18.

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Ilda se frotta les yeux, avant de se redresser légèrement sur son nouveau sommier. Elle tourna la tête et constata qu'Ouli dormait encore, sûrement exténuée par le voyage et les épreuves qu'elles avaient dû endurer le jour précédent.

La veille, les amazones, avec à leur tête Askamé, les avaient escorté à cheval à travers la magnifique Cité. Ouli n'avait pu masquer son ravissement en découvrant, le long du chemin qui menait au palais, les somptueuses habitations et structures construites avec une sorte de pierre blanche brillante et presque transparente, sur lesquelles le ciel crépusculaire semblait se refléter. Askamé leur avaient proposé par la suite de descendre un moment de cheval, afin de leur permettre de mieux voir les belles facettes du marché d'Akissawo.

Celui-ci était gigantesque. Des grandes torches plantées dans le sol illuminaient les petits commerces, où des habitants se ravitaillaient en viande, en textile, ainsi qu'en poisson et en céréale. D'autres vendeurs proposaient sur leurs étals en terre cuite du sel, des calebasses remplies de mil, de céréales locales et de fruits, qui semblaient savoureux. L'un des commerçants avait disposé dans l'une d'elles un liquide ambré et gluant, qu'Ouli n'avait jamais vu de sa vie.

  • C'est du miel, lui avait expliqué Ilda. C'est excellent pour soigner des plaies, mais aussi pour le bon fonctionnement de notre esprit et de notre corps.
  • Où le récolte-t-on ? Dans le sable ?
  • Non, ma chérie. Ce sont des abeilles qui le produisent.
  • Les abeilles... Comme celles qui se trouvent dans les arbres, près du fleuve Mawolo ?
  • Oui, en effet. Je t'expliquerai plus tard le mode de fabrication du miel, ne t'en fais pas, lui avait garanti Ilda avec un sourire. Retournons auprès des amazones, il ne faudrait pas faire attendre la reine plus longtemps.

Quelques instants plus tard, elles étaient arrivées devant une gigantesque structure en pierre blanche et les amazones les avaient conduites à l'intérieur, après les avoir à nouveau aidées à descendre de leurs montures.

  • Je n'ai jamais vu une maison aussi grande et aussi belle, avait murmuré Ouli, en levant la tête sur un des grands pans de murs et sur les magnifiques décorations qui les ornaient, ainsi que dans les salles alentours.

Askamé avait esquissé un sourire.

  • C'est parce qu'il s'agit du palais de notre reine. C'est également ici qu'elle reçoit ses hôtes, en leur offrant généreusement son hospitalité. Aloumé et Aza vont vous accompagner jusqu'à votre espace réservé, afin que vous puissiez vous rafraîchir et vous restaurer. Vous devez être fatiguées après un si long voyage. Je dois également vous informer qu'il se peut que notre reine ne puisse pas vous recevoir ce soir, car il arrive qu'elle soit dans une période d'intense méditation. Mais reposez-vous bien et nous vous ferons savoir quand elle sera bien disposée à vous recevoir.


Deux amazones s'étaient avancées et avaient escorté Ilda et Ouli dans une somptueuse chambre. Dans celle-ci se trouvaient deux sommiers confortables en raphia tressé, avec des peaux de mouton par-dessus pour se couvrir. De grosses bourses en cuir rembourées de coton brut, qui servaient de repose-tête, ainsi que deux élégants pagnes traditionnels et savamment travaillés, y avaient été également déposés.

Des victuailles avaient été entreposées à l'avance non loin, sur une grande table en bois d'ébène. Des effluves, provenant des calebasses remplies de bouillies de céréales, de volailles, de sauce feuilles et de patates douces et de purée d'ignames, encore fumantes, embaumaient l'air. Une très grande ouverture carrée sur le côté droit de la chambre donnait sur un espace à ciel ouvert, limité par un muret de la même dimension. Ilda et Ouli pouvaient contempler le désert d'Okossaté à perte de vue et, plus haut, les étoiles brillantes dans un ciel indigo, bordées par un pâle croissant de lune.

Elles étaient ensuite retournées à l'intérieur et avaient remarqué un petit espace en pierre blanche au fond de la chambre, qui se trouvait à l'abri des regards. Deux énormes calebasses comportant chacune de l'eau claire et fraîche avait été posées non loin. Ilda en avait déduit que cette eau était sûrement destinée à leur toilette quotidienne, mais également pour leur permettre de se désaltérer.

Après s'être rafraîchies, elles avaient pu se changer puis manger avec bon appétit. Ouli avait préféré, pour ne pas paraître trop gourmande, suivre le même rythme de mastication lente d'Ilda, en l'observant à la dérobée. Elles s'étaient par la suite allongées sur leur sommiers respectifs, dans le but de discuter un moment et Ilda en profita pour lui expliquer la manière dont le miel était produit. Cependant, en raison de leur extrême fatigue, elles s'étaient endormies peu après, sans s'en rendre compte.

Ouli ouvrit progressivement les yeux et sourit à Ilda, qui le lui rendit.

  • Tu as bien dormi ?
  • Oui, tante Ilda. J'espère que tu as pu te reposer aussi.
  • Oui. Et il semble qu'on a reçu de la visite durant notre sommeil, lui dit-elle en lui désignant de la tête la grande table.


Ouli se leva complètement et découvrit avec étonnement que des aliments fraîchement préparés avaient remplacés les restes de la veille, sur la table. De nouveaux pagnes, soigneusement pliés, avaient été déposés non loin de leur sommiers et leur calebasses étaient à nouveau remplies d'eau pure et bien fraîche.

  • Comment...
  • Ne nous posons pas la question, l'interrompit gentiment Ilda avec un sourire en coin. Je te laisse te rafraîchir, après ce sera mon tour. Nous pourrons nous sustenter par la suite.

En milieu de journée, Aza vint les informer que la reine était toujours plongée dans une sorte de transe dans son espace réservé. Mais sous les ordres d'Askamé, la jeune amazone leur proposa de les escorter dans une promenade plus longue que la veille, à travers la Cité. Avant de quitter le palais, elle leur remit à chacune une grande calebasse.

  • Vous êtes dispensées de troc, tant que je serais à vos côtés, expliqua-t-elle. Vous êtes libres de vous ravitailler à votre guise dans les étals du marché et des alentours.
  • Nous tenons à vous remercier pour votre hospitalité, nous ne méritions pas tant, dit Ilda.
  • C'est tout à fait normal. Vous êtes nos hôtes et notre Reine tient à ce que vous soyez bien traitées.

    Aza leur servit de guide à travers la Cité et leur montra en premier lieu les jardins suspendus d'Akissawo. Ilda et Ouli restèrent bouche bée, en contemplant ces magnifiques échafaudages de plantes luxuriantes et de plantes tropicales, qui semblaient flotter au-dessus du sol.
  • Mais... Comment faites-vous pour faire pousser de tels plantes dans le désert ? demanda Ilda à Aza.
  • Notre reine a créé ces jardins. Elle a ainsi formé depuis plus d'un demi-siècle des awoularés réfugiés au sein de notre Cité, afin qu'ils puissent irriguer et entretenir ces plantes et ces fleurs au fil du temps, avec l'aide de leurs pouvoirs.
  • C'est très ingénieux. En plus, ça rafraîchit l'atmosphère, ajouta Ilda d'une voix impressionnée.

Aza les conduisit par la suite dans une grande structure en plein air, où de jeunes adultes apprenaient aux enfants et à des adolescents à utiliser au mieux leurs pouvoirs.

  • On leur enseigne également l'importance d'être bienveillants, les uns envers les autres, leur expliqua Aza. Ceci afin qu'ils ne soient pas détournés par la logique des akawoussis, qui prônent le contraire.

Une fois sur la place du marché, Ilda fit son choix parmi de nombreuses plantes médicinales présentées dans les étals d'un tradipraticien, tandis qu'Ouli décida de satisfaire sa curiosité en allant s'approvisionner modérément en miel.

  • Tu peux y goûter, si tu veux, lui proposa le commerçant.
  • C'est possible ?
  • Oui, lui assura-t-il avec un sourire, en lui tendant une petite kok, qui ressemblait à une minuscule louche en bois. Mais il me semble que tu n'es pas une native de la Cité ? Je ne t'ai encore jamais vue ici.

Ouli, par prudence, se contenta d'acquiescer, sans pour autant répondre à la question.

Elle porta à ses lèvres le miel, avant d'en avaler une petite quantité. Ilda s'approcha d'elle et lui demanda :

  • Alors ?
  • C'est délicieux ! C'est sucré et j'aime beaucoup, lui répondit-elle en se léchant les lèvres, avec un air joyeux. À Mawolo, il y a pleins de ruches dans certains arbres, mais je ne savais pas que le liquide qu'elles fabriquent était aussi bon. J'ai hâte de le dire à mes frères et à...

Soudain, son visage s'assombrit et Ilda comprit que la jeune femme pensait à ses proches et à Awilé.

  • Je sais qu'ils te manquent, tous, lui dit-elle d'une voix douce. Mais nous saurons les retrouver.
  • Je suis désolée, tante Ilda, murmura Ouli, en tentant de contenir ses larmes. Je ne veux pas que tu penses que je regrette d'être venue avec toi et...
  • Ne t'en fais pas, ma chérie, lui dit Ilda en la serrant tendrement dans ses bras.

Au bout d'un moment, Ouli essuya ses larmes et Ilda lui tint l'épaule.

  • Comment te sens-tu ?
  • Beaucoup mieux, lui assura la jeune femme, en lui rendant son sourire. Je ne sais pas pourquoi je réagis de cette manière, mais...
  • Tu n'as rien à te reprocher, Ouli, affirma Ilda. Je sais parfaitement ce que tu ressens et crois-moi, je ne regrette absolument pas ta compagnie durant ce voyage. Je sais que tes frères et soeurs te manquent énormément. Cependant, depuis le début de notre voyage, tu ne t'es jamais plainte et tu as montré un courage extraordinaire. Je n'oublierai jamais le fait que tu te sois mise en danger pour me protéger, face aux hyènes notamment. Et n'hésite pas à me dire si tu ne te sens pas bien, d'accord ?
  • Ne t'en fais pas.

À nouveau, elles se serrèrent brièvement dans les bras l'une de l'autre et Ouli observa que le visage d'Aza, habituellement impassible, reflétait une émotion non dissimulée.

  • Tiens, prends-en un peu, proposa gentiment la jeune femme à l'amazone, en lui tendant la petite louche.

L'intéressée parut troublée par ce geste inattendu.

  • C'est gentil, mais ma fonction ne me permet pas d'accepter des dons offerts par nos hôtes.
  • Je comprends, lui dit Ouli. Je voulais savoir, si ce n'est pas trop demander... Comment devient-on amazone ?
  • Je vais te répondre. Mais avant de rentrer au palais, je vais vous montrer notre terrain d'entraînement.

Elles empruntèrent un long chemin sablonneux, qui semblait conduire à une gigantesque annexe du palais.

  • C'est notre quartier général, leur précisa Askamé. Le terrain d'entraînement se trouve juste à côté.

Ouli et Ilda entendirent au bout d'un moment le bruit caractéristique d'épées qui s'entrechoquent et de cris de guerre. Elles finirent par apercevoir au loin une centaine d'amazones en pleine action. La plupart simulaient des situations de combat, d'autres s'activaient à répéter continuellement les mêmes gestes, comme décocher des flèches ou projeter une lance ou un disque sur des cibles en bois. Le tout sous l'oeil exercé de guerrières expérimentées, dont Askamé.

Ouli fixa tour à tour les petits groupes d'amazones en train de s'exercer et elle eut l'impression que chacune des actions qu'elle observait semblait se graver dans son esprit, de manière visuelle. Elle se sentit capable de reproduire exactement tout ce qu'elle voyait.

Aza prit la parole, ce qui eut pour effet de la déconcentrer :

  • Pour répondre à ta question de tout à l'heure, les amazones d'Akissawo sont un peu particulières. Notre armée n'a pas changé depuis l'intronisation de notre reine, il y a de cela un siècle.

Ilda lui jeta un regard interrogateur.

  • Comment ? Vous n'êtes pas... Enfin, vous avez l'air...
  • Jeune ? suggéra Aza, qui ne masquait pas son amusement.
  • Euh..., oui, dit Ouli, qui n'arrivait pas à comprendre. Cela veut dire que vous avez...
  • Notre reine, l'ensemble des amazones ainsi que les awoularés vivant dans notre Cité ont une longévité exceptionnelle et notre peau vieillit très lentement. Ne me demandez pas pourquoi, je n'en ai aucune idée.
  • Et comment la Cité parvient-elle à sortir de terre et de se déplacer dans...

Aza l'interrompit de manière courtoise :

  • Je pense que notre reine est celle qui pourra vous donner des réponses claires et précises à toutes vos interrogations.

Au même moment, une amazone s'approcha d'elles et murmura quelque chose à l'oreille d'Aza.

  • Il est temps de retourner au palais, leur annonça celle-ci. Vous pourrez ainsi vous changer et vous rafraîchir. Nous vous conduirons ensuite auprès de notre reine, qui vous invite à partager le repas du soir.

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