21.

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Awilé se trouvait de nouveau dans l'atelier de Gawa. Avec ses assistantes, elles lui revêtaient une nouvelle tenue de combat. Il s'agissait d'une copie de la précédente, à la différence près que celle-ci était recouverte d'argent pur, avec davantage d'ornements en relief.

Adoba entra brusquement dans la case et Awilé remarqua qu'il avait porté sa tenue d'apparat. Il était torse nu et son pagne était brodé de fils d'or. La peau d'un léopard était accrochée sur son épaule droite.

Comment puis-je le trouver séduisant, alors que je suis sur le point de mourir ? se demanda-elle, en regardant par la suite de l'autre côté du mur.

  • Laissez-nous seuls, ordonna-t-il à Gawa et ses ouvrières.

Elles obtempérèrent et sortirent en silence. Il s'avança vers Awilé et se tint en face d'elle.

  • Te sens-tu prête ? s'enquit-il en la regardant droit dans les yeux.
  • Ça t'intéresse, maintenant ? rétorqua-t-elle sur un ton taquin, en haussant un sourcil. D'ailleurs, j'aimerais savoir comment Okowalé a pu organiser le début du tournoi depuis ce matin et à notre insu !
  • Tout d'abord, ce n'est pas moi que tu dois affronter, Awilé, vu le ton que tu adoptes avec moi. Ensuite, pour ce qui est de la reine, elle a fait en sorte que la foule soit silencieuse dans l'arène royale, qui se trouve de l'autre côté du palais, pour qu'on ne se doute de rien.
  • Elle est aussi ingénieuse que dangereuse. De toute manière, je n'ai plus trop le choix. Je m'efforcerai d'employer dans ce combat tout ce que tu m'as appris aujourd'hui.

Adoba regarda la jeune femme d'un air admiratif.

  • J'ai entraîné au cours de ma vie tellement de guerriers chevronnés que je ne les compte plus, murmura-t-il. Mais tu es probablement la guerrière la plus courageuse que j'aie jamais rencontrée. D'autres trembleraient de peur face à une telle situation, mais tu as en toi... cette paix intérieure, cette témérité qui font de toi une vraie awoularé.

Awilé fixa son interlocuteur, légèrement sidérée.

  • Adoba, que...
  • Mets-toi à genoux, lui intima-t-il.
  • Quoi ?
  • Fais-ce que je te dis. Avant qu'il ne soit trop tard. Et ne bouge surtout pas.

Elle s'exécuta avec une certaine appréhension et il tendit son bras en direction du visage de la jeune femme. Il ferma lentement les yeux et son visage se crispa, en raison d'une concentration extrême. Une fumée orangée sortit de sa main, qui trembla d'une telle manière qu'elle sembla se démultiplier. Soudain, la fumée s'agrandit et s'étendit sur le corps d'Awilé, qui ressentit une chaleur intense se diffuser à l'intérieur. Des échos de pensées d'anonymes entrecoupés, ainsi que leurs émotions diverses et variées l'envahirent tout entière. Elle plaqua les mains sur ses tempes pour canaliser toutes ces intrusions mentales et ses yeux prirent une teinte mordorée. Au fur et à mesure, la fumée orange se dissipa puis disparut.

Adoba abaissa sa main et Awilé, le souffle coupé et la tête baissée, posa ses mains sur le sol, en haletant. Ses yeux vairons reprirent leurs teintes naturelles et elle tourna la tête vers celui qui avait été son instructeur.

  • Pourquoi ? lui demanda-t-elle, sur un ton intrigué.

Il sembla réfléchir un moment à ce qu'il allait dire, avant de répondre :

  • J'ai beau être un akawoussi, je n'aime pas quand les choses ne sont pas faites dans les règles. La folie meurtrière de ma sœur obscurcit sa lucidité depuis un quart de siècle et ce n'est pas prêt de s'arranger.
  • Attends... Ta sœur ? Okowalé est... est ta sœur ?
  • Oui. Je suis son jeune frère.
  • Tu es donc le prince héritier ?
  • Les hommes de la famille royale d'Abamey ne sont pas censés prendre le pouvoir, expliqua-t-il. C'est pour cette raison que depuis des siècles, le Grand Tournoi est censé faire combattre à mort nos prisonnières dans des duels. Tout le monde sait pertinemment qu'aucune d'entre elles ne pourra en réchapper par la suite face au Grand Champion de l'année, qui les achève en général dès l'entame du combat. La souffrance endurées par les captives nourrit les pouvoirs des reines d'Abamey au fil des ans. C'est ce qui a poussé Okowalé, qui n'a pas de progéniture, à imaginer cette règle absurde, qui consiste à abdiquer et à céder le trône à la captive qui sortira victorieuse de cet évènement. J'espère que cette année, tu sauras créer un précédent.
  • Pourquoi cherches-tu à m'aider ainsi, Adoba ?

Il se rapprocha davantage de la jeune femme.

  • Awilé, tu dois savoir une chose. Ma mère était une akawoussi et je n'ai jamais connu mon père. J'ai découvert il y a quelques années, et tout à fait par hasard, qu'il était un awoularé. Ma mère l'a assassiné dans un accès de folie peu de temps avant ma naissance, sûrement en découvrant son secret. En réalité, les femmes de notre lignée héritent de cette maladie mentale, ainsi que nombre de pouvoirs maléfiques. C'est d'ailleurs ce qui a favorisé la mise en œuvre de ce tournoi dès 1202 par Akoumé Saga, la première reine de l'Île des coquillages.
  • Je suis... je suis vraiment désolée. Pour ton père.
  • Ne le sois pas. Tu avais vu juste ce matin. Le fait d'avoir volé tes pouvoirs, notamment tes dons empathiques, ont réveillé chez moi quelque chose que je n'avais jamais éprouvé auparavant.
  • Tes valeurs awoularés ?
  • Oui, admit-il dans un soupir. Je n'ai pas cessé d'affronter la bienveillance que tu dégages continuellement et qui se trouvait en réalité tapie dans un côté de mon esprit, et ce depuis ma naissance. J'ai été formaté pour faire le mal, mais je me rends compte trop tard que ce n'est pas la meilleure manière d'agir. Je me dois donc de rétablir certaines choses, à commencer par te rendre ce qui t'appartient.

Awilé acquiesça, en prenant compte de toute l'étendue et l'importance de ces révélations. Elle lui dit tout simplement :

  • Merci.
  • Tu ne me dois rien. Ce que je veux, c'est que tu te battes et que tu survives à ce combat. Il sera rude et je sais qu'à un moment donné, ton côté pacifiste t'intimera d'avoir pitié de Sékine. Mais sache qu'elle n'aura pas cette compassion à ton égard le moment venu. Prends donc la bonne décision, si l'occasion t'es offerte de la tuer.

Il porta sur elle un regard éloquent et il se dirigea ensuite vers l'entrée de la case. Au moment de sortir, il se retourna :

  • Tu as un choix plus étendu, cette fois, pour choisir tes armes. Je te conseille de prendre l'anneau en pierre brute incrusté de bronze. Utilise aussi ton bouclier, une épée, une dague, une lance et quelques poignards.
  • Très bien.
  • Utilise tes pouvoirs seulement si tu estimes que c'est nécessaire, sinon ils ne seront plus à leur pleine capacité avant la fin du combat, ce qui pourrait t'être défavorable. Fais tout ce qu'il faut pour rester en vie, d'accord ?
  • J'y compte bien, Adoba, affirma-t-elle sur un ton peu convaincu.

Un moment plus tard, deux Gardiens vinrent chercher Awilé dans l'atelier. Elle rangeait stratégiquement les armes recommandées par Adoba dans différentes poches et fourreaux de sa tenue de combat. Elle s'empara d'une lance et de son bouclier et, après une forte inspiration, suivit les guerriers en direction de l'arène.

Une fois sur place, une effervescence inouïe la frappa de plein fouet. La lueur des longues torches plantées à même le sol l'éblouirent ; les cris de la foule surexcitée ainsi que le bruit tonitruant des djembés, sur lesquels martelaient avec fureur des guerriers musiciens expérimentés, lui assourdissaient les sens. En tournant la tête, Awilé vit la reine assise sur un trône en or massif. Une peau de léopard recouvrait son épaule droite et son visage affichait une satisfaction sans bornes. Autour d'elle, sa cour et ses griots étaient assis sur de grandes nattes tissées de fils d'or et le visage confiant d'Adoba, qui se trouvait à côté de sa sœur, lui donna étrangement un courage indéfinissable.

Elle chercha des yeux Malick, mais il ne semblait pas être présent. Soudain, la foule se mit à hurler de plus belle, ce qui lui fit tourner la tête une nouvelle fois. Elle vit approcher en face d'elle Sékine, qui marchait d'un pas lourd mais décidé et qui semblait avoir physiquement doublé de proportions. Awilé constata qu'elle avait également changé son armement, qui était dorénavant composé d'objets coupants en tout genres, d'un fouet, ainsi que d'un sabre bien aiguisé. La jeune akawoussi se tint à quelques mètres d'elle et arbora un air des plus mauvais.

Okowalé se leva et un silence assourdissant s'installa. Elle regarda autour d'elle puis un homme, qui semblait être son griot et son rapporteur oral attitré, se redressa. La Reine lui murmura des paroles inaudibles. Il s'adressa ensuite à l'assemblée :

  • Habitants de l'île d'Abamey, par ma voix, votre reine vous remercie encore une fois d'assister à ce deux-cent-quarante-huitième Grand Tournoi. Cette année, un combat supplémentaire se déroulera sous vos yeux, qui déterminera qui des deux captives va affronter notre Grand Champion !

Les tambours résonnèrent et aussitôt, Malick fit son apparition. Il était torse nu mais avait revêtu un pagne brodé de fils d'or et de hautes chausses en bronze. Tout comme Adoba et Okowalé, la peau d'un félin tacheté recouvrait son épaule et curieusement, il ne présentait aucune arme sur lui. Awilé se rappela instantanément du pouvoir particulier qu'il avait utilisé sur la pirogue : la création intuitive d'armes astrales.

Il se dirigea vers l'emplacement où se trouvait Okowalé et prit place à côté d'Adoba. Son visage était de marbre et Awilé tenta désespérément d'établir une communication mentale avec lui, mais n'y parvint pas. L'esprit de Malick était toujours aussi fermé aux intrusions mentales et Awilé, avec un soupir, reporta son regard sur son opposante, dont les lèvres frémissantes et le visage hargneux indiquaient qu'elle était prête à en découdre.

  • Que le combat commence ! s'écria le griot, qui hocha vivement de la tête, avant de se rasseoir auprès de la reine.

Immédiatement et sous les encouragements de la foule, Sékine commença les hostilités en s'élançant vers Awilé, en tentant de lui donner des coups de poing. La jeune femme les esquiva instinctivement et repoussa son adversaire sur le côté, avant de sortir sa dague de son fourreau et de se mettre en position de combat. La captive akawoussi en fit autant et, brusquement, fit apparaître avec ses mains une longue lance enflammée qu'elle envoya aussitôt sur la jeune awoularé. Cette dernière mit un genou à terre, le souffle court, avant de réaliser que l'arme magique lui avait superficiellement brûlé l'épaule droite.

Sékine sortit son fouet de nulle part et le fit claquer à l'endroit précis où Awilé se trouvait un instant auparavant. Fort heureusement, une intuition avait poussé cette dernière à effectuer une roulade sur le côté, avant de se redresser complètement. La captive akawoussi lui envoya un poignard en argent, que la jeune femme parvint à repousser à l'aide de sa dague, qu'elle venait de ramasser. Elle se rendit compte qu'elle ne cherchait pas à blesser son assaillante, du fait que sa nature awoularé l'en empêchait. Elle ferma les yeux, se fit violence et lui projeta sa lance, ce qui mit à terre son assaillante. Les yeux écarquillés, Awilé vit avec horreur Sékine retirer d'une de ses jambes - et sans douleur apparente - l'arme effilée, avant de la jeter sur le côté.

Elle ressentait la haine féroce qui émanait de la jeune captive et tenta de lire sans ses pensées, en vain. Elle se rappela aussitôt que, tout comme Malick, il lui serait impossible d'entrer dans l'esprit de Sékine, du fait qu'elle était une akawoussi.

Elle décida de sortir son épée de son fourreau et le fouet de son adversaire s'y enroula. L'épée s'échappa des mains d'Awilé, qui vit trop tard la corde se serrer cette fois autour de son cou. Sékine, qui arborait un sourire mauvais, tira dessus avec force une nouvelle fois, dans le but de l'étrangler à distance. Awilé, le genou à terre, sentait qu'elle était sur le point de suffoquer et, sans réfléchir, sortit un de ses poignards et coupa le fouet. Elle lui envoya immédiatement la lame qu'elle tenait, et qui se planta dans l'avant-bras gauche de l'akawoussi. La bouche entrouverte, Awilé la regarda retirer le poignard, qu'elle réduisit en poudre dans son poing serré.

Sékine s'élança vers elle, avec un sabre à la main qu'elle comptait abattre sur la jeune femme, qui se protégea avec son bouclier. La captive musclée prit brutalement l'objet des mains de sa rivale, avant de le casser d'un coup sec sur son genou relevé. Elle bouscula l'awoularé afin de la faire tomber puis reprit son sabre, qui résonna en s'entrechoquant avec le grand anneau en bronze et en pierre taillé d'Awilé, qui, couchée sur le dos, le tenait au-dessus d'elle. Avec sa force phénoménale, Sékine saisit l'arme circulaire et la fit tournoyer en même temps que son adversaire, qui fut projetée quelques mètres plus loin.

L'akawoussi, d'un pas lourd, alla dans sa direction et lui empoigna la gorge, avant de la relever d'une seule main. Soudain - et toujours en renforçant sa prise - elle la plaqua brutalement, et ce plusieurs fois d'affilée sur le sol sablonneux, d'un côté à l'autre de l'arène. Awilé, le visage défiguré et en sang, sentit des os et des côtes se briser, sous la puissance des impacts.

Sékine semblait décidée à poursuivre le combat au corps à corps. Elle releva sans effort son infortunée adversaire et se positionna derrière elle en la maintenant debout, avant de lui enjamber sa jambe droite. Immédiatement, elle coinça le bras gauche d'Awilé sous son bras, afin de le placer derrière son propre dos et exerça une pression telle que la jeune awoularé ne pût s'empêcher d'émettre un cri de douleur. Son épaule était sur le point de se déboîter, ce qui encouragea son adversaire à serrer davantage sa prise.

À bout de forces, et en sentant les os de son abdomen et de son dos se briser en morceaux, elle fut tentée d'abandonner la lutte. Elle était si exténuée qu'elle était incapable d'activer le moindre pouvoir qui lui aurait permis de se sortir de cette situation sans issue. Awilé ferma lentement les yeux, attendant qu'une mort douloureuse vînt la délivrer de ce calvaire inextricable.

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