19.

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La reine Gassiwa était assise sur une grande natte, au centre d'une gigantesque salle entièrement recouverte de cette étrange pierre blanche et étincelante. De très belles fresques ornaient les murs et le sol. La lueur des torches accrochées sur les murs permettait de réhausser l'élégance de l'endroit. Ilda et Ouli ne purent masquer leur ravissement en tournant la tête autour d'elles, l'air impressionné, avant de porter leur regard sur la reine, qui se leva.

Elle était aussi grande qu'Askamé et dépassait Ilda de deux bonnes têtes. Ses yeux verts semblaient briller d'un éclat particulier, et son visage fin et magnifique était celui d'une femme d'une trentaine d'années, et non celui d'une souveraine centenaire. Elle revêtait un pagne traditionnel somptueux et arborait un sourire si réconfortant qu'Ouli se sentit instantanément à l'aise.

  • Je vous souhaite la bienvenue, leur dit-elle. Avec un peu de retard, certes, mais lorsque je suis plongée dans une méditation profonde, je ne vois pas le temps passer.

Ilda se courba légèrement en baissant la tête et Ouli l'imita aussitôt.

  • Merci, ma reine, de nous recevoir avec tant d'hospitalité, la remercia-t-elle.
  • Relevez-vous, je vous prie. Et entre nous, appelez-moi Gassiwa, tout simplement.

Elles aquiesçèrent et la reine leur désigna de la main une autre natte de grande taille, où de nombreuses calebasses encore fumantes avaient été déposées au centre.

  • Prenons place et mangeons ensemble. Nous pourrons discuter par la suite.

Les préparations étaient aussi délicieuses les unes que les autres. Ilda regarda d'un air intrigué des petites calebasses comportant un liquide de la même couleur que le bois d'ébène.

  • C'est du chocolat chaud, lui précisa la reine.
  • Du chocolat ?
  • On obtient cette boisson en travaillant de manière particulière les fèves de cacao. Celles-ci sont récoltées, puis torréfiées. C'est une boisson encore méconnue, mais ça aide à réduire la fatigue. Bois-en un peu, lui proposa la reine avec un sourire.

Ilda porta à ses lèvres le breuvage et, immédiatement, une chaleur interne se diffusa dans son corps tout entier, ainsi qu'une sensation de bien-être. Elle ferma les yeux pour mieux savourer ce moment et but à nouveau quelques gorgées.

  • C'est excellent. Prends-en un peu, Ouli, lui proposa-t-elle en lui tendant la calebasse de chocolat. Merci de nous avoir fait l'honneur de partager ton repas, Gassiwa. C'est un privilège d'être ici.
  • C'est moi qui vous remercie d'apprécier ce repas.

Elle se leva pour se diriger vers sa natte et Ilda et Ouli en firent autant, en préservant néanmoins une certaine distance avec la souveraine. Cette dernière s'assit en tailleur et invita ses hôtes à en faire autant.

Elles prirent place en face d'elle. Au même moment, la reine ferma les yeux en prenant une grande inspiration et le décor dans lequel elles se trouvaient se dissipa instantanément, pour laisser place à un environnement luxuriant, en plein désert. Des torches plantées ça et là éclairaient l'endroit, ainsi qu'une oasis bordée par de grands palmiers. Ouli était tétanisée, tandis qu'Ilda regardait d'un air circonspect le nouvel environnement autour d'elles. Elle demanda d'une voix sourde :

  • Que vient-il de se passer ?

La reine, avec un sourire en coin, garda le silence un court instant, avant de répondre :

  • C'est une illusion. Nous n'avons pas quitté mon espace réservé, mais cela nous permet d'être à l'abri des regards et des oreilles indiscrètes. Je sais que vous avez des multitudes de questions à me poser. Je vous écoute.

Ouli tourna la tête vers Ilda, qui se décida à prendre la parole :

  • Il y a bien des années, une vieille femme, de passage dans notre village, m'avait assigné une mission précise le jour où les pouvoirs de ma nièce seraient exposés au grand jour. Il s'agissait de retrouver la Cité d'Akissawo, ainsi que les Parchemins de la destinée.

La reine passa sa main sur ses longs cheveux, avant de s'exprimer :

  • Oui. C'est exact. Il y a dix-huit ans et trente-six jours de cela.
  • Comment le sais-tu ? lui demanda Ilda d'une voix intriguée.
  • Parce que c'était moi. Lorsqu'Awilé est venue au monde à Akachawé, j'ai immédiatement ressenti son pouvoir extraordinaire, de là où je me trouvais. J'ai donc décidé de me rendre à Mowolo à ce moment-là, en prenant l'apparence de cette femme âgée.
  • Quoi ? Mais... Comment... Comment pouviez-vous être au courant de cette naissance ? Ainsi que la nature des pouvoirs d'Awilé ? l'interrogea Ilda, qui ne cachait pas son étonnement.

La souveraine esquissa un sourire et tourna la tête silencieusement vers l'oasis, avant de fixer tour à tour ses interlocutrices. Elle ferma les yeux et lorsqu'elle les rouvrit, ses yeux avaient pris une teinte mordorée. Elle leva sa main au-dessus du sable devant elle et aussitôt, une pile de parchemins de grande taille apparurent.

  • Est-ce..., commença Ilda, qui n'en croyait pas ses yeux.
  • Oui, répondit la reine en la regardant droit dans les yeux. En l'an 1236, ma grand-mère a été la première à dessiner, à l'aide de ses pouvoirs psychiques, les visions qu'elle voyait. Après sa mort, ma mère a repris le flambeau et c'est à mon tour de perpétuer la tradition.
  • De quoi s'agit-il ? demanda Ouli.
  • Ce sont les Parchemins de la destinée, lui répondit Ilda. Ils sont réputés pour prédire l'avenir de manière réaliste, en raison des gravures qui y sont représentées.
  • Ils sont dans un ordre précis. Regardez-les un à un. Surtout toi, Ouli.

L'intéressée parut interloquée et la reine arbora un air amusé.

  • Tu es dotée d'une mémoire photographique extraordinaire, reprit Gassiwa. Tu as dû t'en rendre compte depuis ton départ du village.
  • Je... Je ne comprends pas, balbutia-t-elle.
  • Lorsque Ilda t'a fait part du voyage périlleux qu'elle devait entreprendre, pourquoi t'es-tu sentie obligée de l'accompagner, d'après toi ?
  • Je ne sais pas.
  • Si, tu sais pourquoi, affirma la reine, en la fixant avec un air bienveillant. Tu t'es sentie capable de la seconder dans cette aventure, ce qui nécessite un grand courage, étant donné que tu as laissé tes proches derrière toi et en sécurité.
  • Comment sais-tu que...
  • Et tout à l'heure, quand tu observais les amazones, n'as-tu pas gravé dans ta mémoire leurs moindres faits et gestes ? l'interrompit Gassiwa avec douceur. Tu es une awoularé, mais tes pouvoirs étaient encore latents avant ton arrivée ici.

Ilda tourna lentement la tête vers Ouli, qui n'en revenait pas.

  • Je suis... une awoularé, murmura-t-elle.
  • Tes parents étaient des gens très bien. Je les connaissais bien avant ta naissance, car ils étaient des awoularés, réfugiés ici même à Akissawo. Tu es née ici, Ouli, ainsi que tes deux jeunes frères. Ta mère est tombée très malade et est décédée lorsque tu avais cinq ans. Tes grands-parents ont préféré vous recueillir par la suite auprès d'eux, à Mawolo. Awilé est née à la même période à Akachawé, mais a été adoptée par Ilda, deux années plus tard.
  • Je suis née ici ? Et... mon père ?
  • Il a tenté de s'aventurer hors de la Cité pour une raison connue de lui seul et a été assassiné par un Akissian, trois mois avant que tu ne viennes au monde.

Ouli, l'air grave, garda le silence.

  • Je suis désolée, Ouli, lui dit Ilda en lui pressant la main.
  • Merci, tante Ilda. Ne t'en fais pas pour moi, je vais bien.
  • Non, tu ne vas pas bien, la contredit Gassiwa, avec sa voix douce habituelle. Tu vas aller mieux tout à l'heure, mais sur le moment, tu as besoin d'assimiler toutes ces informations. Je sais que ce n'est pas évident, mais tu avais besoin de savoir.
  • Mais comment peux-tu savoir tout ça ? As-tu des dons de précognition ? la questionna Ilda.
  • Je ne sais pas tout, contrairement à ce que peuvent affirmer certains. Je sais juste prédire certains évènements. Mes nombreux pouvoirs me permettent également de maintenir cette Cité à l'abri des regards et de protéger les awoularés du Akawoussiké. Je suis également la Grande Protectrice de la source de Makatété.
  • Reine Gassiwa, j'aimerais comprendre..., déclara Ouli en la fixant. Tout d'abord, qu'est-ce que la source Makatété ? Et ce... Akawoussiké ?
  • Je vais te répondre dans l'ordre. Le Makatété est une source magique, entretenue par les Anciens depuis des millénaires. Hormis eux, mes aïeules et moi-même, personne ne sait où elle se trouve, et fort heureusement.
  • Pourquoi ? lui demanda Ilda.
  • Il se trouve que cette source est censée amplifier, et de manière considérable, les pouvoirs d'un awoularé. Il suffit juste d'en boire une gorgée. Elle demeure secrète, ceci afin que les awoularés ne soient pas tenté de la tarir, dans le but d'être surpuissants. On dit également de cette source qu'elle relie deux mondes. Personne ne s'est jamais aventuré aussi loin, même les Anciens, afin de découvrir la nature de cet autre monde. Pour ce qui est du Akawoussiké, c'est un monstre, qui est à l'origine de l'avènement des akawoussis.

La reine prit une légère inspiration, avant de poursuivre :

  • Autrefois, la Cité d'Akissawo était la première capitale d'Awalassi. Tout le monde vivait dans la paix dans le royaume, les awoularés comme les humains dépourvus de pouvoirs. L'Akawoussiké était à l'origine une jeune femme awoularé du nom de Tili. Cette dernière avait malheureusement un cœur empli de haine et possédait de nombreux défauts. Un jour, elle assassina de sang-froid sa meilleure amie, qu'elle aurait toujours envié secrètement pour sa beauté. Un crime odieux, qui ne s'était encore jamais produit auparavant parmi les awoularés et qui constituait un précédent. Le Conseil des Anciens, d'après ce que ma mère m'avait confié, avait décidé de bannir à vie cette jeune adolescente du royaume, étant donné que leur nature bienveillante ne leur permettait pas de la neutraliser définitivement. Avide de vengeance, Tili leur promit un avenir obscurci par le malheur et la désolation. Sans qu'on ne sache comment, elle trouva la source Makétété quelques années plus tard. Elle ne but pas une simple gorgée, mais elle parvint à en aspirer la moitié. Son corps prit aussitôt des proportions gigantesques, ainsi que l'étendue de ses pouvoirs maléfiques. Elle devint ainsi l'Akawoussiké et décida de répandre sur l'ensemble du royaume des fléaux de toutes sortes, des épidémies en passant par la guerre civile. Les provinces d'Akissi, de Kamass et d'Adabéré, l'Île d'Abamey et leurs alentours furent les plus touchées par ces catastrophes. Akissawo fut épargnée, grâce à la pierre blanche magique qui la recouvre entièrement et qui la rend invisible aux akawoussis.
  • Reine Gassiwa, permets-moi de t'interrompre, intervint Ilda en levant la main. Akissi, c'est de là que sont originaires les Akissians ?
  • Oui, confirma la souveraine. C'est la raison pour laquelle les habitants des territoires que je viens de citer sont devenus au fil du temps des serviteurs à part entière de l'Akawoussiké, appelés les akawoussis.
  • Et... Tili, je veux dire... ce monstre existe toujours ? lui demanda Ouli, avec une certaine appréhension.
  • Oui. Mais elle est enfermée, et de manière magique, dans le territoire des Justes de Koulouwoussi. C'est un endroit très difficile d'accès et qui se trouve aux confins du royaume. C'est un peuple réputé pour sa magie rare et son grand sens de la justice. Il y a deux siècles, ma grand-mère, avec l'aide de la Reine des plantes et du chef des Justes, ont réussi à neutraliser Tili et la maintenir dans un cocon magique. Ma grand-mère a perdu la vie durant cette capture, mais son sacrifice a permis en grande partie au royaume de retrouver sa paix d'antan, et de préserver le reste du monde de ce monstre. Par la suite et par sécurité, ma mère a décidé de déplacer avec ses pouvoirs psychiques la Cité en dehors du royaume, ici même à Okossaté. La légende et les rumeurs affirment qu'elle sort de terre, mais ce n'est qu'une illusion. Comme je l'ai dis tantôt, elle demeure invisible aux yeux des akawoussis, c'est la raison pour laquelle elle constitue un lieu de refuge pour les awoularés en difficulté et sans repères. Ceux-là doivent cependant contourner les pièges similaires à ceux que vous avez dû affronter en arrivant ici, pour pouvoir y pénétrer. J'ai mis en place une armée de guerrières expérimentées, qui sauront ainsi défendre notre Cité, le moment venu.
  • Le moment venu ?

La reine porta longuement son regard sur Ouli, qui venait de poser cette question. Sans un mot, elle fit avancer la pile de documents parcheminés vers elles. Ilda hésita un instant, avant de saisir le premier parchemin. Comme tous les autres, une sublime fresque la recouvrait, comme si elle avait été dessinée à l'encre. Elle constata que sous chaque illustration, une légende rédigée à la main expliquait la vision dans un dialecte ancien, qu'Ouli parvint à déchiffrer sans difficultés.

  • Cela fait partie de tes pouvoirs, l'informa mentalement Gassiwa.

La jeune femme frémit légèrement et reporta à nouveau ses yeux sur le dessin, qui se grava dans sa mémoire de manière indélébile, avant de le remettre à Ilda.

  • Les parchemins illustrés mentalement par ma grand-mère et ma mère représentent des évènements qui se sont déjà déroulés, leur précisa la reine. En ce qui concerne les miens, la grande majorité des évènements ne le sont pas encore et annoncent un avenir sombre et peu réjouissant.
  • Que veux-tu dire ? lui demanda Ilda, qui retenait son souffle.

La souveraine lui tendit l'un des derniers parchemins de la pile, parmi les plus récents. La fresque représentait une grande femme puissante entourée d'éclairs avec de longs cheveux en bataille, qui sortait d'une eau tourbillonnante. Elle revêtait une tenue de guerrière en cuir épais et tenait dans sa main droite une longue épée d'argent. Le ciel était obscur et le paysage environnant semblait froid et sans vie autour d'elle.

Ouli lut puis traduisit à haute voix la légende écrite par la reine Gassiwa :

"Yitké 75 ~ Ta 1450. Néji Tili wousséaka fada wad ét neguee kheno faydee yufe issi woolaré, ka fett rabou. Nuudua ib gne mou lasokh ét kene nomou oka yété.

Parchemin 75 ~ An 1450. Le monstre Akawoussiké Tili se libère et se venge sur les magiciens au cœur d'or et doux. Nul ne peut l'arrêter et l'humanité est en danger."

  • Les fresques qui précèdent et qui suivent celle-ci ne sont guère emplies d'espérance, renchérit Gassiwa, qui leur remit un autre parchemin.

Sur celui-ci, des flammes ravageait la majestueuse Cité d'Akissawo, à moitié détruite par ce qui semblait être une armée d'Akatys, avec à leur tête une jeune femme déterminée.

La voix d'Ouli s'étrangla légèrement, en parcourant des yeux le précieux document entre ses mains :

"Yitké 70 ~ Ta 1450. Akissawo reké fett nuda ani, reké kiwalo toulo akhi akatys neboo. Rekhéé ét guerd ét ign éed ribbé iniou. Woolaré ouniou ité reké, pedia uub akbé. Péfée ni fo keno.

Parchemin 70 ~ An 1450. La Cité d'Akissawo est tombée et les Akatys au cœur de nuit l'ont envahie toute entière. Malgré la vaillante défense de ses gardiennes, les pertes en vie humaines seront nombreuses et les survivants seront en perdition, traqués, éliminés. Quel que soit l'endroit où ils se trouvent."

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