23.

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Le jour ne s'était pas encore levé et l'environnement autour d'eux semblait inhospitalier, malgré la végétation luxuriante qui poussait sur place et de manière anarchique. De loin, les vagues de la mer d'Akiseba se fracassaient à un rythme discontinu sur les falaises qui bordait le littoral. L'air marin se faisait sentir et un vent frais soufflait continuellement, tout en faisant légèrement frissonner Ourys dans sa nouvelle tenue de combat. Elle l'avait elle-même élaborée, ce qui la confortait dans sa nouvelle fonction en tant que cheffe des armées.

Elle descendit de sa monture et s'approcha d'une des falaises. En plissant les yeux, elle aperçut de son promontoire des lumières éclairer une vaste zone non loin et elle sut aussitôt qu'ils se rapprochaient du village qu'ils cherchaient à rallier discrètement depuis la veille. Elle esquissa un sourire étrange, avant de remonter sur son cheval. Elle s'approcha de son escorte, avant de leur murmurer :

  • Akatys, nous sommes bientôt arrivés. Restez sur vos gardes ! Comme je vous l'ai précisé hier avant notre départ, les Akissians sont imprévisibles et leur réputation les précède. Ogo va nous devancer. Grâce à son pouvoir, il va nous permettre d'éviter les nombreux pièges qui sont susceptibles de se trouver sur notre route.

Ils acquiescèrent d'un même hochement de tête, pour éviter que le son de leur voix pût alerter les gardiens du clan qui pourraient se trouver dans les parages. Ourys, satisfaite, leur fit signe d'avancer. Il faut préciser qu'une des caractéristiques des chevaux de la Cité royale d'Awalassi consistait en ce qu'ils pouvaient se mouvoir d'une manière étonnamment silencieuse, même lorsqu'ils étaient lancés au triple galop. Seul un awoularé détenant un pouvoir d'ouïe extrêmement développé pourrait les détecter sur une grande distance.

Le dénommé Ogo avait le visage crispé du fait d'une concentration extrême. Il était capable de discerner à travers des éléments, des structures et des objets, d'éventuels pièges ou ennemis retranchés derrière. Le long du parcours, il faisait brusquement bouger son bras ici et là, pour indiquer à son groupe les endroits précis où leur montures ne devaient pas passer. Auquel cas, ils savaient qu'ils risquaient de se retrouver empalés ou amputés par un objet tranchant, qui pourrait fuser de nulle part.

Le ciel s'éclaircissait peu à peu. En raison de la saison des pluies, le ciel pourpre laissa place à un amoncellement de gros nuages noirs et l'air alentour se rafraîchit soudain. Un orage semblait prêt à éclater et à déverser des torrents de pluie sur toute la région. Fort heureusement pour eux, ils étaient désormais arrivés aux abords du village, éclairé par de nombreuses grandes torches plantées à même le sol. Ourys s'apprêtaient à descendre, lorsqu'une longue lance se planta au-devant de sa monture, qui se cambra soudain de terreur.

La reine faillit être éjectée de son cheval, qu'elle parvint à calmer avec un certain sang-froid, tandis qu'un groupe constitué d'une vingtaine de guerriers les encercla. Elle fit signe aux Akatys de rester calme et vit arriver dans sa direction un nain à la mine patibulaire. Sa musculature, son visage bardé de cicatrices et son air autoritaire indiquaient qu'il s'agissait probablement du chef des gardiens qui protégeaient le clan ainsi que le gigantesque village des menaces extérieures.

  • Qui êtes-vous ? vociféra-t-il en récupérant sa lance.
  • Ne me reconnais-tu pas ? rétorqua-t-elle sans dissimuler son agacement.

Le jeune nain sembla intrigué, tout en restant méfiant.

  • Je suis la reine Ourys d'Awalassi.
  • Qu'est-ce qui me prouve que tu es bien la reine ? Je ne suis jamais allé dans la Cité royale ! Tu peux très bien être une mercenaire avec ton groupe !

Ogo, sur sa monture, ne put se retenir de sortir son sabre en argent de son fourreau. Il fut aussitôt imité par les gardiens et leur chef, qui semblaient tous prêts à en découdre.

  • Du calme, du calme, tous ! tonna Ourys.

Elle se tourna vers Ogo, l'air furieux.

  • Et toi, remets ton arme à sa place.

L'air furieux, il finit par obtempérer et la reine s'adressa à nouveau au jeune nain :

  • Approche-toi et regarde cette bague, lui intima-t-elle en levant la main. Il s'agit de la bague en or massif offerte par mon époux, le roi Akissambo, lorsqu'il m'a épousé. Les inscriptions qui y sont gravées sont en réalité mon nom et le sien, avec la technique des forgerons du palais de la Cité royale, que tu ne peux trouver nulle part ailleurs.

Il s'approcha davantage, tout en restant sur ses gardes et suivi de la plupart de ses hommes. La reine retira le bijou de son majeur et la lui tendit. Il saisit brutalement la bague en or puis l'observa attentivement.

  • Je souhaiterais m'entretenir en urgence avec Sandjiry, expliqua-t-elle. Mets-le au courant de mon arrivée et de ma requête. Il ne va certainement pas te croire, raison pour laquelle tu peux lui montrer ma bague, avant que tu ne me la rendes, bien entendu. Cela ne me dérange pas d'attendre ici. Partout où je vais, d'ordinaire, je ne me fais pas annoncer et j'aurais pu faire exécuter sans hésiter ton chef de clan rien que pour cela. Mais je dois lui parler, c'est important.

Le jeune nain finit par acquiescer et disparut à l'intérieur du village. Il revint au bout d'un moment et remit à la reine sa bague :

  • Tu peux venir avec moi, mais tes hommes devront rester ici.
  • Très bien.

L'endroit semblait désert, même si Ourys put discerner à travers l'ouverture de certaines cases des frimousses de jeunes enfants et de leurs mères, qui disparaissaient comme par magie lorsqu'elle tournait la tête dans leur direction. Elle suivait d'un pas vif le chef des gardiens, qui s'arrêta quelques instants plus tard devant une gigantesque habitation, avant d'annoncer :

  • C'est ici !
  • Bien. Que l'on ne nous dérange sous aucun prétexte.
  • Oui, reine Ourys. Je vais faire en sorte que tes hommes aient à boire et à manger en attendant, sur les ordres de notre vénéré chef.

Il s'éloigna et Ourys entra dans l'habitation avec une certaine hésitation, un sentiment qu'elle ressentait très rarement du fait de son tempérament.

  • Si Kaladé ne m'avait pas montré la bague, je n'y aurais pas cru ! s'écria une voix que la reine n'avait pas entendu depuis longtemps.
  • Sandjiry, tu n'as pas changé à ce que je vois, murmura-t-elle en le regardant droit dans les yeux.

Le chef des Akissians s'avança vers elle et Ourys ne peut s'empêcher de ressentir une chaleur étrange se diffuser dans son corps tout entier. Il la dépassait de trois bonnes têtes et son visage, marqué par de nombreuses scarifications, n'avait pas pris une ride - chose étrange étant donné qu'il devait avoir le même âge qu'Akissambo. Ses yeux gris clairs, tels un ciel d'orage, retenaient l'attention de quinconque le regardait pour la première fois, ainsi que sa musculature impressionnante. Il était torse nu et avait revêtu un pagne traditionnel noir avec des motifs brodés d'or.

  • Tu dois être affamée après un si long voyage, lui dit-il en lui montrant de la main une grande natte chargée de victuailles. J'étais sur le point de prendre mon premier repas de la journée, tu es la bienvenue. Nous pourrons parler ensuite, ajouta-t-il en prenant place sur le tapis traditionnel.

Elle finit par accepter en aquiesçant silencieusement, car la faim la tenaillait depuis l'aube puis s'assit à son tour, en face de son hôte. Une servante surgit avec deux bols en terre cuite, l'une remplie de noix de cola, l'autre avec du lait caillé. Comme il était d'usage lorsqu'un chef de clan ou de village recevait un invité de marque, Ourys fut obligée, par politesse, de croquer une des noix, avant de boire, avec une certaine appréhension, quelques gorgées de lait frais. Elle constata qu'il la fixait intensément du regard.

Elle reporta son attention sur la nourriture posée devant elle. Ensemble, ils mangèrent en silence.

  • Ourys, Akissambo sait-il que tu es ici ? lui demanda-t-il brusquement au bout d'un moment.
  • S'il l'apprenait, il serait capable de me faire trancher la tête et la planter au bout d'une pique au coucher du soleil, aux abords de la Cité royale.
  • C'est ce que je me disais également, opina-il avec un léger sourire en coin, en buvant une infusion d'hibiscus rouge.
  • Je lui ai dis que j'allais rendre visite à mon frère, à Kamass.
  • Et que me vaut l'honneur de ta visite après tout ce temps ?
  • J'ai besoin de toi pour... pour un projet qui vise à anéantir une bonne fois pour toutes les awoularés.
  • Il fut un temps où moi aussi j'avais besoin de toi. Et tu m'as considérablement déçu.
  • Je l'admets, je n'ai pas été franche avec toi et...
  • Nous étions fiancés par alliance, reprit-il avec une légère dureté dans la voix.

Ses yeux clairs semblaient désormais obscurcis par une colère non dissimulée.

  • Tu as finalement préféré me trahir avec ton frère ! Pour aller épouser Akissambo, qui avait plus à t'offrir, n'est-ce pas ? Le pouvoir, le confort, la luxure et, à ce que je vois, la possibilité de conduire tes hommes au combat.

Ourys, quelque peu décontenancée par ce flot de reproches inattendu, soutint néanmoins le regard de son interlocuteur et le laissa poursuivre sa diatribe.

  • Qu'a-t-il de plus que moi ? J'aurais pu te rendre heureuse et ensemble, nous aurions pu conquérir le monde.
  • Akissambo n'est pas celui que tu penses, Sandjiry.
  • Ah oui ? s'étonna-t-il en haussant un sourcil. Je lui ai pourtant démontré que j'étais plus fort que lui.
  • En le défigurant ? Penses-tu que c'était la meilleure manière de lui prouver que tu étais meilleur que lui au combat ? l'interrogea-t-elle, les yeux plissés.
  • Il m'avait défié ce jour-là, pendant cette bataille qui nous opposait non loin d'ici, répondit-il sur un ton calme. Il cherchait le moyen de se débarasser définitivement de moi, car je représentais une menace pour lui, étant donné la particularité de mes pouvoirs et ceux de mon clan. Il savait également que j'étais un rival sérieux, en ce qui te concerne. Malheureusement, il a été trop confiant. Désormais, à chaque instant de sa vie, cette balafre va lui rappeler à mon beau souvenir, ajouta-t-il avant de boire à nouveau son infusion d'hibiscus.
  • Sandjiry, je te prie de laisser de côté tout ce qui nous oppose, il en va de notre survie. Les awoularés deviennent de plus en plus dangereux et incontrôlables.
  • Ils l'ont toujours été, Ourys. C'est la raison pour laquelle mon clan et les akawoussis les combattent depuis des siècles.
  • Actuellement, il y a un cas de figure inattendu.
  • Que veux-tu dire ?

La jeune reine s'humecta les lèvres, réticente à dévoiler son plan d'action à leur pire ennemi. Mais elle parvint à se convaincre qu'elle n'avait pas trop le choix. Elle lui expliqua brièvement les derniers évènements survenus dans le royaume, sans omettre le moindre détail.

  • Si je comprends bien, cette awoularé est capable à elle seule de neutraliser les akawoussis ? Cela demeure impossible ! Jusqu'à présent, nous sommes les seuls à pouvoirs manipuler leurs mémoires, de détruire ou voler leurs pouvoirs ! Aucun awoularé n'est capable du même prodige. Ce Dousso est-il fiable ?
  • Hélas, oui, je dois le reconnaître.
  • Et qu'attends-tu de moi ? lui demanda-t-il d'une voix tendue, en fronçant les sourcils.
  • J'ai besoin d'accéder à ton esprit, afin de mieux comprendre l'un de tes pouvoirs en particulier.
  • Quoi ?
  • Sandjiry, je ne suis pas là pour te nuire, je sais que tes gardiens me tueront aussitôt si ça devait arriver. J'ai besoin de comprendre comment les Akissians parviennent à voler les pouvoirs des awoularés.

Il la dévisagea pendant un court instant avant d'arborer un sourire étrange.

  • Tu veux accéder mentalement à mon pouvoir, afin de créer avec le tien par la suite un mécanisme qui va reproduire le mode de fonctionnement des Akissians, murmura-t-il. Ce qui va permettre à Akissambo de voler les aptitudes de cette jeune awoularé pour ensuite devenir surpuissant et régner en maître sur le continent et dans le reste du monde.
  • Tu as su conserver ton don analytique à ce que je vois.
  • Et pourquoi devrais-je t'aider, ainsi que mon pire ennemi, à obtenir ce que vous voulez ? Qu'est-ce que cela va m'apporter ? Je dois également te préciser une chose, Ourys. Voler les pouvoirs d'un awoularé n'est pas anodin. Un Akissian frôle la mort dès l'instant où il s'accapare leur esprit ou leurs dons. Akissambo et cette awoularé pourraient très bien perdre la vie durant ce transfert, s'il décide de s'emparer de ses aptitudes exceptionnelles.
  • Je connais les risques, rétorqua-t-elle. Cependant, ils méritent d'être encourus.
  • Je n'ai rien à y gagner en te permettant de décortiquer mes pouvoirs et ceux de mon clan. Au contraire, cela va juste permettre à ton roi de nous nuire une bonne fois pour toutes, ainsi qu'à l'ensemble de ses ennemis !

Ourys le regarda silencieusement et lui prit la main avec douceur.

  • Et si, comme garantie, dans le cas où tu acceptes de me venir en aide, je te promets d'obtenir la richesse la plus inestimable qui soit ?
  • De quoi parles-tu ?
  • Du trône d'Akissambo. Puis de conquérir ensuite le continent et le reste du monde ensemble, avec des pouvoirs grandioses.

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