20.

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L'atmosphère était fraîche et le ciel indigo rempli d'étoiles commençait lentement à se teinter de flamboyant à l'horizon. Adoba se dirigea vers la case de l'awoularé, avec en main une calebasse d'eau glacée. Il se délectait à l'avance de la lui asperger sur tout le corps, afin de la réveiller de manière brutale.

Il se précipita à l'intérieur de la petite habitation et, à sa grande surprise, l'awoularé avait les yeux ouverts et semblait l'attendre depuis longtemps, avec un air serein. Non loin d'elle, le petit récipient en terre cuite comportant son repas de la veille était intact.

  • Tu n'as pas mangé ? lui demanda-t-il sur un ton bourru. Grossière erreur, awoularé.
  • Je m'appelle Awilé, lui signifia-t-elle en le regardant droit dans les yeux.
  • Je sais très bien comment tu t'appelles. Awoularé, Awilé, c'est du pareil au même. Tu aurais dû te sustenter, car dès à présent, ton estomac sera vide. Et ce jusqu'au Grand Tournoi demain matin !
  • Qu'importe ! rétorqua-t-elle. Cette bouillie de mil empeste le gorfa. Je connais bien cette plante. Elle est réputée pour rendre somnolent quiconque la consomme. Vous cherchez à m'affaiblir avant le tournoi, mais cela n'arrivera pas.

Adoba regarda la jeune femme avec intérêt et cette dernière, par réflexe, tenta d'activer son pouvoir de télépathie, mais sans succès.

C'est pas vrai, se dit-elle en poussant un léger soupir. Toute la nuit, elle s'était concentrée afin de déclencher d'éventuels pouvoirs qui lui aurait permis de se délivrer de ses entraves ; mais un mal de tête indescriptible l'avait saisi à chaque tentative.

Le jeune guerrier entreprit de dénouer les solides cordes qui lui nouaient les chevilles. Il ne la quittait pas du regard et elle soutint le sien du mieux qu'elle pût, en esquissant un sourire.

  • Qu'est-ce qui te fait sourire comme ça ? Tu cherches à m'envoûter ? lui demanda-t-il, l'air intrigué en se relevant.
  • Je n'ai plus ce pouvoir, heureusement pour toi.
  • Toujours aussi impertinente, à ce que je vois. Tu es comme la hyène qui tente le crocrodile. Mais sache que la chance ne dure jamais. La hyène finit tôt ou tard par se faire croquer.
  • Je saurais me le rappeler, lui dit-elle en aquiesçant lentement.
  • Debout ! Et surtout, ferme ta bouche. Tu parles trop.

Il la saisit brutalement par le bras et Awilé eut quelques difficultés à se tenir sur ses jambes, avant de fixer Adoba, qui semblait étrangement troublé. Il reprit ses esprits aussitôt en secouant sa tête et poussa Awilé hors de la case.

  • Avance ! vociféra-t-il.
  • Où va-t-on ?
  • Tais-toi ! Et si tu tentes quoi que ce soit pour t'échapper, sache que ta tête sera plantée sur un piquet avant la fin de la journée.

Il lui empoigna l'avant-bras de manière si vive qu'elle émit involontairement un cri de douleur, tandis qu'il l'entraînait dans une gigantesque case entièrement recouverte de coquillages. À l'intérieur, trois femmes avec une carrure impressionnante s'affairaient à confectionner des vêtements. Au fond de la case, et posés sur une grande table, se trouvaient une collection d'armes en tout genre, affûtées et mortelles.

Adoba jeta un regard menaçant vers sa prisonnière, avant de la faire tomber au sol. L'une des femmes, qui semblait être la maîtresse des lieux, se leva aussitôt de sa natte.

  • C'est quoi ça ? s'emporta-t-elle en désignant de la tête Awilé, qui se relevait non sans difficultés.
  • C'est l'awoularé, répondit son interlocuteur. Elle vient récupérer sa tenue de combat.
  • Pourquoi n'est-elle pas avec les autres ?
  • Gawa, tu poses trop de questions, rétorqua Adoba, dont la voix trahissait son agacement. Habillez-la immédiatement, ordre de notre reine !
  • Bien, bien, calme-toi, Adoba, obtempéra-t-elle en levant les mains.

Elle alla récupérer dans une malle en rotin un enchevêtrement complexe de morceaux de cuir et de métal, puis elle fit signe à ses deux assistantes de la suivre. L'une d'elle aida Gawa à monter pièce par pièce sur Awilé sa tenue de combat. Celle-ci était constituée d'un plastron sans manche en bronze, richement décoré d'ornements en relief ; il recouvrait sa poitrine et son dos et descendait jusqu'au bassin. Des manches en cuir, également recouvertes de bronze partaient de sous ses aisselles jusqu'à ses poignets. Cela laissait découvrir ses épaules, tout en lui permettant de bouger ses bras sans efforts. Un pagne en cuir complétait la tenue, ainsi que d'étranges chausses en bronze qu'elle n'avait encore jamais vues de sa vie et qui montaient jusqu'à ses genoux.

L'autre assistante de Gawa lui apposa sur un côté du visage un tatouage éphémère - fort heureusement pour elle - à base d'ocre rouge et de sable volcanique noir, mélangés chacun avec un jaune d'oeuf. Elle lui empoigna les cheveux afin de la coiffer et Awilé ne put s'empêcher d'intervenir :

  • Laisse-les tels qu'ils sont.
  • Les cheveux détachés vont te gêner pendant les entraînements et durant le Grand Tournoi, insista l'assistante, les sourcils froncés.
  • Je t'ordonne de les laisser tels quels !

Awilé se tourna vers la jeune femme, l'air mécontent, mais il ne s'agissait en réalité que d'une parade, afin de l'intimider. L'air hésitant, celle-ci jeta un oeil en direction d'Adoba, qui ne détachait pas ses yeux de la jeune awoularé. Il finit par hocher la tête et l'assistante s'éloigna, légèrement furieuse.

  • Je vois que tu as de l'énergie à revendre, lui dit l'instructeur, en tournant autour d'elle comme une mouche autour d'un pot de miel.
  • Plus que tu ne le crois, affirma-t-elle, les yeux plissés.
  • On va voir ça ! Choisis un bouclier et deux armes de ton choix.
  • Où est mon épée ?
  • Quoi ?

Elle le regarda, l'air impassible.

  • Tu veux dire les morceaux de l'épée qui se trouvaient dans ta bourse ?
  • Se trouvaient ?
  • Tout ce qui t'appartenait en venant ici est désormais la propriété de notre reine. Surtout cette épée, que tu as sûrement volée à un lieutenant de la Cité Royale d'Awalassi, étant donné les pouvoirs qu'elle contient !
  • Oui, je l'ai bel et bien volé à un lieutenant Akatys, après qu'il soit tombé mort à mes pieds, mentit-elle avec une certaine conviction.
  • Tu es douée, je dois l'admettre. Mais pour le moment, tu devras te contenter de choisir parmi les armes qui sont ici ! Et je te rappelle que nous n'avons pas toute la journée.

Elle s'avança vers la gigantesque table et saisit machinalement un bouclier de forme ovoïde en bois d'ébène, ainsi qu'une épée et une dague très effilée.

  • Tu n'as pas pris le temps de...
  • J'ai fais mon choix, l'interrompit-elle d'une voix décidée, en rangeant ses armes préalablement choisies dans leurs fourreaux respectifs.
  • Soit. À partir de maintenant, tu ne pourras plus changer d'avis. Je te préviens une nouvelle fois que si tu tentes quoi que ce soit pour t'évader, je te tue sur le champ.

Awilé sentit une goutte de transpiration glisser le long de sa nuque, mais préféra donner le change, en adoptant un comportement quelque peu téméraire.

  • Allons-y. Ne perdons pas plus de temps, tonna-t-elle en se rendant à l'extérieur.

Adoba sembla dubitatif face à ce revirement mais garda le silence. Il la précéda et la conduisit vers une grande arène sablonneuse et déserte et qui se situait près d'une gigantesque habitation en coquillage. Awilé en déduisit qu'il s'agissait du palais d'Okowalé.

  • Voici l'un des terrains d'entraînement, expliqua-t-il. C'est ici que je vais t'apprendre les techniques de combat, qui te permettront d'affronter le plus longtemps possible la survivante des duels. Puis notre Champion, si tu parviens à vivre jusque là.
  • Rester en vie est ma principale option, affirma-t-elle en observant intensément son interlocuteur.

Ce dernier cligna des yeux plusieurs fois, légèrement déstabilisé.

  • Tu as absorbé lors de ma capture mes pouvoirs empathiques, qui ne sont pas compatibles avec ceux des akawoussis, analysa-t-elle. C'est pour cette raison que depuis ce matin, tu luttes continuellement pour ne pas ressentir la bienveillance émanant de ma personne.
  • Tais-toi, sale enchanteresse ! hurla Adoba, qui sortit brusquement son épée de nulle part.

Il se mit en position de combat et Awilé, qui se trouvait en face de lui, l'imita aussitôt. Il se déplaça légèrement sur le côté, son arme à la main, de sorte à ce qu'elle en fasse autant. Ils se tournèrent autour pendant un moment, lorsque soudain, il s'élança vers elle. Instinctivement, elle sut parer le coup avec sa propre épée puis s'abaissa de sorte à lui faire un croche-pied inattendu, avant de se redresser aussitôt. Il perdit l'équilibre et retomba lourdement.

Il se releva immédiatement. Son visage était empli d'une fureur noire, ce qui ne fit qu'exacerber son courroux envers la jeune femme. Celle-ci, galvanisée par cette première victoire, ressentit un courage incroyable grandir en elle, mais resta néanmoins sur ses gardes.

Adoba retira le haut de sa tenue de combat, ce qui révéla l'impressionnante musculature de son torse. Il saisit ensuite deux poignards accrochés de part et d'autre de son pagne et les fit tournoyer entre ses mains, avant de se mettre à nouveau dans une posture d'attaque. Awilé empoigna sa dague, sans perdre de vue son adversaire, qui envoya, sans crier gare, un poignard dans sa direction.

Elle l'évita de justesse, mais réalisa trop tard qu'il s'agissait d'une diversion. Adoba se jeta sur elle, l'air triomphant. Il jeta au loin l'autre poignard, avant de commencer à serrer son cou entre ses deux mains. Elle tenta de se débattre et, au bout d'un moment, était au bord de l'évanouissement. La jeune femme comprit par la même occasion qu'il ne s'agissait pas la meilleure méthode pour se défendre. L'idée lui vint d'œuvrer comme son instructeur. Elle prit un air horrifié, en fixant un point imaginaire derrière son épaule gauche.

L'air hésitant, il se retourna et Awilé en profita pour le repousser. Elle se redressa sur ses deux jambes puis effectua - sans savoir comment - une roue, afin de se retrouver derrière Adoba. Elle le fit asseoir de manière brutale sur son séant, avant de passer son bras brusquement sous son menton. Elle saisit son propre poignet gauche, ce qui accrût la pression de la prise d'étranglement qu'elle exerçait sur son adversaire, qui semblait surpris par la force phénoménale de cette jeune femme.

Il parvint à saisir les bras d'Awilé en arrière et, les dents serrées, lui fit effectuer une roulade avant qui la projeta avec violence, quelques mètres plus loin. Le genou à terre et la respiration haletante, elle tendit son épée droit devant elle, l'air déterminé.

Adoba se releva lentement en ramassant son épée et fixa Awilé d'une telle manière qu'elle finit par tourner la tête, en raison d'un malaise inexpliqué.

  • Où as-tu appris à te battre ? lui demanda-t-il au bout d'un moment, l'air soupçonneux.
  • Je ne l'ai pas appris. Je le fais par instinct, répondit-elle.
  • Tu n'es pas une awoularé comme les autres. En général, vous vous laissez faire et vous ne connaissez rien au combat.
  • C'est ce que tu penses. Nous savons nous battre, mais pour protéger l'humanité de vos méfaits.

Son visage demeurait impassible et Awilé décida de s'avancer vers lui d'un pas vif, avant de se tenir droit devant lui.

  • Tu sais te battre et te défendre, contrairement aux captives qui ne savent toujours pas comment tenir une dague, admit-il. Il s'agissait pour moi de tester tes capacités et je dois t'avouer que je n'en attendais pas moins de toi.
  • Pourquoi ne relâchez-vous pas les prisonnières ? Elles ne méritent pas un tel sort ! Je pourrais très bien combattre Malick dès le début du Grand...
  • Awilé, tais-toi, l'interrompit-il d'une voix menaçante. Reprenons l'entraînement, une longue journée nous attend. Je vais t'apprendre le combat au corps à corps, ainsi que différentes techniques d'attaque et de défense. Mais dans un premier temps, je vais te montrer comment bien tenir tes armes.

Elle aquiesça et sous un soleil ardent tout le long de cette journée, Adoba lui enseigna de nombreuses méthodes de survie, qu'elle retenait sans difficultés. Le ciel se pourprait progressivement et le premier quartier de lune fit son apparition, ce qui annonçait le crépuscule. Awilé, affamée, en sueur et à bout de forces, n'avait pas vu le temps passer mais resta bravement opérationnelle, tandis qu'elle apprenait à décocher des flèches sur une cible en bois.

  • Concentre-toi ! rugit-il en la voyant manquer sa cible à de nombreuses reprises. Tu peux faire mieux que ça !

Elle ravala les paroles amères qu'elle était sur le point de lui lancer et leva lentement son arc, ainsi qu'une longue flèche. Elle plissa légèrement les yeux et tendit son arc, avec le coude et le bras droits alignés au niveau de son menton. Avec l'annulaire et le majeur de sa main droite, elle tira légèrement sur la corde, tout en pinçant l'extrémité de la flèche entre l'index et le pouce. Un court instant plus tard, elle parvenait à atteindre sa cible à chaque essai et de manière plus aisée.

Soudain, le son de djembés se fit entendre. Awilé et Adoba tournèrent la tête d'un même élan vers le vacarme et virent à leur grande surprise la reine Okowalé, escortée d'une dizaine de Gardiens, dont les musiciens qui avaient annoncé son entrée avec leurs tambours en peau de mouton. D'autres se chargèrent de planter tout autour de grandes torches, qui s'enflammèrent aussitôt. Une foule nombreuse commençait à prendre place à même le sol autour de l'arène et Awilé, interloquée et la bouche entrouverte, demanda à Adoba :

  • Que se passe-t-il ?

Il ne répondit pas et regarda Okowalé venir dans leur direction, entourée de part et d'autre de ses meilleurs guerriers. Elle avait revêtue une tenue de combat similaire à celle qu'avait porté Awilé, à la différence près que la sienne était entièrement recouverte d'or.

  • Okowalé, que signifie tout ceci ? l'apostropha-t-il.

Awilé était intriguée qu'il puisse être aussi téméraire pour s'adresser à sa reine de cette manière.

  • Adoba, j'ai eu une idée grandiose ce matin ! s'exclama-t-elle, avant d'émettre un petit rire. J'ai avancé la date du Grand Tournoi ! Figure-toi qu'il se tient dans l'arène du palais depuis ce matin et...
  • Quoi ? Que dis-tu ?

Les yeux écarquillés, il fixa la souveraine en pointant son doigt devant elle. L'interessée poussa un soupir exagéré, qui traduisait le fait qu'elle était capricieuse et que rien ne pouvait l'en empêcher.

  • Adoba, ne m'oblige pas à me répéter, car tu as bien compris ce que je viens de dire. J'ai décidé d'ouvrir officiellement le Grand Tournoi aujourd'hui. Les captives se sont déjà battues à mort. Les pauvres, ce fut une mort douloureuse, certes, mais brève, heureusement pour elles, ajouta-t-elle d'une voix compatissante.
  • Okowalé... As-tu perdu l'esprit ? lui demanda-t-il d'une voix sourde. C'est seulement maintenant que tu me le dis ? Comment as-tu osé détourner les règles du Grand Tournoi ? Les captives ont l'obligation d'apprendre à se battre un jour avant de...
  • Assez ! Les règles ne sont plus à l'ordre du jour, Adoba. Et à ce que je vois, notre précieuse combattante awoularé en sait suffisamment pour affronter la Championne rescapée des captives, la plus charmante d'entre toutes ! annonça-t-elle, le sourire aux lèvres.

Une nouvelle fois, les musiciens tapèrent ardemment sur leurs djembés et au même moment, une femme d'une vingtaine d'années fit son entrée dans l'arène. Au fur et à mesure qu'elle avançait vers eux, Awilé ne put s'empêcher de constater à quel point elle était élancée et très musclée ; elle dut lever la tête lorsqu'elle se posta en face d'elle. Son visage était rempli de cicatrices - dont certaines étaient encore sanguinolentes - et elle arborait un air revêche et très dur. Ses cheveux étaient nattés grossièrement et un grand anneau en bronze était accroché sur le côté droit de sa tenue de combat. Elle n'avait pas de bouclier, mais elle empoignait fermement deux sabres tachés de sang dans chaque main.

  • Awilé, voici Sékine, déclara Okowalé, qui ne cachait pas sa satisfaction. À l'issue de ce combat, l'une d'entre vous devra tuer l'autre et affronter demain à l'aube notre grand Champion.
  • Okowalé, j'insiste pour reporter ce combat à l'aube, intervint Adoba, qui ne cachait pas son mépris. Elles ne sont pas encore...
  • Tu veux contester les idées de ta reine, Adoba ? lui demanda-t-elle sur un ton menaçant.

Les bras croisés, il leva puis baissa la tête et ferma lentement les yeux tout en gardant le silence, signe de résignation.

  • Tu me parais bien faible, ce soir, opina-t-elle en le dévisageant. Reprends-toi, et vite ! Bien ! Vous autres, préparez les combattantes !

Elle porta ensuite son regard sur Sékine, puis sur Awilé, avant de déclarer d'une voix enjouée :

  • J'ai une bonne nouvelle pour vous. Cette année, tous les coups sont permis dans le dernier duel des captives et dans le combat face au Grand Champion. Ainsi que la tricherie.

Avec un air moqueur en direction de sa rivale, Sékine tendit devant elle sa main droite et la retourna. De sa paume sortirent des étincelles, puis des flammes, dont la lueur se refléta dans les yeux vairons d'Awilé.

  • Ce sera divertissant de voir comment une awoularé dépossédée de ses principaux pouvoirs pourra tenir longtemps face à une akawoussi qui n'a plus rien à perdre, déclara Okowalé sur un ton exalté.


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