa tante. Il s'agira de convaincre cette cheffe de se rallier à notre plan d'action avec ses hommes de main. Et si l'occasion se présente, nous capturerons cette maudite awoularé afin de la neutraliser définitivement... ou l'utiliser à notre avantage.

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